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Agriculture, Viticulture et Développement rural
Le difficile équilibre entre la transparence sur l’attribution des aides agricoles communautaires et la protection des données à caractère personnel
Une question parlementaire du député libéral Etgen suscite une réponse circonstanciée du ministre de l’Agriculture, Fernand Boden
01-04-2009


Dans une question parlementaire adressée au ministre de l’Agriculture, Fernand Boden, le député libéral du Nord, Fernand Etgen, a abordé la question de l’équilibre entre la transparence sur l’attribution des aides agricoles communautaires et la protection des données à caractère personnel.

Le député constate que "selon des dispositions européennes, les données des bénéficiaires de subsides et d'aides agricoles doivent depuis peu être rendues publiques" et qu’elles sont publiées sur le site Internet du Ministère de l’Agriculture.

Fernand Etgen relate d’autre part que le 27 février 2009, un tribunal administratif allemand, en l’occurrence celui de Wiesbaden, a prononcé un jugement notifiant que la publication de ces données était "contraire aux dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel. Le tribunal a, dans ce contexte, entre autres critiqué la publication des données sur Internet. De l'avis du tribunal, un contrôle des données par des instances de contrôle financier serait suffisant."

Dans ce cadre, Fernand Etgen a voulu savoir

  • si, au vu de cet arrêt, "il ne serait opportun de suspendre la publication sur internet des données en cause",
  • si un contrôle des données par une instance du contrôle financier pourrait se substituer à la publication des données sur Internet et
  • si la Commission nationale de protection des données (CNPD) a déjà communiqué sa position sur la publication de ces données sur Internet.

Le ministre de l'Agriculture, Fernand Boden, lui a répondu en date du 30 mars 2009.

I.

Concernant la législation communautaire imposant la publication des données personnelles des bénéficiaires d'allocations FEAGA (Fonds européen agricole de garantie) et FEADER (Fonds européen agricole de développement rural), deux règlements sont d'application. En vertu de ces règlements, les Etats membres sont tenus d'assurer, sur un site web, la publication annuelle a posteriori des noms des bénéficiaires du FEAGA et du FEADER ainsi que des montants reçus par chaque bénéficiaire au titre de chacun de ces fonds.

Les sites des Etats membres doivent mentionner, pour chaque bénéficiaire, des informations telles que le nom et le lieu de résidence (avec le code postal), ainsi que le montant total de financement public reçu. Par ailleurs, chaque site doit être équipé d'un moteur de recherche, permettant d'accéder aux données en fonction d'un ou de plusieurs critères, à savoir le nom du bénéficiaire, sa commune, ou le montant total des subventions accordées.

Le fait de mettre ces informations à la disposition du public a pour objectif d'accroître la transparence de l'utilisation des ressources communautaires dans le cadre de la politique agricole commune et d'améliorer la bonne gestion financière de ces fonds, notamment en renforçant le contrôle public de l'utilisation des sommes concernées.

Un agriculteur hessois a fait recours, devant le Verwaltungsgericht de Wiesbaden, contre la publication, sur Internet, de ses données personnelles en tant que bénéficiaire de subventions agricoles. Par décision du 27 février 2009, le tribunal administratif de Wiesbaden a suspendu le recours et a saisi la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) de l'affaire.

Plus précisément, le tribunal a demandé à la CJCE de se prononcer à titre préjudiciel sur la question si la publication des données personnelles des agriculteurs est conforme au droit au respect de leur vie privée, ce droit étant un des principes fondamentaux du droit communautaire. En effet, le tribunal considère la publication des données comme incompatible avec le droit communautaire.

Les juges allemands font valoir que la publication des données des agriculteurs bénéficiaires de subventions agricoles constituerait une atteinte grave au droit de la protection des données, et que cette atteinte ne serait pas justifiée. Pour les juges, les moyens employés - la publication d'informations - sont disproportionnés par rapport à l'objectif poursuivi - la transparence de l'utilisation des deniers communautaires.

Le tribunal observe que la CJCE, dans une affaire similaire, aurait jugé que la finalité de la transparence pourrait être atteinte si les données étaient portées à la seule connaissance des organes de contrôle. En outre, le Verwaltungsgericht se demande pourquoi les données doivent être publiées sur Internet, car une telle mesure dépasserait de loin les démarches nécessaires, dans une société démocratique, à la prévention de fraudes.

Par leur publication sur un site web, les données personnelles des agriculteurs seraient disponibles non seulement dans l'Union européenne, mais dans le monde entier, et, même si les textes européens prévoient que les données soient supprimées du site deux ans après leur publication, le stockage des informations par d'autres services web, de manière durable le cas échéant, ne peut être exclu.

II.

Etant donné que le tribunal administratif de Wiesbaden a demandé à la CJCE de statuer, à titre préjudiciel, sur la conformité de la publication des données des bénéficiaires de subventions agricoles à la réglementation européenne en matière de protection des données personnelles, il y a lieu, avant de prendre de décision, quelle qu'elle soit, d'attendre que la Cour se prononce.

En effet, le système du renvoi préjudiciel est un mécanisme fondamental du droit de l'Union européenne, qui a pour objet de fournir aux juridictions nationales le moyen d'assurer une interprétation et une application uniformes de ce droit dans tous les Etats membres. Il convient de noter que dans le cadre de la procédure préjudicielle, le rôle de la Cour de justice est de fournir une interprétation du droit communautaire ou de statuer sur sa validité, et non d'appliquer ce droit à la situation de fait sous-tendant la procédure au principal, rôle qui revient à la juridiction nationale.

Par ailleurs, je tiens à rendre l'honorable Député attentif au fait que deux recours ont été introduits par des agriculteurs luxembourgeois devant le tribunal administratif national. A ce jour, le tribunal n'a pas encore rendu de jugement.

III.

Il convient d'observer qu'en procédant à la publication des données, le Luxembourg obéit à une obligation supranationale. Sous réserve de respecter la réglementation européenne, des méthodes autres que la publication des données des agriculteurs bénéficiaires de subventions pourront être envisagées pour garantir la transparence de l'utilisation des fonds communautaires dans le cadre de la politique agricole commune.

IV.

Les discussions entre le Ministère de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et la CNPD ont porté sur la question de savoir si les agriculteurs concernés par la publication bénéficieraient du droit d'opposition que la loi accorde aux personnes concernées par un traitement de leurs données personnelles. Il a été conclu que l'article 30, paragraphe 1 (a) de la loi modifiée du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel trouverait à s'appliquer. Aux termes de cet article, "toute personne concernée a le droit de s'opposer à tout moment pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à sa situation particulière, à ce que des données la concernant fassent l'objet d'un traitement, sauf en cas de dispositions légales prévoyant expressément le traitement. En cas d'opposition justifiée, le traitement mis en œuvre par le responsable du traitement ne peut pas porter sur ces données".

En vertu de la loi, le droit d'opposition ne s'applique donc pas dans le cas où des dispositions légales prévoient expressément le traitement. La publication des données des agriculteurs trouve son origine dans des règlements communautaires, qui, étant d'application directe, ne nécessitent pas de transposition et sont applicables tels quels par les Etats membres.

V.

Finalement, je voudrais signaler que les autorités luxembourgeoises ont limité les données à publier au strict minimum prévu par la réglementation communautaire.