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Economie, finances et monnaie
"La politique européenne a su visiblement calmer les marchés financiers", estime Jean-Claude Juncker qui juge cependant "indispensable" de faire en sorte que l’EFSF dispose pleinement des 440 milliards d’euros prévus
24-01-2011


Dans un entretien publié dans le Spiegel du 24 janvier 2011, le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker fait le point sur les grands sujets qui font l’actualité de la crise de la dette européenne, comme le fonds européen de stabilité financière (EFSF), ou encore les euro-obligations. Des sujets qui suscitent de très larges débats en Allemagne ces dernières semaines."Deutschland ist der Profiteur", tel est le titre donné par la rédaction du Spiegel à l'entretien qui lui a accordé Jean-Claude Juncker pour son édition du 24 janvier 2011

Selon Jean-Claude Juncker, le consensus règne parmi les chefs de gouvernement européens à l'idée de veiller à ce que l'EFSF "atteigne la taille prévue"

Sur la question du renforcement du fonds européen de stabilité financière qui oppose, selon les journalistes du Spiegel, José Manuel Barroso et Angela Merkel, Jean-Claude Juncker estime qu’il n’y a entre eux "aucun désaccord définitif".

"J’ai plutôt l’impression qu’ils ont eu tous les deux un peu un dialogue de sourds", juge en effet Jean-Claude Juncker qui rappelle, comme il l’a fait à l’issue de la réunion de l’Eurogroupe du 17 janvier dernier, que la question est de trouver une solution pour pouvoir disposer pleinement des 440 milliards d’euros que le Conseil européen a décidé de placer dans l’EFSF. En effet, l'EFSF ne peut lever actuellement qu'une partie de cette somme parce qu'un certain nombre de pays ne bénéficient pas de la meilleure notation auprès des agences financières. Il ne saurait donc y avoir selon Jean-Claude Juncker de "conflit" entre le président de la Commission et la chancelière allemande sur ce sujet puisque le consensus règne à ce propos parmi les chefs de gouvernement européens qui ne veulent pas "élargir l’EFSF, mais veiller à ce qu’il atteigne la taille prévue".

Et ce quand bien même l’Espagne, l’Italie et le Portugal viennent tout juste d’émettre avec succès de nouvelles obligations. Car si ces émissions montrent selon Jean-Claude Juncker que "la politique européenne a su visiblement calmer les marchés financiers", il ne faut pas s’y méprendre et y voir une invitation à se reposer. "Il est indispensable que nous tenions effectivement prêts les 440 milliards d’euros que nous avons prévus en mai", martèle Jean-Claude Juncker, qui se dit "confiant" dans le fait que le gouvernement allemand ne va pas se refuser à cet objectif européen commun.

"L’Allemagne n’est pas le seul pays doté d’une excellente solvabilité en Europe", tance Jean-Claude Juncker qui se dit "profondément affligé que certains membres du FDP fassent maintenant les yeux doux à une tendance euro-populiste"

Pour les journalistes du Spiegel, cela impliquerait que l’Allemagne ait à assumer des risques plus élevés. Sur ce point, Jean-Claude Juncker rappelle que l’Allemagne ne serait pas seule à assumer cette charge. "Contrairement à l’impression que donnent ces temps-ci certains journaux à sensation, l’Allemagne n’est pas le seul pays doté d’une excellente solvabilité en Europe", insiste-t-il, citant notamment, parmi les pays qui auraient aussi leur contribution à apporter, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande et le Luxembourg.

Si les journalistes relèvent que "la contribution du Luxembourg ne va pas sauver la zone euro", Jean-Claude Juncker ne manque pas de leur faire remarquer que la contribution solidaire de ses concitoyens est pourtant particulièrement grande puisque le Luxembourg apporte, par habitant, plus d’argent à l’EFSF que l’Allemagne.

L’inquiétude de voir l’Allemagne jouer le rôle de principal financeur des différents instruments de stabilité rejaillit à plusieurs reprises pendant l’interview, et Jean-Claude Juncker n’a de cesse de la combattre, soulignant encore et encore que l’Allemagne n’est pas la seule à y contribuer, et qu’elle n’est pas non plus le seul pays à mener des discussions relatives à sa Constitution.

Lorsque les journalistes relèvent que le FDP se positionne notamment contre toute charge supplémentaire au contribuable, Jean-Claude Juncker se dit "effrayé de voir comment certains libéraux allemands mettent en jeu leur héritage politique européen". "En-dehors d’Helmut Kohl, personne n’a autant soutenu l’intégration européenne que le ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher", rappelle Jean-Claude Juncker qui se dit "profondément affligé que certains membres du FDP fassent maintenant les yeux doux à une tendance euro-populiste".

