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Culture
Erna Hennicot-Schoepges et l’année européenne du dialogue interculturel
11-01-2008


Interview avec Erna Hennicot Schoepges Erna Hennicot-Schoepges, députée européenne luxembourgeoise affiliée au groupe du Parti Populaire Européen (PPE), a joué un rôle important dans la mise en route de l’Année européenne du dialogue interculturel qui vient d’être lancée par l’Union européenne le 7 janvier 2008 à Ljubljana. Elle a été le rapporteur de la décision du Parlement européen qui a lancé cette initiative. Comme représentante de la commission de travail "Culture" du Parlement européen, elle est devenue un interlocuteur que la Commission ne peut contourner.

Batailles de parlementaire européenne

Dans sa fraction parlementaire, Hennicot-Schoepges dispose selon ses propres dires "d’une certaine liberté" pour organiser des événements autour de la question du dialogue interculturel, comme cette audition publique qui a réuni le 10 janvier 2008 deux cent personnes à Bruxelles. Et elle compte bien préserver le réseau qui s’est constitué autour d’un sujet qui est au cœur de la problématique européenne.

L’ancienne ministre de la Culture et de l’Education du Luxembourg a trouvé et continue de penser que le budget de 10 millions d’euros est insuffisant. Mais elle a au moins réussi à ce que seulement 30 % du budget soit consacré à la communication, et pas 40 %, comme cela était initialement prévu. "J’espère que la communication sur le dialogue interculturel suscite des projets dans les Etats membres et que le budget global soit ainsi tiré vers le haut", dit-elle. Grâce à son engagement, il est maintenant question d’impliquer plus la société civile, le Conseil de l’Europe et les jeunes.

Dans un premier temps, elle avait aussi réussi à ce que le dialogue interreligieux soit cité dans les textes, même si ce n’était qu’avec une voix de majorité. La Commission et le Conseil, et notamment la France, s’y étaient opposés, et le mot "religion" a été remplacé par celui de "croyance", ce qui élargit selon elle le sujet en le définissant moins clairement.

Hennicot-Schoepges regrette beaucoup cette "frilosité" des gouvernements de parler de la question de la religion et du dialogue interreligieux. Cela est selon elle d’autant plus vrai que les Etats membres n’entendent pas toujours la même chose sous le concept de religion. Et de citer l’exemple de la scientologie, qui est reconnue comme église dans certains pays, alors qu’elle est apostrophée comme secte dans d’autres.   

La religion et l’Union européenne

Lors de l’audition publique du 10 janvier, des intervenants de la République tchèque et de la Slovénie ont levé la question de la définition du concept de religion, et comment l’Union européenne pourrait intervenir dans ce domaine. Erna Hennicot-Schoepges a évoqué les peurs qui existent que l’Europe ne devienne un "super-Etat" laïque, qui ne s’occupe plus des définitions et des processus de naissance des valeurs morales.

Dans ce contexte, une religion, l’islam, soulève des malentendus dans la société européenne. Un des intervenants de la conférence a donné comme exemple la définition du terme "dialogue" qui, traduit en arabe, signifie "négociation" Pour la députée européenne, cela montre à quel point les concepts peuvent diverger d’une religion ou culture à l’autre. "Nous ne pouvons pas nous rapprocher si nous ne discutons pas de ces problèmes, qui concernent des millions de personnes", a-t-elle souligné.

Lors de l’audition publique du 10 janvier, Bekir Alboga, le directeur de l’Union turque-islamique en Allemagne, s’est élevé contre la stigmatisation de la religion musulmane en Europe. "Il faut surmonter l’amalgame terrorisme-islam, tel qu’il se fait souvent depuis les attentats du onze septembre 2001", a expliqué Erna Hennicot-Schoepges. "Dix-sept millions de musulmans vivent actuellement sur le territoire de l’Union, contre 450 millions de non-musulmans. Il n’y a donc pas un risque de déséquilibre ou que nous soyons submergés, comme certains le craignent." La députée européenne veut bien reconnaître qu’il y ait des inquiétudes face à la religion musulmane. "Pour ouvrir ceux qui ont des craintes à un dialogue interreligieux qui aille vers les contenus, il faut d’abord leur enlever cette angoisse."

Un autre élément qui plaide selon Hennicot-Schoepges en faveur du dialogue interreligieux - une étude européenne, l’ European Value Study - révèle que la majorité des citoyens européens se déclarent attachés à une religion ou à une croyance transcendantale. D’autre part, il existe une grande disparité entre ce qui se dit et se pense en la matière dans les nouveaux Etats membres et les anciens Etats membres.

Le rôle des gouvernements

Les gouvernements ont également un rôle à jouer dans le dialogue interculturel et interreligieux selon Erna Hennicot-Schoepges. Elle a estimé que les Etats doivent avant tout faire respecter leurs engagements, comme par exemple ceux que 25 Etats ont pris avec la Charte des droits fondamentaux, liée au nouveau traité européen et de ce fait pas encore ratifiée. Il s’agit de garantir leurs droits aux différentes communautés, tout en évitant la création de sociétés parallèles, dont certaines pratiques, contraires par exemple à l’égalité entre l’homme et la femme, peuvent aller à l’encontre des droits fondamentaux. "Ici, nous nous heurtons aux limites de la tolérance", a-t-elle affirmé. Il faut de l’acceptation, et pas seulement de la tolérance.

