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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Venir - Rester - Partir / Schengen - Luxembourg – Europe
27-09-2011 / 28-09-2011


Le point de contact national du Réseau européen des MigrationsLe Point de contact national au Luxembourg du Réseau Européen des Migrations (EMN-NCP-LU) a organisé les 27 et 28 septembre 2011 sa 4e conférence nationale sous le titre Venir - Rester - Partir / Schengen - Luxembourg - Europe. Au cours de ces deux journées de réflexion et de débat, l’espace de libre circulation des personnes Schengen était au centre des discours des responsables politiques et des présentations d’experts nationaux et internationaux. L’acquis Schengen a été scruté dans le contexte des nouvelles poussées migratoires et du débat sur sa gouvernance depuis la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures par la France et le Danemark.

Rolf Tarrach : "La migration sera un des problèmes majeurs du futur"

Rolf TarrachLe recteur de l’Université de Luxembourg, Rolf Tarrach, fut le premier à prendre la parole. A une échelle  globale, la migration sera un des problèmes majeurs du futur, ne serait-ce qu’avec la hausse du niveau des mers – 1 mètre dans un siècle – qui conduira au déplacement d’un milliard de personnes. Pour lui, "il est impossible que cela se passe de manière pacifique". A une échelle moindre, il a constaté que les citoyens de l’UE ne sont en fin de compte pas si mobiles que cela, ce qui est vraisemblablement dû aux différences de culture et de langue qui sont la caractéristique de l’Europe. A l’échelle la plus petite, l’horizon de tout un chacun, il lui semble nécessaire de réfléchir à la question de savoir pourquoi l’on vient, pourquoi l’on reste et pourquoi l’on repart et de veiller à ce que "le mécontentement avec la migration ne devienne trop grand".

Diane Schmitt : La réaction du Conseil aux propositions de la Commission sur une gouvernance Schengen renforcée augure d’un débat animé sur la liberté de circulation

Diane SchmittDiane Schmitt, une des très rares hautes fonctionnaires luxembourgeoises à la Commission, a confirmé que "Schengen est un sujet qui est tout en haut de l’agenda européen". La réaction du Conseil aux propositions de la Commission sur une gouvernance Schengen renforcée augure selon elle d’un débat animé sur une liberté de circulation qui concerne 420 millions de personnes et 1,3 millions de passages de frontières par jour.

Pour la haute fonctionnaire, les problèmes qui ont eu lieu aux frontières franco-italienne et germano-danoise et qui ont conduit à des crises et des remises en cause de Schengen – les pressions continuent d’ailleurs de s’exercer -  sont "compréhensibles, car Schengen a été conçu pour un petit nombre de pays".

La question des immigrants – sous-entendu en provenance de pays tiers –, le fait qu’ils ne sont pas toujours bien intégrés, qu’ils sont employés dans des emplois sous-qualifiés ou sont eux-mêmes sous-qualifiés, la discrimination salariale, tout cela ne relève pas selon la fonctionnaire de la compétence de la Commission qui soutient néanmoins des programmes d’échange de bonnes pratiques.

En ce qui concerne l’afflux de demandeurs d’asile, Diane Schmitt a fait le constat que la migration "reste un sujet conflictuel", mais qu’il faut néanmoins "consacrer les libertés de circulation dans l’intérêt des citoyens", ce que sont censées faire les propositions de la Commission du 16 septembre.        

Charles Elsen : "La véritable Europe, c’est Schengen"   

Charles Elsen (c) Stoldt AssociésAprès une intervention de la ministre de l’Intégration, Marie-José Jacobs (voir notre article), ce fut à Charles Elsen, ancien directeur général entre 1994 et 2004 de la direction Justice et Affaires intérieures du Conseil, mais aussi un des artisans de la convention de Schengen et de son intégration dans le traité d’Amsterdam en 1997, de prendre la parole sur l’histoire, le contenu, le rôle et l’actualité du système Schengen.

Le contenu

Charles Elsen a passé en revue le devenir des accords de Schengen, avec l’accord de Sarrebruck entre la France et l’Allemagne du temps du président Mitterrand et du chancelier Kohl, l’intérêt des pays du Benelux qui connaissaient déjà un espace sans contrôle à ses frontières intérieures, la méfiance des douaniers et des administrations en charge de la sécurité, et les négociations compliquées qui menèrent d’abord à la signature de l’accord en 1985, puis à la signature de la convention d’application en 1990, toujours à Schengen.

