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Economie, finances et monnaie - Éducation, formation et jeunesse
Juncker explique le sens de la monnaie unique aux lycéens de la Grande Région
07-01-2008


Jean-Claude Juncker discute avec des élèves du Luxembourg et de la Grande Région dans le cadre de "InterLycées"La zone Euro, l’euro et l’Eurogroupe étaient au centre du débat organisé par Interlycées à l’Athénée de Luxembourg dès le premier jour de la rentrée du deuxième trimestre 2007/2008. L’invité de lycées de Luxembourg, de Thionville et d’Arlon était le Premier ministre et ministre des Finances luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Son public était avant tout composé de lycéens de la tranche d’âge 16-19 ans. Une véritable gageure pour Juncker que d’expliquer à un public aussi jeune le fonctionnement et la signification de la monnaie unique et de sa zone économique qui sont pourtant à la base de tout geste économique de tout résident de la zone Euro.   

Juncker : "Des pays qui ont la même monnaie ne se font pas la guerre"

Juncker fit donc un retour en arrière sur l’histoire européenne du 20e siècle et les origines de l’UE. De la CECA, qui vit en 1952 la mise en commun par six pays des ressources sidérurgiques et charbonnières qui constituaient le nerf des guerres qui avaient dévasté l’Europe, au Traité de Rome de 1957 qui initia la création de ce qui est aujourd’hui l’Union européenne, l’Europe, de vieux rêve devint un vrai projet politique de paix qui perdure.

Dans le cadre de ce vieux projet, l’euro est un projet nouveau. Le plan Werner de 1970 préconisa la monnaie unique. L’Acte unique de 1985, qui mit en marche le marché intérieur, la prévoyait. Le traité de Maastricht de 1991 la prescrivait. "On dit que la monnaie unique est une réponse de l’Europe à l’unification de l’Allemagne. C’est vrai et c’est faux", dit Juncker. Et d’expliquer que le oui de l’Europe à l’unification de l’Allemagne entraînait la création d’une Allemagne plus forte et que la monnaie unique était "un moyen de rendre la construction irréversible."

L’idée directrice était selon Juncker une "idée simple" : des pays qui ont la même monnaie ne se font pas la guerre. En même temps, l’idée classique de l’Etat national que l’Europe avait héritée du 19e siècle, cette idée qui dit qu’un Etat est Etat parce qu’il a son territoire, sa monnaie et son armée, commença à muer. "Le Luxembourg a bien été et est toujours un Etat, même s’il n’avait pas sa monnaie et n’avait pas d’armée. Mais il avait une monnaie et des soldats. Aujourd’hui, en Europe, les Etats tels qu’ils ont été conçus au 19e siècle n’existent plus."

"La monnaie unique est le prolongement naturel du marché intérieur"

Avant, l’Europe était compartimentée en marchés nationaux. Aujourd’hui, et c’est un des leitmotivs du Premier ministre,  "la monnaie unique est le prolongement naturel du marché intérieur." Et il ajoute : "Il ne peut y avoir de politique économique cohérente englobant les sous-économies nationales de la zone Euro sans monnaie unique qui leur donne du tonus sur les marchés internationaux."

Qu’a apporté l’euro aux Européens ? Juncker dresse l’inventaire. Les coûts de transaction, qui absorbaient jusqu’à 2 % du PIB, ont substantiellement baissé. Le risque monétaire lié aux dévaluations compétitives qui faisait dépendre le sort des entreprises de l’arbitraire des gouvernements nationaux a changé d’amplitude. La zone Euro résiste mieux aux chocs extérieurs et a fait disparaître l’anarchie due à la haute réactivité des monnaies nationales face aux crises pétrolières et financières. Sans euro, le carburant à la pompe serait au moins 48 % plus cher qu’il ne l’est maintenant.

