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Sport - Justice, liberté, sécurité et immigration
Schengen, 25 ans après : Et le football dans tout ça ? Mobilité des joueurs et des groupes de supporteurs radicaux
06-06-2010


Le 6 juin 2010, à quelques jours à peine du lancement de la Coupe du Monde de football, la ville de Thionville et Schengenl’Institut Pierre Werner (IPW) ont eu l’idée pleine de malice de s’interroger, dans le cadre du 25e anniversaire des accords de Schengen, sur l’impact qu’avait pu avoir la libre circulation sur le monde du football.

Loïc Ravenel, géographe de l’Université de Franche Comté ayant fait du sport et des flux migratoires sur le marché du football son principal objet de recherches et Sébastien Louis, historien enseignant à l’école européenne de Luxembourg et auteur d’une thèse sur les "ultras" italiens, étaient donc invités pour discuter de la mobilité des joueurs mais aussi de celles des "ultras", ces groupes de supporteurs attachés à un club qui s’organisent et se structurent à travers l’Europe.

Les ultras italiens, des groupes radicaux nés de la contestation dont le mode d’action s’exporte en Europe et au-delà

Le phénomène "ultras", né en Italie à la fin des années 60’ dans le triangle industriel formé par Milan, Gênes et Turin, se distingue des mouvements de hooligans britanniques dont l’objectif est bien souvent limité au désir d’affronter le gang de hooligans de l’équipe adverse. Comme l’a expliqué Sébastien Louis, ces groupes nés de la contestation en Italie se sont en effet structurés pour échapper à une structuration de la vie sociale reposant sur l’opposition entre église et parti communiste.

Sébastien LouisS’armant de portes voix, de drapeaux géants, de banderoles, faisant face à une sorte de chef d’orchestre qui organise l’action des supporteurs en se mettant face à eux – et donc dos au terrain où se joue le match – les ultras se sont structurés dans le courant des années 70’ en s’inspirant des groupes radicaux. Il existe ainsi des ultras proches des idées d'extrême gauche, d'extrême droite, - pour la majorité d'entre eux aujourd'hui -, mais aussi de mouvements qui ont fait de la lutte contre le racisme leur fer de lance.

Au début des années 80’, à l’occasion de rencontres de coupes d’Europe, les supporteurs venus d’ailleurs sont impressionnés par ces tribunes colorées, animées par des chorégraphies qui vont finalement inspirer le reste de l’Europe. Les premiers exemples sont relevés à Marseille où le premier groupe français, appelé "commando ultra", est créé.

Plus récemment, on a pu observer que le modèle des ultras s’exporte bien au-delà des frontières européennes puisque des groupes japonais s’inspirent des symboles et actions italiens…

L’arrêt Bosman : coup d’envoi de la mobilité des joueurs communautaires

L’arrêt Bosman, rendu en décembre 1995 suite à une plainte d’un footballeur belge au sujet de l’indemnité de transfert pratiquée depuis les années 20’ afin d’éviter le racolage, a constitué la première intervention de l’UE dans la législation sur la mobilité des joueurs de football. Jugeant l’indemnité illégale et rappelant, au sujet des quotas de joueurs non nationaux, qu’il n’y avait aucune raison de pratiquer quelque discrimination que ce soit, la Cour de Justice a ainsi inscrit dans la jurisprudence le fait que la libre circulation des travailleurs valait aussi pour lesLoïc Ravenel footballeurs communautaires.

Loïc Ravenel estime que cet arrêt a conduit à la multiplication de joueurs non nationaux dans les équipes et à la démultiplication des transferts. Ainsi entre 1995 et 2005, la part de joueurs non nationaux dans les équipes participant aux grands championnats européens est-elle passée de 20 à 40 %. Finalement, pour les ultras, les joueurs, qui n’ont de plus en plus souvent rien à voir avec le territoire où ils jouent, sont des sortes de "mercenaires".

Quant à savoir si ce phénomène a eu des conséquences pour les ultras, Sébastien Louis a rappelé que ce qui compte pour ces supporteurs, qu’ils soient d’extrême gauche, comme à Livourne, ou d’extrême droite, comme à Gênes, c’est l’adhésion au club, l’identification à la couleur du maillot. S’ils refusent ainsi parfois de scander le nom de certains joueurs par protestation, leur identification à la ville et à une identité locale n’a pourtant pas empêché les supporteurs ultras de s’adapter aux conséquences de l’arrêt Bosman. L’essentiel c’est la fidélité, l’engagement du joueur ou ses exploits sur le terrain. L’Inter de Milan, qui compte essentiellement des joueurs étrangers, est ainsi soutenu par des ultras néofascistes, ce qui révèle bien des paradoxes…

Une mobilité des joueurs à plusieurs vitesses en fonction de leur nationalité

Pour les joueurs pourtant, la situation est bien différente s’ils proviennent de l’UE, au sein de laquelle ils peuvent circuler, ou s’ils veulent rejoindre l’Europe depuis un pays tiers, ce qui est autrement plus difficile.

Comme l’explique Loïc Ravenel, certains accords avec les pays partenaires, et notamment les pays ACP, permettent de bénéficier en partie de la libre circulation voire d’échapper pour certains aux politiques de quotas qui continuent d’être appliquées à l’égard de joueurs extra communautaires. Pour les joueurs sud-américains, qui ne sont pas concernés par ces facilités, les possibilités se limitent à tenter d’obtenir un passeport espagnol si l’on a la Loïc Ravenel, Sandrine Devaux et Sébastien Louischance d’avoir une grand-mère originaire d’Espagne, voire de céder à la tentation de venir avec un faux passeport, ce qui est déjà arrivé…Au fond, il s’agit cependant, pour le géographe, d’un problème éminemment politique puisqu’il s’agit de dépasser la difficulté d’obtenir un visa pour pouvoir exercer sa profession.