La convention d’application a mené à la mise en fonction du SIS, le système d’information Schengen, et à un nouveau type de coopération policière et judiciaire dans les pays signataires dès son entrée en vigueur en 1995. Suivirent ensuite l’élargissement de l’espace Schengen qui compte en 2011 25 pays Etats membres, dont 22 de l’UE, les règles d’application n’étant pas encore entrées en vigueur en Bulgarie et en Roumanie, tandis que le Royaume Uni, l’Irlande et Chypre ne font pas intégralement partie de l’accord.

Charles Elsen a ensuite souligné l’utilité d’une procédure harmonisée et stricte de visa unique pour l’espace Schengen pour ceux qui viennent en Europe, du principe ne bis idem qui évite que quelqu’un soit condamné plus d’une fois pour le même délit, de l’entraide judiciaire, de la coopération policière (observation, droit de suite, SIS) et du fait qu’aux règles de Schengen se sont substituées pour les demandeurs l’asile les règles de Dublin.      

Le rôle

Schengen a rendu possible des progrès sur un chantier où l’unanimité empêchait l’UE d’avancer. Les accords de 1985 et 1990 étaient des accords provisoires, des laboratoires d’essai qui ont été intégrés par la suite dans les traités européens. Au début, le Parlement européen, exclu du mécanisme, tirait à boulets rouges contre ce type d’accords. La Commission restait en retrait. Aujourd’hui ils sont en pointe sur le sujet. Schengen a établi selon Charles Elsen un équilibre entre liberté et sécurité en Europe. Le contrôle aux frontières extérieures de Schengen est entretemps devenu plus efficace.   

L’actualité

Le Conseil JAI a refusé en septembre 2011 que la Bulgarie et la Roumanie entrent dans l’espace Schengen, alors que les préparatifs y durent depuis des années et que les derniers rapports sont assez positifs. Mais l’unanimité primant ici, la décision  a été différée "pour d’autres raisons" selon Charles Elsen. "La présidence polonaise cherche une solution", a-t-il ajouté. Le SIS II, le nouveau système d’information Schengen, affiche entretemps un retard de plusieurs années et des dépassements de budget substantiels. Il a été promis pour 2013. Mais la promesse sera-t-elle tenue ? L’expert s’interroge.

En ce qui concerne les propositions de la Commission, Charles Elsen pense qu’après les événements de Lampedusa, celles-ci ont l’avantage d’avancer, en donnant plus de compétences à la Commission, un mécanisme qui permette un meilleur suivi des rapports. Et de fait une plus grande solidarité entre les Etats membres. Car pour le vieux routier de la libre circulation des personnes, rien n’est plus vrai que le bon mot de Bronislaw Geremek : "La véritable Europe, c’est Schengen".            

Frank Wies : "Le Luxembourg et le droit européen en matière de protection internationale"

Frank WiesLe sujet de l’intervention de Frank Wies, avocat et président d’Amnesty International à Luxembourg, a été "la manière dont le Grand-Duché de Luxembourg a transposé en droit national et applique les différentes directives de l’Union européenne en matière de droit d’asile prises depuis 2001" et la manière dont "le législateur luxembourgeois a fait usage de la marge de manœuvre laissée aux Etats membres dans le cadre d’une directive – transposition littérale, restrictive ou extensive – et si certaines dispositions des lois nationales portant transposition peuvent être considérées comme contraire au droit européen." Tout cela "à travers les lunettes d’un praticien du droit" et "de lobbyiste des droits humains qui s’invite de temps en temps auprès des autorités pour y faire entendre la voix des premiers intéressés, les demandeurs d’asile".

Le postulat de base de Frank Wies : "Le droit de demander asile est un droit fondamental inscrit à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme" qui s’impose à tous les Etats signataires, notamment de la Convention relative au statut des réfugiés, dite de Genève, qui est par ailleurs une source du droit européen.