Tout cela prouve selon Juncker l’utilité de la Banque centrale européenne. Pourtant, au début, raconte-t-il aux lycéens, lorsque la direction vers la monnaie unique a été prise, les Allemands voulaient faire prévaloir leur "théorie du couronnement" ("Krönungstheorie"). Cela voulait dire que l’on construirait d’abord l’Europe politique, ensuite l’Europe économique et finalement, pour couronner le tout, l’Europe monétaire. Vu les difficultés que le Royaume Uni notamment opposait à une vision politique de l’Europe, et que l’on n’arriverait pas à la monnaie unique par ce chemin-là, l’Allemagne put être convaincue de choisir l’autre voie qui passait d’abord par la fixation de critères de convergence économiques: un déficit budgétaire inférieur à 3 %, une dette publique inférieure à 60 % et une inflation qui ne dépassait pas la moyenne communautaire. Très longtemps, seul le Luxembourg était en mesure de respecter ces critères, et la peur fut grande que le projet n’échouât. Le Pace de stabilité de 1996, réformé en 2005, contribua à galvaniser les efforts de convergence et à augmenter la confiance entre les partenaires. En 1999, 11 pays avaient satisfait aux critères, et ils furent bientôt rejoints par la Grèce. Depuis le 1er janvier 2008, la zone Euro est composée de 15 Etats sur 27.

Les difficultés de la coordination des politiques économiques

La Banque centrale européenne est l’autorité qui coiffe la monnaie unique. Depuis qu’elle a été mise en place, les banques centrales nationales ne jouent plus le même rôle. La BCE regarde la zone Euro dans son ensemble. La coordination des politiques économiques des Etats membres est par contre plus difficile. Leurs gouvernements regardent l’intérêt national avant de jeter des ponts, car des divergences existent entre les économies nationales.

Comme il existe aussi des différences salariales de pays à pays. Les différences salariales entre pays de l’UE inspirent une certaine crainte aux salariés des pays européens à hauts salaires. Juncker a essayé de relativiser le problème : "Il y a des différences salariales au sein même des Etats nationaux, et il y en a également dans la zone Euro. La coordination des politiques salariales est outrageusement difficile. Mais il faut arriver à fixer des règles pour coordonner en général nos économies. La modération salariale, qui exige que des augmentations salariales s’effectuent en fonction de la productivité en est une. Aujourd’hui, dans l’Eurogroupe, les gouvernements viennent pour discuter de leurs grandes décisions économiques. Finalement, en 2010, nous nous sommes tous engagés à respecter l’équilibre budgétaire."

L’Europe avec ou sans l’euro

Le résultat de tout cela selon Juncker : "L’euro est stable. L’euro est fort, ce qui inquiète certains." Mais aussi : "Sans monnaie unique, l’UE serait politiquement plus faible. L’UE ne pourrait pas maîtriser le débat macro-économique dans les institutions financières internationales comme c’est le fait aujourd’hui où elle constitue le plus important actionnaire du Fonds monétaire international. Selon ce critère, le siège du FMI ne devait pas se trouver à Washington, mais à Francfort. L’Eurogroupe siège aussi au G7, où se préparent toutes les grandes décisions monétaires et où les USA n’arrivent plus à imposer tout seuls leur volonté."

Il faudrait cependant tirer, selon Juncker, les conséquences sociales de la construction européenne. Une première conséquence serait la fixation d’un socle de droits sociaux minimaux des travailleurs. Il faudrait également mettre un terme aux indemnités mirobolantes des managers qui prônent la modération salariale pour leurs employés. Il est nécessaire qu’à terme, la monnaie unique soit perçue comme un élément protecteur.

Le Premier ministre conclut sur l’élargissement qui devrait être perçu plus comme une chance qu’il faut saisir que comme une menace. "Nous, les héritiers d’une histoire continentale tragique, devrons veiller à ce que de plus en plus, les problèmes de ce continent d’où la guerre a disparu, soient cogérés. La construction européenne demande beaucoup de patience, sur de longues distances pour une grande ambition."

Le débat

Lors du débat, Juncker put aborder la question de l’inflation, "le pire ennemi de ceux qui sont économiquement faibles, et des salariés, qui sont les premières victimes de l’inflation." Il a défendu la politique d’indexation des salaires qui diminue les risques auxquels l’inflation expose les salariés. Ce qui importe en UE, c’est d’augmenter le degré de prévisibilité de l’inflation, car une telle prévisibilité incite à investir en UE et induit donc la croissance et la création d’emplois. Une politique de stabilité des prix n’est donc pas contraire à la croissance. Des budgets équilibrés, des prix stables, voilà la recette prônée par Juncker.

Finalement, Jean-Claude Juncker termina, sur un éloge de deux petits Etat européens, Malte et Chypre, et suite à une question sur une éventuelle langue unique européenne, sur une défense de l’unité de l’Europe dans sa diversité qui est sa grande richesse.