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Economie, finances et monnaie
Jean-Claude Juncker prévoit pour l’automne "une révolution dans la gouvernance de la zone euro"
Dans son discours d’Oslo, le président de l'Eurogroupe a dressé les grandes lignes et les conditions du changement et de la sortie de la crise
15-06-2010


Jean-Claude Juncker à Oslo © 2010 SIP / Luc Deflorenne Le 15 juin 2010, le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, s’est rendu en Norvège pour une visite de travail. A l’occasion de sa visite à Oslo, Jean-Claude Juncker a prononcé un discours à la Conférence européenne 2010 placée sous le thème "L’avenir de l’Europe en jeu".

Très en verve et ironique face à ceux qui prophétisent l’échec de l’euro, Jean-Claude Juncker a admis que "les temps sont turbulents" et que "la cohésion de la zone euro est mise à rude épreuve". Il a également admis qu’il y a eu des divergences d’opinion entre les membres de la zone euro, mais dans un groupe de 16, et bientôt 17 pays, "cela est inévitable". Juncker demeure néanmoins optimiste, car ce qui importe maintenant est de gérer ces différences.

Pourquoi Jean-Claude Juncker est optimiste

L’optimisme de Jean-Claude Juncker quant à la zone euro se base sur deux constats.

Le premier concerne le côté monétaire de l’UEM, l’union économique et monétaire. Le crédit que la BCE a acquis ces dernières années sur les marchés en garantissant la stabilité des prix lui a permis d’entreprendre des actions moins orthodoxes pour protéger la stabilité de la zone euro. "On ne pouvait lui en demander plus", conclut Juncker sur cet aspect des choses. 

Le deuxième constat sur lequel il fonde son optimisme concerne le volet économique de l’UEM. Un consensus s’est dégagé au sein de l’UEM pour que chacun des Etats membres prenne maintenant ses responsabilités et corrige les erreurs commises dans le cadre des politiques économiques nationales. L’urgence de coordonner les politiques économiques, de réformer les marchés du travail ou d’aborder les problèmes soulevés par les engagements croissants vis-à-vis des systèmes de pensions ou de santé s’est imposée, un nouveau sentiment de responsabilité est né et une fenêtre politique s’est ouverte dont il faut profiter pour mener à terme les ajustements nécessaires et rendre plus efficace le pilier économique de l’UEM.

Quelques pays, a souligné Jean-Claude Juncker ont pris déjà bien avant les bonnes décisions pour juguler le déficit budgétaire et le maintenir en-dessous du seuil de 3 %, voire pour aller vers des budgets en équilibre ou excédents, afin d’alimenter des fonds capables de faire face aux engagements et dépenses à long terme dans les systèmes de retraite et de santé. Ils ont commencé à élaborer des plans budgétaires multi-annuels qui tenaient compte de leur développement démographique. Ils ont réussi de même à créer un consensus politique autour de cette discipline budgétaire. Cela ne les a pas empêchés d’être touchés par la crise, mais ils ont pu prendre des décisions stratégiques pour l’affronter et n’ont pas été contraints de se voir dicter leur comportement par l’urgence du jour pour éviter un désastre.   

 Finalement, l’optimisme de Jean-Claude Juncker vient aussi du fait qu’il devient de plus en plus difficile en Europe, de parler de "notre" et de "leur" économie et que le temps est venu, dans la zone euro, que chaque pays soit aussi honnête avec soi-même que l’on été les pays nordiques lors de la crise qu’ils ont dû affronter dans les années 90.

Tenir compte des réalités de la zone euro et prendre ses responsabilités

Jean-Claude Juncker à Oslo © 2010 SIP / Luc DeflorenneMais pour arriver à cet objectif, il faut franchir plusieurs pas en tenant compte des réalités de l’UEM et en prenant ses responsabilités.

Tenir compte des réalités de l’UEM veut dire pour Jean-Claude Juncker reconnaître qu’ "une union monétaire avec un taux d’intérêt unique est conçue pour aborder la position de l’ensemble de la zone euro". Ce que tout le monde savait quand il a rejoint l’euro, et "ce qui devrait rendre chacun capable de calculer sa part relative dans cet ensemble et d’ajuster ses attentes quant à ce que la politique monétaire pourrait faire pour nous en fonction de ces réalités."

Prendre des responsabilités veut dire pour Jean-Claude Juncker qu’il faut expliquer aux citoyens européens qu’ils ne pourront "plus prendre leur retraite généreusement financée par l’Etat avant soixante ans et bénéficier de soins de santé de toute première qualité, que l’on ne pourra plus employer les personnes durant toute leur vie, avec une promotion garantie et des ajustements salariaux annuels, des bonifications sous forme de 13e ou 14e mois et des pensions généreuses." Il faudra aussi prendre des responsabilités vis-à-vis des autres membres de l’UEM en matière fiscale et de contrôle des salaires pour éviter l’inflation ou des pertes de compétitivité. La surveillance des politiques budgétaires et l’évaluation de la compétitivité des Etats membres seront sujettes à un mécanisme formel.

