A l’issue d’un débat qui s’est tenu la veille et qui a duré près de trois heures, laissant deviner d’importantes divergences de vues sur la question, le Parlement européen a voté le 21 novembre 2012 sur deux rapports portant sur l’exploitation de schistes bitumineux et de gaz de schiste dans l’UE. Un sujet qui divise, comme on a pu le constater au Luxembourg et qui, à en croire les parlementaires qui s’opposent ou en tous cas mettent en garde contre leur exploitation, a mobilisé comme jamais les lobbyistes aux portes du Parlement européen.
Dans l’UE, certains pays ont, à l’image de la France et de la Bulgarie, interdit l’exploitation de ces ressources non conventionnelles par la fracturation hydraulique, tandis que d’autres, comme le fait la Pologne avec beaucoup d’énergie, misent pleinement sur le potentiel qu’elles peuvent offrir.
Le démarrage de l'exploration de schiste bitumineux et de gaz de schiste dans certains pays de l'UE devrait être soutenu par des "régimes de réglementation solides", affirme en fin de compte le Parlement européen dans les deux résolutions adoptées. Les États membres devraient également être "prudents" concernant l'autorisation d'exploiter des combustibles fossiles non conventionnels, en attendant l'analyse qui déterminera si le règlement européen est approprié, ont commenté les députés.
Chaque pays de l'UE a le droit de décider d'exploiter ou non du gaz de schiste, souligne la résolution de la commission de l'énergie, rédigée par Niki Tzavela (EFD) et adoptée par 492 voix pour, 129 voix contre et 43 abstentions. Ce texte a été adopté avec les voix des trois eurodéputés PPE luxembourgeois, dont le groupe parlementaire a voté comme un seul homme en faveur de ce texte, et celle de l’eurodéputé socialiste Robert Goebbels.
Toutefois, "un régime de réglementation solide" est nécessaire en ce qui concerne toutes les activités liées au gaz de schiste, notamment la fracturation hydraulique ("fracking"). Des procédés écologiques et les meilleures technologies disponibles devraient être utilisés en vue d'atteindre les normes de sécurité les plus élevées.
Le texte reconnaît que des investissements considérables sont indispensables à la création des infrastructures nécessaires, mais ajoute qu'ils devront "être pris en charge intégralement par l’industrie".
À l'avenir, la production interne de gaz en Europe est vouée à diminuer mais la demande continuera de croître, ce qui devrait faire augmenter les importations à 450 milliards de mètres cubes d'ici 2035, souligne le texte. De nouvelles sources de gaz naturel combinées à d'autres mesures, telles que l'augmentation des sources d'énergies renouvelables et l'amélioration de l'efficacité énergétique, peuvent aider l'UE à atteindre la sécurité de l'approvisionnement, ajoute la résolution.
Bien que la Commission ait déjà conclu que les règles européennes couvrent, de manière adéquate, les licences, l'exploration précoce et la production de gaz de schiste, les perspectives d'expansion de l'exploitation de combustibles fossiles non conventionnelles suggèrent qu'une "analyse détaillée" du règlement européen relatif à ces combustibles est nécessaire, affirment les députés de la commission de l'environnement dans un rapport rédigé par Boguslaw Sonik (PPE) et adopté par 562 voix pour, 86 voix contre et 43 abstentions. Ce texte a été adopté avec les voix de l’ensemble des eurodéputés luxembourgeois qui ont suivi leurs groupes politiques respectifs.
Des projets spécifiques liés à l'utilisation de l'eau devraient accompagner toute activité de fracturation hydraulique ("fracking"), et l'eau devrait être recyclée autant que possible, précise la résolution. Les compagnies doivent déclarer quels produits chimiques sont utilisés, en vue de respecter la législation européenne, ajoute le texte.
Par 391 voix contre 262, et 37 abstentions, le Parlement a toutefois rejeté un amendement présenté par un certain nombre de députés issus de groupes différents, invitant instamment les États membres à n'autoriser aucune nouvelle opération de fracturation hydraulique au sein de l'Union. Parmi les eurodéputés luxembourgeois, seul Claude Turmes a voté, comme le groupe des Verts, en faveur de cet amendement, et il n’a pas manqué de regretter le rejet de cette interdiction. Georges Bach, Frank Engel et Astrid Lulling ont suivi les consignes du groupe PPE et ont voté contre cet amendement, ainsi que Robert Goebbels, dont le groupe était pourtant majoritairement en faveur de cette interdiction. Charles Goerens, dont le groupe est apparu très divisé sur la question, a fait le choix de s’abstenir.
A l’issue de ces votes, Claude Turmes a toutefois salué que le Parlement ait pu voter en faveur d’une interdiction dans les régions écologiquement sensibles, pour des règles européennes strictes pour ce qui est de l’autorisation et des garanties claires.
Dans ce contexte, la position de la Commission est complexe.
Günther Oettinger, qui est en charge de l’Energie, a souligné lors du débat que les gaz de schiste et le schiste bitumineux pouvaient être une source de diversification de l'énergie consommée en Europe. Mais au vu des coûts d'exploitation de cette ressource - supérieurs à ceux constatés aux Etats-Unis du fait notamment que les régions où il y a des gisements sont bien plus peuplées en Europe qu’outre Atlantique - elle ne pourrait jamais couvrir l'ensemble des besoins, a-t-il ajouté.
Comme n’a pas manqué de le rappeler aux parlementaires le commissaire en charge des questions d’environnement, Janez Potocnik, il relève de la compétence des Etats membres d’autoriser, d’évaluer et de suivre les projets d’exploitation d’hydrocarbures dans le respect des règles européennes en matière de protection de la santé, de l’environnement, des eaux souterraines et de surface, mais aussi de gestion des déchets ou encore d’autorisation de produits chimiques. Janez Potocnik, conscient que la Commission européenne doit veiller à ce que les règles soient adéquates pour la fracturation hydraulique, une activité relativement nouvelle sur le territoire européen, a ainsi mis en place en 2012 un groupe d’experts travaillant sur les aspects environnementaux de l’exploitation des combustibles fossiles non conventionnels.
En septembre 2012, la Commission a publié trois études sur ces énergies fossiles non conventionnelles, portant notamment sur les gaz de schiste. Il s’agissait d’évaluer les effets potentiels de ces combustibles sur les marchés de l’énergie, l’impact potentiel de l’extraction de gaz de schiste sur le climat ainsi que les risques potentiels que pourraient présenter les gaz de schiste et la fracturation hydraulique sur la santé humaine et l’environnement.
Entre temps, la Commission a commencé à plancher sur un cadre de gestion des risques pour les combustibles fossiles non conventionnels qui devrait faire l’objet d’une proposition d’ici la fin de 2013. Actuellement, les services du commissaire Potocnik étudie la forme que pourrait prendre ce cadre.