La fracture culturelle peut être dépassée par le savoir sur l’autre

Les dialogues interculturel et interreligieux présupposent l’entente des différentes communautés. Le savoir sur l’autre peut aider les citoyens à mieux se comprendre. Pour Erna Hennicot-Schoepges, la connaissance de l’Histoire joue un rôle fondamental dans le dialogue entre les communautés ou les citoyens des Etats membres, anciens ou nouveaux, peu importe. Selon elle, l’Europe doit trouver un consensus sur une nouvelle manière d'enseigner l’histoire européenne à l’école et créer une méthodologie commune. Elle a souligné : "Intégrer l’histoire dans le dialogue interculturel est un des objectifs à moyen terme de l’année 2008."

Qu’il existe un vrai besoin de connaissance sur l’histoire et la religion, est prouvé selon elle par le succès que la journée de la culture juive connaît depuis sa création et qui conduit entre autres nombre de chrétiens à réfléchir aux origines de leur propre foi.

La culture et la cohésion sociale

La culture trouve son fondement selon Erna Hennicot-Schoepges dans les techniques et activités culturelles qui découlent de l’usage que l’être humain fait de ses cinq sens. Certaines de ces facultés sont pour elle de moins en moins soignées. D’où la nécessité de commencer dès la prime enfance à apprendre aux enfants comment écouter, parler, chanter, regarder, etc.. Mais il faut penser plus loin. "Les sociétés humaines peuvent trouver leur cohésion dans la culture, si elles l’y cherchent", affirme-t-elle.

La question est en Europe de savoir si l’Union européenne veut être seulement un marché ou un instrument de cohésion du continent. "Le traité de Lisbonne et la Charte des droits fondamentaux nous fournissent le modèle vers lequel on doit aller : un modèle sociétal inédit basé sur le respect et la reconnaissance de l’autre." La députée européenne, pour laquelle Charte des droits fondamentaux et dialogue interculturel vont de pair, est convaincue qu’il faut donner la possibilité aux citoyens européens d’aller vers l’autre, cet "aller vers l’autre" étant un véritable facteur de cohésion. Pour aller vers l’autre, l’individu doit être capable d’aller au-delà de lui-même, de s’ouvrir.

Le dialogue interculturel constitue dans ce contexte un véritable "apprentissage du vivre ensemble" dans nos sociétés, et au-delà de nos frontières avec les autres Européens. "Car il y a tant de différences entre les gens qui vivent en Europe qu’il faut aborder ces différences de manière consciente, si l’on veut vivre ensemble." Connaître les cultures, l’histoire des autres, c’est fondamental pour Erna Hennicot-Schoepges.

Le multilinguisme

Le multilinguisme joue un rôle important dans le dialogue interculturel. "Chaque langue mène vers la philosophie de ceux qui la parlent. Nous avons en la personne du Roumain  Leonard Orban un commissaire européen en charge du multilinguisme. Mais son intérêt se porte actuellement surtout vers les minorités. Cela renforce évidemment la diversité linguistique de l’Europe. Mais de l’autre côté, cela pose des problèmes de communication qui nous poussent de plus en plus à utiliser comme lingua franca du mauvais anglais."

Le multilinguisme reste donc pour Erna Hennicot-Schoepges la voie royale vers une meilleure communication entre les Européens, à condition que l’on commence dès leur plus jeune âge à faire écouter aux enfants des langues étrangères. Leur ouïe s’habituera à ces sons qui ne sont pas ceux de leur langue maternelle et ils pourront apprendre plus facilement les deux langues étrangères qui sont, dans un rapport du Parlement européen, définis comme un objectif de la politique d’apprentissage des langues de l’Union européenne.

Ce qu’il faudrait selon Hennicot-Schoepges, c’est une sorte de généralisation en Europe du modèle des écoles européennes, avec un apprentissage précoce des langues étrangères enseignées de préférence par des "native speakers".

Mettre en réseau ce qui existe et faire tomber les cloisons

La députée n’est pas du tout d’avis qu’il faut réinventer la roue pendant l’année du dialogue interculturel. "Il est important que l’Union européenne aide à mettre en réseau des initiatives existantes dans les domaines de la jeunesse, de la lutte contre le racisme, dans l’éducation ou de l’égalité des droits. La directrice générale pour l’Education et la Culture de la Commission européenne a pu identifier 89 initiatives et projets qui se prêtent à une telle mise en réseau."

En ce qui concerne le Luxembourg, Erna Hennicot-Schoepges verrait avec plaisir au cours de cette année du dialogue interculturel qu’il y ait des projets qui conduisent à de véritables rencontres entre les élèves des différents systèmes scolaires que le pays connaît depuis un certain temps - l’école publique, l’école européenne et les différentes écoles internationales - dont les élèves ne se rencontrent et ne se mêlent pour ainsi dire jamais. Elle aimerait également que les relations intergénérationnelles soient abordées sous un jour nouveau, car "les cloisonnements sont là aussi trop forts".

Pour Erna Hennicot-Schoepges, le dialogue interculturel constitue donc un élément fondamental pour la cohésion sociale des 27 pays de l’Union européenne. "Le dialogue interculturel ne peut donc pas s’arrêter avec l’année 2008", a-t-elle souligné. "Elle doit être poursuivie dans sa substance."