Leila Shahid, la déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg, a donné le 17 janvier 2008 une conférence au CCR Neumünster dans le cadre du cycle de conférences "Désirs d’Europe" de l’hebdomadaire francophone "Le Jeudi".
S’adressant au public sur le ton de la conversation et passant d’un sujet à l’autre au fil de ses récits et remarques, Leila Shadid a raconté, comment, en 2005, elle a préféré devenir déléguée générale auprès de l’Union européenne plutôt qu’à Washington. La raison en est pour elle aussi simple que pleine de conséquences : "L’Union européenne est l’avenir du Proche Orient et des Palestiniens."
Elle a cependant regretté que l’Union européenne n’ait pas de vraie position en matière de politique étrangère, alors qu’elle est forte quand il s’agit de créer une nouvelle monnaie ou d’abolir ses frontières intérieures. Pourtant, "le patrimoine de l’Europe est dans cœur des Palestiniens bien avant que les aides ne leur soient arrivées."
Pour les Palestiniens, l’Europe est d’abord "un modèle de réconciliation et de stabilité" après les deux guerres mondiales qu’elle a traversées. Ensuite, les Palestiniens sont d’autant plus touchés par un "désir d’Europe" qu’ils ont fait, pendant la guerre froide, les frais de la rivalité entre les Etats-Unis et la Russie qui les ont encouragés à recourir à la confrontation armée. L’Europe, c’est pour eux l’espoir que puisse émerger « une 3e puissance qui a su faire autre chose de son passé » et qui a un projet auquel ils devraient se raccrocher pour sortir du conflit. "L’Europe mène un perpétuel combat pour soi-même", pense Leila Shahid et entraîne dans son sillage la Turquie, le Maghreb, l’est de l’Europe, et aussi le Proche Orient.
"Les rapports conflictuels israélo-palestiniens concernent l’Europe", affirme la déléguée générale de la Palestine, "car ils sont la résultante de la tragédie immense qui s’est déroulée en Europe." Pourtant, elle relève des points inquiétants. Exemple : le sort du processus de Barcelone. Ce partenariat entre l’Union européenne et les pays du pourtour méditerranéen avait été lancé en 1995 dans le sillage des accords israélo-palestiniens d’Oslo et comportait trois volets de coopération: le volet politique, le volet économique et financier, ainsi que le volet culturel, social et humain. Ce processus avait suscité selon Shahid "un immense espoir", mais il n’est pas possible de continuer ce type de coopération "s’il n’y a pas d’équité totale entre les acteurs."
Pour elle, tout a changé quand une "guerre contre la paix" a commencé après l’assassinat du premier ministre israélien Rabin en 1995, puis avec les gouvernements de droite israéliens, la 2e Intifada ainsi qu’avec les attentats du 11 septembre, de la guerre en Afghanistan et la destruction de l’Irak. La cheville de la stabilité au Proche Orient était selon elle le processus de paix israélo-palestinien. Son échec et les autres événements ont fait des Arabes des victimes d’une diabolisation. On a plaqué sur le conflit le concept pernicieux de "guerre des civilisations", un concept contre lequel la laïque Leila Shahid s’élève.
Dans ce contexte, l’Union européenne n’a pas, selon Shahid, face aux USA, les moyens de son ambition. Elle participe à la guerre antiterroriste qui ne sert pas à grand chose et qui constitue pour les Arabes "une expérience traumatisante qui se reflète avant tout dans la destruction de l’Irak par les USA." Dans le même ordre d’idées, l’Europe n’a pas reconnu la victoire électorale du Hamas, considéré comme une organisation terroriste, ce qui a "poussé le Hamas vers la faute." Au Proche Orient, l’Union européenne a été écartée des décisions d’Annapolis, et elle reste dans son rôle de payeur, incapable de devenir un acteur. D’autre part, Leila Shahid regrette que l’Europe continue de traiter Israël autrement que les pays arabes, une attitude qu’elle impute « à la mémoire, à l’histoire, à la culpabilité. » L’Union européenne est perçue comme une alliée de l’hyper-puissance USA qui n’arrive pas à mettre en avant une vision propre qui ait un effet d’entraînement sur la Turquie, le Proche et le Moyen Orient.
Leila Shahid s’est déclarée, à la fin de sa causerie, convaincue que "le sort des Palestiniens est attaché à celui de l’Union européenne." Les USA n’ont pas le souci ni des Israéliens ni des Palestiniens. Ce sont les intérêts des Etats-Unis d’Amérique qui prévalent. De l’autre côté, Israéliens et Palestiniens sont las du conflit. Un grand partenaire qui accorderait aux deux parties les mêmes droits pourrait les aider à en sortir. Ce partenaire, ce ne sont pas les USA, mais l’Union européenne. "Il n’y aura ni stabilité ni sécurité au Proche Orient et dans la Méditerranée, si l’Union européenne n’a pas part à la paix."