Les avancées de 1996

Frank Wies a constaté qu’après la ratification de cette convention, le Luxembourg n’a plus légiféré en matière de droit d’asile jusqu’aux années 1990, suite aux guerres en ex-Yougoslavie, qui ont vu un grand afflux de réfugiés. En avril 1996, une loi créant une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile fut ainsi votée. Le constat de Frank Wies : "Les critères pour déterminer si un demandeur pouvait prétendre à raison au statut de réfugié n’étaient pas abordés par la loi de 1996. Le seul texte ayant force de loi à cet égard était l’article 1er A, 2) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Devant le caractère succinct de ce texte qui prévoit une définition générale de la personne qui peut se prévaloir du statut de réfugié, il appartenait à la jurisprudence des juridictions administratives de préciser les critères d’éligibilité."

La loi du 3 avril 1996 prévoyait aussi que les demandeurs d’asile avaient droit à une aide sociale, mais ce n’est qu’en 2002 qu’un règlement définissant les conditions d’obtention et l’étendue des aides a été adopté. Pour Frank Wies, "le moment d’adoption de ce texte n’était cependant probablement pas un simple hasard du calendrier législatif". Il constate en effet qu’au niveau de l’UE,  "des initiatives en matière de droit d’asile commençaient à prendre forme" et que le Conseil européen de Tampere d’octobre 1999 avait conclu "à la nécessité d’aboutir à l’adoption d’une politique européenne commune en matière d’asile et de migration".

La transposition des directives sur les normes minimales de protection temporaire, "qualification", "procédure" et "retours"

Le premier texte adopté dans ce contexte a été en 2001 la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. "Fait rare en droit luxembourgeois", met en exergue Frank Wies, "l’adoption de cette directive avait été anticipée par le Gouvernement luxembourgeois", avec l’introduction avant la lettre dans le droit luxembourgeois d’un statut de protection temporaire en cas d’afflux massifs de personnes qui ont fui des zones de conflit armé ou de violence endémique, ce qui a été fait dans le contexte de la guerre du Kosovo. Comme la directive de 2001 prévoyait également en son article 13 des dispositions en matière d’aide sociale pour les bénéficiaires du régime de protection temporaire, le législateur fit aussi adopter en 2002 le règlement grand-ducal sur ces aides.

Pour Frank Wies, "la plus grande avancée au niveau du droit d’asile luxembourgeois allait cependant venir de l’adoption successive de deux directives en avril 2004 et décembre 2005", à savoir la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, communément appelée directive "qualification" et la directive 2005/85CE du Conseil du 1er décembre 2005 communément appelée directive "procédure". Ces deux textes ont été transposés en droit luxembourgeois par la loi du 5 mai 2006 sur le droit d’asile et d’autres formes de protection.

Le troisième texte transposé en droit national ne concerne que très partiellement le droit d’asile. Il s’agit de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive "retours") transposée par une loi du 1er juillet 2011. Celle-ci est "très contestée par la société civile en raison de certains aspects fortement invasifs dans les libertés fondamentales", constate le président d’AI Luxembourg. 

Statut de réfugié et protection subsidiaire

Dans son commentaire de la loi de 2006, Frank Wies est d’avis qu’elle a transposé de manière littérale la définition des critères d’éligibilité au statut de réfugié, les droits de recours, l’appréciation de la crainte raisonnable de persécution, l’introduction du statut de protection subsidiaire qui est censé accorder une protection à des personnes non éligibles sur base des critères établis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et les critères d’appréciation de la crainte fondée de persécution pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. "Cette transposition 'minimaliste' pose cependant des problèmes dans la mesure où il y a absence totale de dispositions précisant les critères pour apprécier l’existence d’atteintes graves donnant droit à l’octroi de la protection subsidiaire", constate-t-il. La conséquence au niveau de l’application pratique des dispositions sur la protection subsidiaire est que "les décisions administratives qui refusent d’accorder une protection internationale ne font (…) que très rarement des examens distincts de la protection sur base de la Convention de Genève et de la protection subsidiaire."

Pour l’avocat, la pratique administrative actuelle ne satisfait pas ces exigences d’une appréciation distincte – statut de réfugié ou protection subsidiaire -, et il critique également le fait que la jurisprudence administrative "refuse de sanctionner cette pratique administrative". Pour lui, "ce n’est que lorsque le demandeur de protection internationale limite sa demande à l’octroi du seul statut conféré par la protection subsidiaire que le Tribunal administratif accepte d’examiner de manière individuelle et détaillée cette demande au regard des critères légaux spécifiques de qualifications de ce statut."