Contre ceux qui critiquent le remplacement de la stratégie de Lisbonne, qui a échoué, par la stratégie Europe 2020, Jean-Claude Juncker a avancé la thèse que les Etats membres qui avaient fait leur travail dans le cadre de Lisbonne sont désormais mieux placés pour sortir de la crise. "Mais ceux qui n’ont pas fait leur travail sont sous pression, et à cause d’eux toute la zone euro est sous pression". D’où la nécessité que tout le monde tienne ses engagements. Et pour que cela se fasse dans l’ordre, il faut créer un cadre formel adéquat. La Commission européenne et la BCE seront ici d’une grande utilité avec leurs analyses.

Les pays de la zone euro doivent tenir leurs engagements

Pour que les pays de la zone euro tiennent leurs engagements, Jean-Claude Juncker a prôné plusieurs mesures:

  1. "Toutes les données qui seront soumises par les Etats membres pour l’analyse budgétaire seront fiables et actualisées" grâce à des offices statistiques indépendants.
  2. "Nous devrons discuter de nos budgets au juste moment, bien avant les décisions finales" pour avoir une vue juste de la position fiscale de la zone euro et des Etats membres dans cette zone euro. Cela sans préjudice pour les procédures parlementaires nationales.
  3. "Nous devons être clairs sur le fait que l’objectif de nos stratégies de politique budgétaire devraient durer au-delà d’une année et de celle qui la suivra, et au-delà des prochaines élections." Des stratégies à long terme pour assurer la durabilité des finances publiques sont devenues nécessaires. La zone euro a jusque là été incapable d’aller dans ce sens. D’où la nécessité de réformer le cadre qui aidera les pays à agir en conséquence, d’éviter les déficits, de ne pas dépasser les seuils voire de dégager des excédents.
  4. "Nous devons être capables de faire appliquer nos recommandations de politique budgétaire par nos partenaires." La procédure de sanctions pour dépassement budgétaire était selon Juncker conçue pour que l’on n’ait pas besoin d’y avoir recours. Avoir été obligé d’y avoir recours est un échec pour tout le monde. Jean-Claude Juncker prône pour cela le recours gradué "à des sanctions qui ressemblent un peu plus à des pressions diplomatiques puis à des forces conventionnelles", et ce pour éviter d’avoir à trouver des solutions quand le problème est déjà devenu incontrôlable.
  5.  "Nous avons besoin d’une forte révision des politiques économiques et budgétaires" assortie de procédures formelles et d’exigences contraignantes pour pousser les Etats membres à prendre les bonnes décisions et à éviter des décisions dures à leur égard.

Si ces cinq éléments sont réunis, il sera selon Jean-Claude Juncker plus facile de procéder à la mise en place d’un sixième élément, celle d’un mécanisme permanent chargé de gérer les crises liées aux dettes souveraines dans la zone euro, alors que jusque là, l’Europe ne dispose que d’un mécanisme d’urgence. La solidarité existe en Europe, mais il y a aussi des réticences vis-à-vis de ceux qui sont considérés comme ne jouant pas le jeu dans la résolution de leurs propres problèmes. Un mécanisme de soutien permanent devra être basé sur "la solidarité mutuelle" et celle-ci requiert "des comportements responsables qui justifient le soutien à un Etat membre quand les choses vont mal."

Et pour que tous les acteurs comprennent un peu mieux ce qu’est l’euro et qui le représente, il vaudrait mieux aussi que "la confusion soit réduite par un engagement à la cohésion interne de la zone euro, et par sa représentation uniforme et unifiée à l’extérieur". Jean-Claude Juncker s’attend, après la remise des rapports de la Task Force de Herman Van Rompuy sur la gouvernance économique de l’Europe en octobre 2010, à de grands changements en ce qui concerne le degré de coopération et de coordination économique en Europe, "voire à une révolution dans la gouvernance de la zone euro, avec un niveau plus élevé de la responsabilité individuelle et collective".

Jean-Claude Juncker critique l'abaissement "irrationnel" de la note de la Grèce par l'agence de notation financière Moody's

En marge de la conférence, Jean-Claude Juncker, a critiqué l'abaissement "irrationnel" de la note de la Grèce annoncé la veille par l'agence de notation financière Moody's, estimant que les marchés financiers s'apercevraient "dans quelques mois qu'ils ont eu tort". "Je ne comprends pas pourquoi cette nouvelle dégradation est intervenue", a déclaré le président de l’Eurogroupe. Et il a ajouté que les marchés financiers interprètent « de façon erronée les décisions qui ont été prises".

Le Premier ministre luxembourgeois a notamment souligné que la Grèce s'était pliée à de "strictes" conditions d'assainissement de ses finances publiques pour recevoir l'aide des autres pays de la zone euro et du Fonds monétaire international (FMI). "Ces abaissements de note ne sont pas, dans chaque cas, compréhensibles et rationnels", a-t-il affirmé.

L'agence de notation Moody's a abaissé le 14 juin 2010 la note de la Grèce de quatre crans, de "A3" à "Ba1", la reléguant à son tour dans la  catégorie spéculative pour un risque de non-remboursement de sa dette publique, mais Athènes a jugé cette sanction sans fondement. La Grèce a déjà subi des baisses de notation par les deux autres agences. Elle est notée BB+ par Standard and Poor's, qui la range également dans la catégorie des investissements spéculatifs, et BBB- par Fitch.