Les filières de recrutement de joueurs extra communautaires ne sont pas simples. Si un club repère un joueur africain par exemple, il va essayer de lui obtenir un visa en faisant un recrutement professionnel. Avec l’Amérique du Sud, où le monde de football est déjà beaucoup plus structuré, les transferts peuvent se faire plus simplement de clubs à clubs.

Mais au-delà de cette immigration légale et de plus en plus organisée, il y a aussi des filières d’immigration illégale. Des agents font ainsi miroiter à de jeunes talents africains le rêve européen et un véritable marché illégal de footballeurs amenés par des intermédiaires s’est ainsi constitué. Si certains d’entre eux arrivent à se frayer un chemin vers la légalité, beaucoup d’entre eux se retrouvent lâchés au bout de quelques mois.

Une équipe de footballeurs sans-papiers s’est même récemment constituée et tente de faire reconnaître les talents qui la composent aux cours de matchs tests organisés en Espagne en présence de recruteurs…

La libre circulation au sein de l’espace Schengen, c’est aussi une mise en réseaux des ultras qui sont eux aussi très mobiles

La mobilité ne concerne cependant pas que les joueurs, mais aussi les supporteurs radicaux, c’est ce qu’a constaté Sébastien Louis au fil de ses recherches. Le principe des ultras, c’est en effet de suivre leur équipe où qu’elle joue. Ce que n’ont pas manqué de faciliter les accords de  Schengen….mais aussi Internet et l’émergence des compagnies aériennes low-cost. Du coup ce sont de nouvelles formes de convergence que l’on peut observer.

Les mouvements ultras ont en effet tissé des liens par affinité et ont constitué des sortes de jumelages qui amènent les groupes amis à venir soutenir les équipes de leurs partenaires quand elles viennent jouer dans leur pays. Et ces liens vont d’ailleurs peu à peu au-delà des stades puisqu’ils se poursuivent pendant les vacances et se concluent parfois par des mariages !

Cette mobilité très développée est cependant plus difficile pour ceux qui, comme les Serbes, ne font pas partie de l’espace Schengen et avaient encore besoin, jusqu’il y a peu, de visas. Certains supporteurs se sont vus ainsi interdire tout visa Schengen pendant 5 ans suite à quelques heurts à l’occasion de matchs.

La libre circulation des supporteurs est aussi celle de la violence, et cela implique des efforts au niveau européen pour y faire face

Cette question de la répression contre les ultras, qui ont une mauvaise image et qui ont fait de la violence, même si elle n’est pas un but en soi, un de leurs moyens d’expression, est d’ailleurs cruciale. Les stades sont en effet, pour Sébastien Louis, des "laboratoires de la répression". Ainsi, dès décembre 1989, une loi permettant des "interdictions de stade" a été introduite en Italie. Pour autant l’idée d’étendre les interdictions de stade au-delà des frontières nationales pose problème au vu des principes européens de libre circulation.

Pendant le mondial 2006, la police allemande, qui est très bien organisée, a mis en place des patrouilles mixtes en s’appuyant sur des "spotteurs", c’est-à-dire des personnes capables d’identifier les supporteurs mais aussi de les évaluer selon différentes catégories. Il existe ainsi des fichiers européens en cours de constitution. Loin d’être complets ils présentent aussi d’importantes lacunes en termes d’analyse.

Mais la violence, qui est très organisée au sein de ces groupes radicaux, s’est désormais déplacée en dehors des stades qui sont très sécurisés.

Un marché internationalisé qui reste empreint des nombreuses spécificités nationales

Quant au marché du foot, même si les quotas sont désormais pratiquement abolis, et même si le processus d’internationalisation bat son plein, on peut observer des spécificités nationales dans les recrutements. En France, il y a de nombreux joueurs venant d’Afrique, tandis que les équipes portugaises accueillent de nombreux Brésiliens, que l’Italie et l’Espagne recrutent volontiers des joueurs venant d’Amérique du Sud et que les Allemands semblent préférer leurs voisins danois, néerlandais ou encore venant d’Europe centrale et orientale.

Ces spécificités sont liées à l’histoire, à la culture, aux relations politiques entre les pays ou encore à la langue, qui est un élément essentiel en vue de l’intégration des joueurs. Les filières de recrutement s’appuient en effet sur des réseaux existants, sur des liens avec des joueurs recrutés précédemment, ou encore sur des relations avec les communautés d’origine des joueurs.

Pour les joueurs eux-mêmes, on observe qu’ils changent en moyenne 3,5 fois de club en dix ans de carrière. Ceux qui sont les plus mobiles sont souvent ceux qui sont soit en quête d’un renouvellement de contrat, soit ceux dont les agents ont intérêt à ce qu’ils bougent puisqu’ils touchent des commissions. Les joueurs africains sont ainsi les plus mobiles, mais bien souvent, placés sous la coupe de leur agent,  ils ne sont pas maîtres de leur destin : prisonniers des frontières à l’intérieur du pays qui les a accueilli, il est rare qu’ils arrivent à sortir des réseaux nationaux de ce pays, et ce d’autant plus que pour la grande majorité, cette mobilité est "descendante".