Ne pas ériger de tabous, mais ne pas en demander trop aux pays les plus forts, telle est la devise de Jean-Claude Juncker

Interrogé sur la proposition faite par José Manuel Barroso que l’EFSF achète à l’avenir les dettes de pays dans le besoin, Jean-Claude Juncker s’est refusé à répondre, précisant cependant qu’il ne conviendrait ni "d’ériger des tabous", ni d’en "demander trop aux pays les plus forts". "Sans solidité il ne peut y avoir de solidarité mais sans solidarité nous ne ferons pas de progrès vers la solidité", a résumé le Premier ministre luxembourgeois.

Jean-Claude Juncker salue par ailleurs le fait que la BCE se soit montrée prête à prendre des mesures non-conventionnelles dans une situation critique. Il concède cependant qu’il est évident que des mesures comme l’achat d’obligations d’Etat auquel a procédé la BCE ne sauraient être poursuivies sans limite dans le temps sans mettre en danger la capacité d’action de la BCE.

De façon plus générale, Jean-Claude Juncker juge "indiscutable" le fait que les membres de l’Eurogroupe doivent se concerter de façon plus étroite en matière de politique, que ce soit évidemment en matière budgétaire, mais aussi sur les questions de marché du travail, qui sont à ces yeux essentielles pour la compétitivité. "Nous ne pourrons éviter de coordonner plus fortement la politique salariale", ajoute encore Jean-Claude Juncker à ce sujet.

"Les euro-obligations ont en Allemagne une image totalement erronée" d’après Jean-Claude Juncker qui a répété à l’envi ses principaux arguments en faveur de cette proposition

Au sujet de la proposition qu’il avait faite avec Giulio Tremonti d’introduire des euro-obligations, Jean-Claude Juncker reconnaît qu’elle ne rencontre pas l’assentiment de la majorité. Pour autant, il se dit "confiant" dans l’idée que cela changera un jour.

"Les euro-obligations ont en Allemagne une image totalement erronée", ajoute Jean-Claude Juncker, expliquant à ses interlocuteurs que "bien développées, elles seraient un instrument qui permettrait de contraindre les Etats les moins vertueux à une meilleure discipline budgétaire".

Face aux doutes exprimés par les journalistes à cette idée, Jean-Claude Juncker martèle que, selon sa proposition, seuls ceux qui s’en tiendraient à la plus stricte discipline budgétaire aurait accès aux euro-obligations. Ainsi, précise-t-il, "ceux qui s’écarteraient de la voie de la consolidation seraient aussi exclus du marché des euro-obligations". Et cela n’aurait selon lui pas pour conséquence, comme l’avancent les journalistes du Spiegel, une augmentation des taux d’intérêt en Allemagne.

"Les euro-obligations créerait un grand marché unique des obligations d’Etat européennes", explique Jean-Claude Juncker, ce qui permettrait à l’Europe de concurrencer à armes égales le marché obligataire américain et pourrait même avoir selon lui pour conséquence de faire baisser les taux d’intérêt allemands. Et de citer pour preuve l’évolution des taux pour les obligations déjà émises par l’UE, qui sont souvent émises à des taux plus bas que ceux des Etats membres.

Pour ce qui est du moteur franco-allemand qu’il juge "essentiel quand il s’agit d’approfondir l’UE", sans pour autant y suffire à lui tout seul, Jean-Claude Juncker se souvient s’être donné beaucoup de peine par le passé pour éviter que les frictions franco-allemandes ne deviennent des conflits européens. Mais il précise aussi que Berlin et Paris doivent veiller à impliquer les autres Etats membres, la déclaration de Deauville n’étant pas à ses yeux "un modèle exemplaire de la façon dont doivent être résolus les conflits européens".

Et pour ce qui est du poste de président du Conseil européen qui lui a échappé en 2009, Jean-Claude Juncker avoue qu’on ne lui a jamais expliqué pourquoi il en a été ainsi alors que la plupart des gouvernements en Europe souhaitaient le voir à ce poste. "J’aurais accepté volontiers cette mission alors", reconnaît-il, en ajoutant toutefois qu’il n’est finalement plus du tout attristé qu’il en soit allé autrement. "Si j’étais devenu président du Conseil européen, la polémique au sein de l’UE se serait peut-être accentuée", s’en explique-t-il aux journalistes car il ne se serait sans doute "pas contenté de synthétiser les opinions des autres chefs d’Etat et de gouvernement".