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Justice, liberté, sécurité et immigration
Schengen - La Commission propose une approche européenne pour mieux protéger la liberté de circulation des citoyens qui se heurte d'emblée à l'opposition de Madrid, Paris et Berlin
16-09-2011


SchengenLa Commission européenne a proposé le 16 septembre 2011 de renforcer l'espace Schengen afin de garantir la liberté de circulation des centaines de milliers de citoyens de l'UE et des ressortissants de pays tiers qui voyagent tous les jours sur son territoire. Ses propositions visent à mettre en place une approche de la coopération Schengen plus efficace, à l'échelle de l'UE. Des défis particuliers, comme une vague d'immigration massive ou des défaillances d'un pays de l'espace Schengen dans la surveillance de ses frontières, des défis pouvant mettre sous pression le fonctionnement général de l'espace Schengen, doivent, selon la Commission, être relevés "efficacement et de manière coordonnée".

Les propositions en question consistent à instaurer, au niveau de l'UE, un système d'évaluation et de suivi renforcé destiné à vérifier et à assurer l'application des règles de Schengen, ainsi qu'un mécanisme décisionnel européen "plus structuré" en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure.

La Commission est partie de l’hypothèse de travail que, dans un espace sans frontières intérieures, toute atteinte à l'intégrité de l'une de ses parties affecte directement l'ensemble de la zone Schengen et de l'UE.

Elle constate ensuite "que le système actuel, fondé sur un mécanisme intergouvernemental d'évaluation par des pairs, assorti de la possibilité d'adopter des décisions nationales unilatéralement en vue de la réintroduction exceptionnelle des contrôles aux frontières intérieures, s'est révélé inefficace lorsqu'il s'agit de renforcer la confiance mutuelle entre les membres de l'espace Schengen et de sauvegarder la liberté de circulation dans une zone sans contrôles frontaliers." Elle fait dans ce cas allusion au rétablissement unilatéral des contrôles aux frontières par la France en avril 2011 lors de l’afflux massif de citoyens tunisiens en provenance d’Italie et dotés par ce pays d’un titre de séjour, et au rétablissement des contrôles des personnes par le Danemark à ses frontières avec l’Allemagne et la Suède.

D’autre part, la Commission pense qu’il "faut faire davantage pour renforcer la gestion de cet espace commun et fournir un soutien approprié aux États membres qui sont confrontés à des situations critiques". Ici, les observateurs pensent aux frontières de la Grèce avec la Turquie, ou de la Hongrie avec la Roumanie, la Serbie, la Croatie ou l’Ukraine, réputées très perméables. 

La Commission a dès lors adopté deux propositions législatives qui, assorties d'une communication explicative, tendent vers les objectifs suivants:

  1. renforcer la gestion de l'espace Schengen;
  2. définir un mécanisme décisionnel européen visant à protéger l'intérêt commun.

Renforcer la gestion de l'espace Schengen:

"Les instruments actuellement à notre disposition pour recenser et  corriger les faiblesses sont insuffisants", constate la Commission. Sa proposition - qui se base sur le mécanisme d'évaluation révisé de Schengen proposé par la Commission en novembre 2010 - transformerait l'approche actuelle intergouvernementale d'évaluation par des pairs en une gouvernance au niveau de l'UE.

Des visites de suivi annoncées ou inopinées dans un État membre donné, effectuées par des équipes chapeautées par la Commission et composées d'experts d'autres États membres et de Frontex permettront de contrôler l'application des règles de Schengen.

Les éventuelles défaillances seraient recensées dans un rapport qui serait établi à l'issue de chaque visite et comporterait des recommandations univoques quant aux mesures correctives à prendre et fixera un délai pour les mettre en œuvre. L'État membre en question devra y donner suite en établissant un plan d'action détaillant la manière dont il entend appliquer ces recommandations.

Une autre innovation importante serait le "bilan de santé de Schengen" qui se ferait deux fois par an, avec un débat au Conseil et au Parlement européen sur le fonctionnement de Schengen, et qui s'appuierait sur un tour d'horizon présenté par la Commission européenne.

Un processus décisionnel au niveau de l'UE, pour protéger l'intérêt commun

Les règles actuelles permettant de voyager sans passeport dans 25 pays européens, autorisent les autorités nationales à réintroduire exceptionnellement et temporairement des contrôles aux frontières en cas de menace grave contre l'ordre public et la sécurité intérieure. 

Néanmoins, la Commission est convaincue que de telles mesures ont une incidence sur l'ensemble de l'espace Schengen et que la possibilité de rétablir les contrôles aux frontières intérieures devrait donc être considérée "au niveau européen, d'une manière transparente, cohérente et efficace". Bref, un pays ne peut pas décider à priori seul de rétablir un contrôle aux frontières. La Commission veut "un mécanisme de réaction coordonnée de l'UE" qui protège le fonctionnement, mais aussi l'intégrité de l'ensemble de l'espace Schengen.

Elle distingue ensuite entre événements prévisibles et imprévus.