Procédure accélérée

Autre point critiqué par Frank Wies, la transposition de la procédure accélérée prévue dans la directive "procédure" et l’absence de recours dans la loi de 2006. Il y était statué dans l’article 20 (5) que "la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée n’est susceptible d’aucun recours". Pour Frank Wies, "cette disposition allait non seulement au-delà de ce que permettait la directive, mais constituait surtout une première en droit administratif luxembourgeois : une décision prise par une autorité contre laquelle les administrés ne peuvent pas se défendre en exerçant un recours devant les juridictions administratives." Très critiquée, visée par une opposition du Conseil d’Etat, objet d’une question préjudicielle posée le 3 février 2010 par le Tribunal administratif à la CJUE, le gouvernement décida, en attendant l’arrêt de la CJUE "et dans la mesure où chaque nouvelle décision prise dans le cadre d’une procédure accélérée risquait d’être affectée par la réponse à la question préjudicielle", "de ne plus faire usage de la procédure accélérée".

Ensuite, confronté en 2010 à un nombre croissant de demandeurs d’asile en provenance de la Serbie, le gouvernement a déposé un projet de loi pour modifier l’article 20 (5) de la loi du 5 mai 2006 qui prévoit le droit d’un demandeur qui se voit appliquer une procédure accélérée d’exercer un recours en annulation devant le Tribunal administratif contre cette décision. La nouvelle disposition a été votée par la Chambre des députés le 19 mai 2011. "Ironie de l’histoire", rapporte Frank Wies, "la Cour de justice de l’Union européenne décida par arrêt du 28 juillet 2011 que l’absence de recours autonome contre la décision du Ministre de statuer sur une demande dans le cadre d’une procédure accélérée n’était pas contraire au droit européen et que l’ancienne version de l’article 20 (5) avait donc pu exclure tout recours contre une décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sans pour autant violer l’article 39 de la directive "procédure"."

Frank Wies a ensuite abordé la transposition en droit national de la Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 (directive "retours") par la loi de juillet 2011. Le Luxembourg y a repris la notion du risque de fuite ainsi que les conséquences qui y sont rattachées. Mais pour l’avocat, "le législateur n’a (…) pas défini la notion de risque de fuite, mais introduit un système de présomption légale" qui élude la charge de la preuve dans chaque cas. Cette manière lui semble "contraire tant au texte qu’à l’esprit de la Directive ‘retours’". S’y ajoute pour lui que le simple fait de se trouver en situation de séjour irrégulier peut suffire "pour être présumé de se soustraire à son éloignement, ne pas bénéficier d’un délai de départ volontaire et être susceptible de faire l’objet d’un placement en rétention". Cela peut selon lui conduire "à des situations absurdes et injustifiées".

La rétention

Le point de vue de Frank Wies est clair et sans détour : "Un des points les plus critiqués par la société civile dans la directive "retours" était l’extension des situations dans lesquelles un étranger en situation irrégulière peut être privé de sa liberté. Il en va de même pour la durée maximale de la rétention qui est portée à 18 mois."  Pour lui, les textes luxembourgeois n’ont pas ici non plus respecté l’esprit du texte, car si la directive veut que le placement doit toujours être précédé de la recherche de mesures alternatives, on ne retrouverait pas cela dans le texte en juillet 2011.

Ainsi, il existe selon Frank Wies une seule mesure alternative au placement dans la nouvelle loi, à savoir l’assignation à résidence "limitée aux cas où l’éloignement du ressortissant étranger est reporté pour des motifs techniques". Pour lui, "la limitation du recours à l’assignation à résidence et l’absence de toute autre mesure alternative dans la loi démontre surtout que la loi luxembourgeoise a renversé le principe établi par l’article 15.1 de la directive "retours". En droit luxembourgeois, c’est le placement en rétention qui est la règle et l’assignation à résidence l’exception." Bien que les autorités luxembourgeoises aient à de nombreuses reprises déclaré ne pas avoir l’intention de placer en rétention toute personne en séjour irrégulier et vouloir favoriser tant que possible les départs volontaires, les textes légaux permettent selon Frank Wies "une approche plus coercitive et font peser sur tout étranger en situation irrégulière de séjour la menace de se voir placer en rétention en attendant son éloignement." Et de conclure : "A la lumière de la recrudescence des populismes xénophobes en Europe, la remarque n’est pas anodine."

