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Migration et asile - Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Verica Trstenjak, avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne, prône le respect des droits fondamentaux lors des transferts intra-communautaires de demandeurs d’asile
26-09-2011


CJUELe règlement n°343/2003, plus communément appelé règlement Dublin II, énonce tous les critères  afin de déterminer l’État membre compétent pour traiter une demande d’asile présentée dans l’UE. En principe, le système de répartition des compétences désigne un seul État membre compétent afin de traiter une telle demande dans l’Union.

Lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers a demandé asile dans un État membre – qui n’est pas celui que désignent les règles de compétence de ce règlement – celui-ci prévoit une procédure de transfert du demandeur d’asile dans l’État membre normalement compétent. Le règlement prévoit néanmoins la possibilité pour un État membre de se substituer à l’État membre normalement compétent et d’examiner lui-même une demande d’asile présentée sur son territoire (Article 3, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003.)

Deux affaires similaires de recours à l’encontre de transferts vers la Grèce

Dans l’affaire C-411/10 M. N. S., ressortissant afghan, est entré en Grèce où il a été incarcéré le 24 septembre 2008. Au terme de cette incarcération, un ordre de quitter le territoire grec dans un délai de 30 jours lui a été intimé, après quoi il a été refoulé vers la Turquie sans avoir présenté de demande d’asile en Grèce. Après s’être enfui de la prison turque, il s’est rendu au Royaume-Uni où il est arrivé le 12 janvier 2009 et où il a présenté une demande d’asile le même jour. Le 30 juillet 2009, M. N. S. a été avisé de son transfert en Grèce, le 6 août 2009, en application du règlement n° 343/2003. Il a introduit un recours contre cette décision.

L’affaire C-493/10 porte sur les recours que cinq demandeurs d’asile ont introduit en Irlande contre les décisions de les faire transférer en Grèce afin que leurs demandes d’asile y soient examinées. Tous les requérants sont entrés dans l’Union par la Grèce où ils ont été incarcérés pour entrée illégale sur le territoire. Ils ont tous quitté la Grèce sans y avoir demandé asile et se sont rendus en Irlande où ils ont introduit des demandes d’asile.

Les Cours du Royaume-Uni et d’Irlande s’interrogent quant à leurs compétences

Les deux juridictions de renvoi, à savoir la Court of Appeal of England and Wales (Royaume-Uni) dans l’affaire C-411/10 et la High Court (Irlande) dans l’affaire C-493/10 sont en possession d’indices clairs dont elles déduisent qu’en cas de transfert, les droits fondamentaux et les droits de l’homme des demandeurs d’asile risqueraient d’être violés. La saturation du système d’asile grec et les effets de celle-ci sur le traitement réservé aux demandeurs d’asile et sur l’examen de leurs demandes laissent planer de sérieux doute sur un respect de ses droits fondamentaux. Les juridictions de renvoi des États membres concernés ont donc par voie de questions préjudicielles interrogé la Cour de Justice afin de savoir si et, dans l’affirmative, à quelles conditions, le droit de l’Union permet – voire oblige – le Royaume-Uni et l’Irlande à examiner eux-mêmes les demandes d’asile introduites sur leur territoire en dépit de la compétence de principe de la Grèce.

Les droits fondamentaux doivent primer lors de la question d’un transfert

Dans ses conclusions présentées le 22 septembre 2011, l’avocat général Trstenjak, observe tout d’abord que, "lorsqu’ils doivent décider d’examiner ou de ne pas examiner une demande d’asile qui, selon les critères du règlement, relève de la compétence d’un autre État membre, un État membre est tenu de respecter les dispositions de la Charte des droits fondamentaux". Selon elle, cette décision est un acte de mise en œuvre du droit de l’Union, de sorte qu’à cette occasion, les États membres sont tenus de respecter les droits garantis par la Charte.

L’avocat général explique ensuite sur la base des indications fournies par les juridictions de renvoi que la saturation à laquelle le système d’asile grec est actuellement confronté a pour effet qu’il ne pourrait plus toujours garantir que les demandeurs d’asile seraient traités et leurs demandes examinées d’une manière conforme aux exigences du droit de l’Union. Il ne serait, dès lors, pas exclu qu’en cas de transfert vers la Grèce, des demandeurs d’asile y fassent l’objet d’un traitement incompatible avec les dispositions de la Charte des droits fondamentaux.

Le droit d’évocation afin d’éviter une violation des droits fondamentaux

L’avocat général Trstenjak estime que, "lorsque des indices sérieux permettent de craindre que l’État membre normalement compétent à connaître d’une demande d’asile porte atteinte aux droits que la Charte des droits fondamentaux garantit aux demandeurs d’asile, les autres États membres ne peuvent pas transférer les demandeurs d’asile vers cet État membre, mais sont en principe obligés d’exercer le "droit d’évocation" prévu par le règlement n° 343/2003 et d’examiner eux-mêmes les demandes dont ils ont été saisis". Selon l’avocat général Trstenjak, ils sont obligés d’exercer le droit d’évocation, d’une part, parce qu’ils doivent appliquer le règlement Dublin II d’une manière conforme aux droits fondamentaux et, d’autre part, parce qu’en transférant des demandeurs d’asile vers un État membre où il existe un risque sérieux de violation des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux, l’État membre auteur du transfert se rendrait, en principe, lui aussi coupable d’une violation de ces droits fondamentaux. En exerçant le droit d’évocation, les États membres écartent ainsi complètement ce risque de violation de la Charte des droits fondamentaux.

