Julian Priestley, l’ancien secrétaire-général du Parlement européen entre 1997 et 2007, a présenté le 16 septembre 2008 à Luxembourg son livre "Six battles that shaped Europe’s Parliament". Ce "Britannique continental", comme l’a apostrophé le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker lors de la présentation de l’ouvrage qu’il a lui-même préfacé, a travaillé dans les arcanes du Parlement européen pratiquement dès les débuts de l’adhésion du Royaume Uni aux Communautés européennes en 1971.
Les six batailles parlementaires européennes que Priestley relate dans son livre constituent « un choix subjectif », nous a dit l’auteur. Ce sont pour lui « des batailles qui illustrent bien les progrès que le Parlement européen a faits.
La première est une "bataille classique" pour un parlement : celle pour le budget. C’était en 1979. Le Conseil et le Parlement européen étaient "à un millimètre d’un accord, à cinq heures du matin." Mais le Conseil avait envoyé un ministre qui venait juste de prendre son poste et qui ne connaissait pas son dossier. "Et puis le Conseil avait sous-estimé la volonté de réforme au sein du Parlement européen." Le budget fut rejeté dans un premier temps. Ce dont le Conseil prit acte lorsqu’il fallut débloquer la situation.
La deuxième bataille fut pour que les représentants du Parlement européen soient admis dans la salle lors des Conseils européens ou des Conférences intergouvernementales (CIG) qui révisaient les traités. Ils eurent d’abord droit à un discours, puis peu à peu, ils purent participer aux CIG et aux sommets. Le traité de Lisbonne tient compte de cette nouvelle dimension de la participation du Parlement européen aux décisions.
La troisième bataille fut celle de la participation du Parlement européen à la désignation du Président de la Commission européenne et des membres de la Commission. Ce droit, qu’elle s’est arrogée selon Jean-Claude Juncker, avant que le traité de Lisbonne ne le codifie, s’instaure de manière spectaculaire avec la confrontation en 1998-1999 entre la Commission Santer et le Parlement européen, qui entraîne la démission collective de la Commission, et l’audition des commissaires désignés qui aboutit en 2004, à la récusation des commissaires désignés italien Rocco Buttiglione et letton Ingrida Udre, qui ont dû être remplacés par le président de la Commission Barroso.
Une quatrième bataille fut celle pour un statut unique du député européen, un combat qui dura 30 ans et qui entrera en vigueur en 2009.
La cinquième bataille fut celle pour le pouvoir législatif. Priestley a choisi, pour illustrer cette bataille, la directive sur les OPA (offres publiques d’achat) qui fut en 2000 dans un premier temps rejetée par les députés européens à une seule voix de majorité. Pourquoi cet exemple-là ? "Parce qu’il s’agissait d’une pièce centrale du dispositif du marché intérieur à laquelle le Parlement européen a touché, et parce que ce vote était conditionné, si l’on schématise un peu, par un clivage idéologique entre les tenants du néo-libéralisme à tout crin et les tenants d’une option plus sociale, par le capitalisme de type ’rhénan’."
La sixième bataille est celle pour le contrôle des responsabilités des autres institutions. Elle est de nouveau liée à la démission de la Commission Santer, "une histoire compliquée qui a conduit à une démission, ce qui a été d’une certaine manière injuste." Mais, et voilà ce qui importe, "tout a changé après".
D’un Parlement européen qui soit un vrai parlement, il faut attendre quatre choses : qu’il légifère, qu’il détermine le budget, qu’il désigne et contrôle le pouvoir exécutif et qu’il agisse comme l’expression organisée des préoccupations des citoyens. "Il me semble que le Parlement européen répond désormais positivement à ces quatre tests", dit Julian Priestley. "Mais et c’est le grand ‘mais’, les gens ne le savent pas. Le Parlement européen n’est certes pas une institution comme les autres, mais il appartient aux gens et a un impact aussi important sur le destin des citoyens que les parlements nationaux."
C’est là la septième bataille qui doit encore être menée : faire connaître et reconnaître le Parlement européen par les citoyens. Mais cette bataille n’est pas du seul ressort des bureaux d’informations de l’institution. Et pourtant, celle-ci va lancer le 17 septembre 2008 sa Web-TV, qui transmettra non seulement les réunions plénières, mais également les séances des commissions de travail, et fournira force explications sur les différents dossiers. Mais pour Priestley, cela ne suffira pas. La balle est, à neuf mois des élections européennes de juin 2009, dans le camp des partis politiques.
Membre lui-même du Labour britannique, il raconte comment, pendant la campagne électorale de 1997 qui s’est achevée avec la victoire de Tony Blair, chaque électeur du Royaume Uni a été contacté directement entre 12 et 20 fois par le parti travailliste. La participation électorale fut de 75 %. Lors des élections européennes de 1999, un tel contact fut plutôt le fruit du hasard. La participation électorale était de l’ordre de 30 %. En 2004, la participation fut plus forte, mais ce fait est plutôt dû à l’engagement anti-européen du UK Independent Party. Sa conclusion : "Les élections européennes doivent devenir de vraies élections parlementaires, pas un référendum sur les gouvernements nationaux en place. Le débat doit tourner autour de l’Europe. Les partis politiques doivent s’européaniser. Les grands partis européens devraient se différencier plus fortement les uns des autres, pour que les électeurs puissent mieux faire leur choix. Mais nous sommes encore loin du moment où les grands partis s’avanceront avec un candidat européen à la présidence de la Commission. Et puis, les partis européens n’utilisent pas les députés européens dans les médias. Peu de monde les connaît, sauf quelques exceptions, comme en Allemagne ou au Luxembourg. Or, il y a là un réservoir de personnalités qu’il faudrait davantage exploiter."
Le livre de Julian Priestley a adopté, comme l’a dit Jean-Claude Juncker dans son commentaire sur le livre, "une manière narrative peu usuelle", quand "il sculpte et fait jaillir les personnalités qui ont fait le Parlement européen". Acteur lui-même de l’histoire qu’il relate, Priestley écrit "comme s’il n’existait pas". Les acteurs, ce sont les autres, tous ceux qu’il présente, tout au début du livre, comme "dramatis personae". Députés, ministres, commissaires, la liste est longue comme le générique d’un film ou la liste des personnages d’une pièce de théâtre. Parmi les acteurs luxembourgeois, l’on remarquera Jacques Santer, Nicolas Schmit, le ministre délégué aux affaires européennes, et Jean-Claude Juncker évidemment, dont on ne peut pas dire qu’ils jouent les seconds couteaux. C’est que l’histoire de l’Union européenne a un visage, mieux, de multiples visages qui gagnent à être connus. Car pour les six actes ou batailles, les conclusions et l’expectative de la septième bataille, il a fallu de vrais personnages, en chair et en os, des péripéties réelles, l’engagement ardu d’individus convaincus de leur rôle et qui ont donné de toute leur personne dans des confrontations où les armes sont purement politiques et le sang ne coule pas. Pour Jean-Claude Juncker, la chose est entendue : "Ce livre, qui fait ressortir les personnalités qui ont fait l’Europe, qui s’adresse à ceux qui savent et à ceux qui devraient savoir, fera date".
Julian Priestley : Six battles that shaped Europe’s Parliament . John Harper Publishing www.johnharperpublishing.co.uk ISBN 978-0-9556202-3-2 25 € par Internet