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Economie, finances et monnaie
Plaidoyer à deux voix de Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti pour la création d’une Agence européenne de la dette
06-12-2010


Le président de l’Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker a remis sur la table début novembre 2010 l’idée de mettre en place des emprunts obligataires européens ("E-bonds", "euro-obligations" ou "eurobonds"). Il n’a de cesse depuis de faire avancer cette idée, qui, si elle semble intéresser Klaus Regling, le directeur de l’EFSF, rencontre aussi une certaine résistance de la part de l’Allemagne.Financial Times

A quelques heures à peine d’une réunion de l’Eurogroupe qui sera suivie le 7 décembre 2010 d’un Conseil ECOFIN, le ministre de l’Economie et des Finances italien Giulio Tremonti s’est joint à Jean-Claude Juncker pour signer une tribune commune publiée dans le Financial Times du 6 décembre 2010.

Face au constat des tensions considérables que connaissent les marchés de la dette souveraine, Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti estiment que "l’Europe doit formuler une réponse forte et systémique à la crise" afin d’envoyer un message clair aux marchés mondiaux et aux citoyens européens quant à son engagement politique en faveur de l'union économique et monétaire et quant à "l’irréversibilité de l’euro".

Une Agence européenne de la dette pourrait être créée dès le mois de décembre selon les vœux des deux ministres

Les deux ministres proposent à cet effet la création d’obligations européennes qui seraient émises par une Agence européenne de la dette qui pourrait succéder à l’actuel Fonds européen de stabilité financière (EFSF).

"Le temps presse", ajoutent Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti qui évoquent la possibilité de voir créer dès le Conseil européen du mois de décembre une telle agence dont le mandat, précisent-ils, serait d’atteindre progressivement une quantité d’obligations émises équivalant à 40 % du PIB de l’UE et de chacun des Etats membres.

Cela permettrait d’en faire le plus important marché obligataire d’Europe qui atteindrait progressivement une liquidité comparable à celle des "US Treasuries". Les deux ministres voient cependant la nécessité de deux étapes supplémentaires pour arriver à cette fin. Premièrement, l’Agence européenne de la dette devrait financer jusqu’à 50 % des émissions faites par les Etats-membres afin de créer un marché profond et liquide. Exceptionnellement, dans le cas d’Etats membres ayant des difficultés à accéder au marché, les deux ministres prévoient que l’Agence pourrait financer jusqu’à 100 % des émissions. Deuxièmement, l’Agence européenne de la dette devrait permettre le change entre les E-bonds et les obligations nationales existantes.

Selon les deux ministres, le taux de conversion serait à la valeur nominale, mais le change se ferait selon une option "discount", le rabais étant d’autant plus élevé que l’obligation est soumise à la pression du marché. Pour Giulio Tremonti et Jean-Claude Juncker, les Etats membres seraient ainsi fortement incités à réduire leurs déficits et ces obligations européennes mettraient fin aux perturbations des marchés de la dette souveraine et à leurs retombées négatives sur les marchés nationaux, plaident les deux ministres.

Responsabilité et transparence seraient de mise sur un marché européen de la dette

Dans l’absence de marchés secondaires fonctionnant bien, constatent les deux ministres, les investisseurs sont las d’être obligés de conserver leurs obligations jusqu’à maturité, et ils demandent par conséquent des prix toujours plus élevés lorsqu’ils souscrivent à des obligations sur le marché primaire. S’ils soulignent les efforts faits jusqu’ici pour régler ce problème, sans oublier les mesures de stabilisation du marché secondaire prises par la BCE, Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti insistent sur le fait que sur un marché unique européen, les perturbations du marché primaire seraient dissipées, réduisant ainsi la nécessité d’interventions d’urgence sur le marché secondaire.

Un nouveau marché obligataire européen assurerait aussi que les porteurs privés d’obligations assument le risque et la responsabilité de leurs choix d’investissements. Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti en concluent que leur proposition viendrait à ce titre compléter les récentes décisions visant à clarifier la façon dont le futur mécanisme permanent interviendra dans la question de la restructuration de dette.

Cette proposition pourrait aider à restaurer la confiance en permettant aux marchés d’exposer leurs pertes et en garantissant une certaine discipline sur les marchés, plaident encore les deux ministres. Permettre aux investisseurs de changer les obligations nationales en obligations européennes, qui devraient bénéficier d’un statut supérieur à celui des collatéraux pour la BCE, devrait selon eux y contribuer. Les obligations d’Etats membres ayant des finances publiques faibles pourraient être converties avec un rabais ; cela impliquerait que les banques et autres porteurs d’obligations privés subissent les pertes y relatives, ce qui garantirait la transparence quant à leur solvabilité et à leur capacité en termes de capital.

Protéger les Etats membres de la spéculation tout en attirant des capitaux en Europe, tels seraient les avantages de la proposition faite par les deux ministres

Un marché d’obligations européennes aiderait aussi les Etats membres en difficulté sans conduire à un aléa moral. Les gouvernements se verraient octroyer l’accès à des ressources suffisantes au taux d’intérêt de l’Agence européenne de la dette afin de consolider leurs finances publiques sans être exposés à des attaques spéculatives à court-terme. Ce qui impliquerait qu’ils devraient honorer pleinement leurs obligations. "Les bénéfices de financements moins chers et plus sûrs devraient être considérable", estiment Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti.

Un marché global liquide d’obligations européennes s’ensuivraient, estiment les deux ministres, qui voient là une possibilité non seulement un moyen de protéger les Etats membres de la spéculation mais aussi de maintenir en Europe les capitaux existant et d’en attirer de nouveaux. Sans compter que cela favoriserait aussi l’intégration des marchés financiers européens, ce qui faciliterait l’investissement et contribuerait à la croissance.

A terme, poursuivent Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti, l’UE en bénéficierait aussi. Les profits faits sur les changes reviendraient à l’Agence européenne de la dette, ce qui permettrait de réduire les taux d’intérêt des euro-obligations. Résultat, les contribuables européens et les pays membres qui sont actuellement menacés n’auraient pas à payer la note. Tous ces avantages pourraient être étendus aux Etats membres qui ne sont pas dans la zone euro.

"Nous pensons que cette proposition offre une réponse forte, crédible et opportune à la crise de la dette souveraine actuelle. Elle doterait l’UE d’un cadre robuste et étendu qui ne viserait pas seulement le problème de la résolution de crise, mais contribuerait aussi à la prévention de futures crises en encourageant la discipline fiscale, en soutenant la croissance économique et en approfondissant l’intégration européenne." C’est en ces termes que Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti concluent leur tribune.