L’évaluation du risque avant un transfert n’est pas soumise à une vérification active du respect de la Charte

Dans ses longues conclusions de 38 pages, l’avocat général Trstenjak souligne l’influence importante de la jurisprudence de la CEDH. Par la suite elle relativise néanmoins ses propos car elle évoque une autonomie du Droit de l’Union en ce qui concerne l’application des droits fondamentaux. De ce fait, la lecture de ces conclusions laisse encore ouvertes des questions quant à la portée réelle de la protection des demandeurs d’asile lors d’un transfert que préconise l’avocat général.

L’avocat général conclut "qu’avant de transférer un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande, l’État membre auteur du transfert doit évaluer le risque que cet État d’accueil viole les droits conférés par la Charte des droits fondamentaux". Pour déterminer ce risque, il peut appliquer "la présomption réfragable- qui peut être renversée par une preuve contraire- que l’État membre d’accueil respectera les droits fondamentaux des demandeurs d’asile". Avant de transférer un demandeur d’asile, il n’est pas tenu de s’assurer activement que le respect des droits inscrits dans la Charte est effectivement garanti dans l’État membre d’accueil.

Cette position de l’avocat général se rapproche de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Le 21 Janvier 2011, dans l’arrêt M.S.S v. Belgium and Greece, les juges ont estimé que les autorités belges avaient violé la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Les autorités belges se seraient en effet contentées de présumer que le requérant  serait traité conformément aux garanties consacrées par la Convention Européenne des Droits de l’Homme lors de son transfert vers la Grèce. Or les autorités belges auraient du "s'enquérir, au préalable, de la manière dont les autorités grecques appliquaient la législation en matière d'asile en pratique. Ce faisant, elles auraient pu constater que les risques invoqués par le requérant étaient suffisamment réels et individualisés pour relever de l'article 3 (interdiction de la torture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants) ".

Une simple présomption du respect des Droits de l’homme dans l’État membre vers lequel le transfert s’effectue n’est pas suffisante aux yeux de la CEDH pour justifier son transfert.

Dans ses conclusions l’avocat général Trstenjak énonce une présomption réfragable dans le cadre d’une évaluation du risque d’une possible violation des droits fondamentaux par l’Etat membre d’accueil. Cette présomption réfragable se base sur le principe que - vu l’adhésion des Etats membres de l’UE à la Charte des droits fondamentaux, à la CEDH et à la Convention de Genève sur les réfugiés -, "le niveau de protection élevé que ces instruments garantissent, il paraît même aller de soi que, lorsqu’il transfère un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent à connaître de sa demande, l’État membre saisi applique la présomption réfragable qu’ils y seront traités de manière conforme aux droits de l’homme et aux droits fondamentaux ".

La condition nécessaire pour l’avocat général afin d’assurer l’effectivité du système est l’instauration "une procédure juridique permettant d’infirmer effectivement cette présomption". Celui-ci relève de la compétence des autorités nationales.

Il a aussi été rappelé "qu’il serait erroné d’appliquer la Charte des droits fondamentaux en se fondant sur la jurisprudence de Strasbourg comme étant une source d’interprétation dotée d’une valeur absolue". Malgré cela il faut "accorder une importance particulière et un poids considérable à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg lorsqu’on interprète la Charte des droits fondamentaux, et qu’il est donc indispensable de s’en inspirer".

Bien que la jurisprudence de Strasbourg soit une source d’orientation majeure pour la CJUE, les conclusions évoquent une autonomie du droit de l’Union. En d’autres termes " lorsque le transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre normalement compétent conformément au règlement Dublin II est incompatible avec l’article 3 CEDH – interdiction de la torture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants- en raison du risque d’un refoulement indirect, ce transfert serait en règle générale également contraire à la Charte des droits fondamentaux". L’utilisation des mots "en règle générale" exprime une marge d’appréciation qui est laissée aux États membres au sujet des transferts.

Le communiqué de presse datant du 22 septembre 2011 qui a suivi la publication de ces conclusions évoque quant à lui qu’ "avant de transférer un demandeur d’asile, il (un État membre) n’est pas tenu de s’assurer activement que le respect des droits inscrits dans la Charte est effectivement garanti dans l’État membre d’accueil". Cette affirmation n’est pas clairement explicitée dans les conclusions, ce qui complique la compréhension de la portée de la responsabilité d’un État membre lors d’une violation des droits fondamentaux.

Dans le cadre spécifique de son arrêt M.S.S v. Belgium and Greece, la CEDH consacre une vérification dans la pratique de la manière dont les autorités des États membres d’accueil appliquent leurs législations d’asile. La responsabilité de l’évaluation du risque repose donc sur l’État auteur du transfert.

L’avocat général énonce une évaluation du risque de violation des droits fondamentaux, mais l’État membre auteur du transfert ne doit pas s’assurer activement du respect des droits fondamentaux dans l’État membre d’accueil. L’obligation préconisée par l’avocat général pour un État membre est celle de fournir au demandeur d’asile, une réelle possibilité de prouver que ses droits fondamentaux seraient violés en cas de transfert et ce grâce à une procédure efficace en droit interne.

Une interrogation subsiste quant à savoir si la protection offerte par ces conclusions est aussi étendue que celle offerte par la jurisprudence de la CEDH. Le futur arrêt de la CJUE dans le cadre de cette affaire devrait certainement permettre d’éclaircir cette question.