Victor Weitzel : L’Europe sans Schengen, qu’est-ce que cela donnerait ?

Victor Weitzel 2 (c) Stoldt AssociésCe fut ensuite au tour de Victor Weitzel, responsable d’Europaforum.lu, de s’exprimer en son nom  propre. Il a parlé d’une Europe sans Schengen, dont les règles sont suspendues. Bref, plutôt que de traiter le sujet avec tout le sérieux et l’abstraction du politiste qu’il n’est pas – il a dit de lui qu’il était "un littéraire égaré dans l’information politique" - Victor Weitzel a opté pour une autre manière de parler du sujet. Il a raconté une histoire, celle d’une Europe sans Schengen en 2011- 2012, en partant de situations bien réelles dans tous les coins de l’Europe en recourant à des citations bien réelles, et en jouant sur le potentiel de telle ou telle situation pour faire de la politique fiction. Et si rien de ce qui a été ici fiction n’était invraisemblable, il a fait rire avec un exercice des plus sérieux.

Il a évoqué un Luxembourg où les frontaliers n’arrivent plus à leur travail, à cause des bouchons, où les bâtiments des institutions européennes ne sont plus correctement sécurisés correctement, où les hôpitaux, les usines, les banques, les services, les supermarchés sont en crise après une seule journée, car rien ne va plus. Il a évoqué une crise générale de la logistique en Europe qui affecte industrie et commerce des aliments. Bref, "le Luxembourg, la Grande Région, et beaucoup d’autres découvrent que la libre circulation des personnes et des marchandises, c’est lié, que les quatre grandes libertés de l’Union, c’est un paquet, cohérent, quelque part indissoluble. Et que si ce paquet est mis en pièces, appliqué par tranches, plus rien ne fonctionne en fait."  Dans son scénario, "de partout en Europe, l’on sent la rumeur monter. Les désordres sont économiques, logistiques, sanitaires, juridiques et judiciaires. L’on découvre que l’entorse à la libre circulation des personnes appauvrit les gens, les met dans des situations de pénurie, nuit à l’économie, crée du chômage massif, que sans libre circulation des personnes, la circulation des marchandises ne colle plus avec l’organisation de l’économie en 2011" A la fin, le désastre est si évident que Schengen est rétabli. "L’Europe se remet en marche, circule librement, avec une conscience très vive, pas du tout euphorique d’une liberté recouvrée, retenue, comme à jeun après une mauvaise cuite."                   

Paolo Artini, représentant régional de l’UNHCR, pointe du doigt les faiblesses du  règlement Dublin II

emn-paolo-artiniPaolo Artini, le représentant régional adjoint pour l’Europe de l’Ouest du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a, quant à lui, abordé la question du règlement européen Dublin II sur les transferts de demandeur d’asile.

Paolo Artini a tout d’abord tenu à rappeler que Dublin II vise à prévenir l’abus des procédures d’asile que constituent les demandes multiples. Le texte permet de déterminer au plus vite l’Etat compétent pour examiner une demande d’asile. Néanmoins, il s’est avéré souvent que les objectifs et mesures fixés par le règlement n’étaient pas atteints. Le représentant UNHCR le qualifie même de "système confus et difficile". L’UNHCR salue de ce fait la refonte du texte proposée par la Commission, encourage une approche plus humanitaire et propose que les transferts soient suspendus jusqu’à cette refonte.

Le thème de la migration et de l’arrivée massive de réfugiés provenant de pays tiers qui demandent l’asile dans un Etat membre de l’Union européenne s’est intensifié ces derniers mois et certains Etats membres sont dans l’incapacité de gérer un tel afflux de réfugiés (243 000 par an). La question d’une solidarité entre Etats se pose. Dans cette logique, l’UNHCR prône donc une vision bien plus large des mouvements migratoires afin d’en avoir une meilleure compréhension et de réagir de manière ciblée et efficace. L’objectif n’est pas de blâmer les Etats en difficulté avec l’afflux de réfugiés, mais de faire peser une certaine responsabilité sur l’Etat auteur d’un transfert. Il faut que "la part de la responsabilité soit plus globale."