Evénements prévisibles

Sous événements prévisibles elle entend  par exemple d'importantes manifestations sportives ou un rassemblement politique majeur. Dans le cadre du nouveau régime qu’elle propose, toute décision relative à la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures en raison de ce type d’événements serait prise non pas au niveau national, mais au niveau européen, sur la base d'une proposition de la Commission européenne appuyée par une majorité qualifiée d'experts des États membres. Les motifs présidant à l'adoption d'une telle décision resteraient identiques à ceux qui sont actuellement en vigueur : il faut que la mesure soit nécessaire pour contrer une menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure. En règle générale, les contrôles devraient alors être autorisés à des frontières désignées pour une période renouvelable de 30 jours.

Evénements imprévus

Les États membres pourraient toujours prendre des décisions unilatérales pour réintroduire les contrôles lorsqu'ils sont confrontés à des urgences imprévues nécessitant une réaction immédiate, mais seulement pour une période ne dépassant pas 5 jours, après laquelle une décision au niveau de l'UE serait prise afin d'autoriser une éventuelle prolongation.

Défaillance un Etat membre à protéger sa frontière

Un autre cas de figure est ce que la Commission appelle "un manquement grave concernant l'application des règles de Schengen, comme par exemple lorsqu'un État membre ne protège pas correctement une partie de la frontière extérieure de l'UE". Ici, des mesures de soutien, comme une assistance technique et financière de la part de la Commission, des États membres, de FRONTEX ou d'autres agences tels qu'Europol ou le bureau européen d’appui en matière d'asile (EASO), peuvent être prises.

Mais si ces mesures d'appui ne suffisent pas et que des manquements graves persistent, il peut être décidé de réintroduire temporairement les contrôles aux frontières intérieures. Ce type de décision de dernier recours serait lui aussi pris au niveau de l'UE, ce qui permettrait d'éviter que des décisions soient prises unilatéralement par les États membres et d'adopter une approche collective pour protéger les intérêts communs de l’UE.

Pour la Commission, ses nouvelles propositions "respectent pleinement le droit à la libre circulation des citoyens de l'Union européenne et des membres de leur famille". Elles seront examinées par le Parlement européen et le Conseil dans le cadre de la procédure législative ordinaire (codécision).

La proposition de la Commission a suscité avant même sa présentation publique l’opposition de l’Espagne, de la France et de l’Allemagne 

L’idée qu’un Etat membre doive demander le feu vert de la Commission avant de pouvoir prendre des mesures de contrôle aux frontières face à des événements prévisibles d’une durée de 30 jours renouvelable ou solliciter la prolongation d’une mesure face à des événements imprévus après 5 jours a suscité l’opposition de l’Espagne, de la France et de l’Allemagne, dont les ministres de l’Intérieur Antonio Camacho, Claude Guéant et Hans-Peter Friedrich se sont adressées par une lettre datée du 13 septembre 2011 à la Commission.

Ils sont d’accord avec la nécessité de renforcer la gouvernance de l’espace Schengen, notamment "dans le cas d’un État membre qui n’est plus en mesure de respecter ses obligations au titre des règles Schengen". Ils sont notamment en faveur de la mise en place d’un mécanisme "pour faire face à des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de la coopération Schengen" qui "permette de remédier rapidement et de manière durable aux lacunes existantes au niveau européen et à celui des États membres ".

Pour eux, "un tel mécanisme doit inclure une clause de sauvegarde permettant le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures en tout dernier ressort."

Mais ils ne sont pas d’accord avec l’idée que "la Commission européenne assumerait également la responsabilité de décider le rétablissement temporaire de contrôles aux frontières intérieures non seulement dans le cas mentionné ci-dessus mais de manière générale, pour des cas qui jusqu’à présent ont relevé de la souveraineté nationale des États membres, par exemple ceux d’une menace terroriste ou de la protection d’un évènement politique ou sportif majeur."

Les trois ministres de l’Intérieur "considèrent que le respect de la souveraineté nationale est primordial pour les États membres. Ils n’approuvent pas le vœu de la Commission européenne qui souhaite assumer la responsabilité de prendre des décisions sur des mesures opérationnelles dans le domaine de la sécurité."

Leur doctrine est différente. Seule l’expertise de sécurité nationale est en mesure d’évaluer une situation de sécurité dans un Etat membre : "C’est aux États membres de maintenir l’ordre public et d’assurer leur sécurité intérieure. Dans le cadre de cette responsabilité, leurs interventions doivent veiller à assurer au maximum la liberté de circulation en garantissant le niveau le plus élevé de protection du public.(…) La décision de rétablir temporairement des contrôles aux frontières intérieures doit être fondée sur une évaluation approfondie en termes de sécurité nationale, qui ne peut être conduite que par les États membres sur la base de l’expertise et des ressources de leurs services de sécurité."

A Berlin, zizanie sur Schengen

Mais au sein même du gouvernement allemand, la position du ministre de l’Intérieur Friedrich (CDU) ne semble pas faire l’unanimité. Le ministre d’Etat aux Affaires étrangères, le libéral Werner Hoyer, pour qui "la libre circulation des personnes est un bien très précieux", a salué les propositions de la Commission. Il est d’avis qu’il faut manier avec précaution les réserves nationales. Selon lui, "s’il y a vraiment une raison sérieuse pour introduire des contrôles aux frontières, la Commission ne niera pas l’évidence. Et alors les autres Etats membres ne refuseront pas leur accord."

La Commission s’apprête donc à un parcours de combattant.