Dublin II n’est pas abouti en termes d’efficacité

Un premier chiffre intéressant évoqué par Paolo Artini est que seulement 30 % des transferts qui sont acceptés sont effectivement appliqués. Les facteurs tels que "la famille, l’existence d’une communauté dans un autre Etat membre ou bien les disparités des standards d’asile entre les Etats membres" sont à l’origine des multiples demandes et déplacements des demandeurs d’asile à travers l’UE.

Ensuite la présomption selon laquelle la situation dans l’Etat dans lequel le demandeur sera reçu offre le même niveau de protection des droits du demandeur "n’est pas la réalité", car de "nombreux rapports relatent des conditions peu recommandables dans certains Etats membres pour l’accueil de demandeurs d’asile qui sont transférés". Les conditions d’accueil des demandeurs de Dublin II "devraient au moins répondre aux standards minimums", comme l’explique Paolo.

Le système de transfert soulève des inquiétudes quant au respect des droits fondamentaux consacrés par la Charte européenne

Le droit à l’asile présuppose selon l’article 33 de la Convention de Genève "qu’aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques." Ce principe de non-refoulement est la pierre angulaire du droit d’asile. En cas de rapatriement vers le pays d’origine du demandeur d’asile, ses droits fondamentaux doivent être respectés. Pourtant l’UNHCR soulève certaines inquiétudes quant au respect de ce droit.

Un problème majeur est celui de l’utilisation systématique par certains États membres de la "détention" pour les demandeurs de la procédure de Dublin II. L’UNHCR  soulève « le fait que l’article 31 de la Convention de Genève de 1951 prévoit que des sanctions pénales, détention comprise, ne doivent pas être imposés à des réfugiés illégaux. Dans ce contexte, toutes les propositions en vue d’introduire de nouvelles garanties sont les bienvenues car la détention et "des alternatives doivent être identifiées avec les gouvernements des différents Etats membres", pense Paolo Artini. La détention aurait notamment "un coût humain et un coût pour l’Etat".

Un autre domaine clef serait d’informer de manière plus efficace les demandeurs d’asile sur le fonctionnement du règlement. Très souvent, ils ne sont pas réellement au courant des informations qu’ils sont censés fournir et omettent ainsi de mentionner des informations importantes comme par exemple la présence de famille sur le territoire de l’Etat membre saisis de la demande. En effet, des informations plus pertinentes et une compréhension plus grande de Dublin peuvent permettre d’améliorer son fonctionnement.

La jurisprudence des Cours de Luxembourg et de Strasbourg ont souligné le problème

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a, dans son arrêt M.M.S c.Belgique et Grèce, renié la possibilité pour les Etats d’invoquer une présomption quant au respect des droits du demandeur d’asile dans le pays de réception et oblige les Etats à une vérification du respect de ces droits. La Cour de Justice de l’Union européenne semble suivre la même logique, à la différence que la CJUE admet une présomption mais réfragable (qui peut être renversée), comme l’indiquent les conclusions – qui ne lient pas la CJUE - de l’avocat général Trstenjak publiées le 22 septembre 2011.Les cours ont donc souligné l’importance d’une protection adéquate des demandeurs d’asile et surtout l’obligation pour les Etats de procéder à des vérifications avant un transfert.

Sergio Carrera (CEPS) : Schengen, un enjeu de pouvoir entre les Etats nationaux et la Commission?

Sergio Carrera (c) Stoldt AssociésSergio Carrera, du Centre for European Policy Studies Centre for European Policy Studies (CEPS) a abordé dans sa contribution, après l’intervention du ministre de l’Immigration, Nicolas Schmit (voir l'article), les attitudes de la France, de l’Italie et du Danemark face aux règles de Schengen, ainsi que des questions fondamentales liées au système Schengen en se basant sur un papier qu’il a publié en juin 2011.

Ces affaires ont mis en avant les intérêts des Etats nationaux, constate-t-il. Mais qu’en est-il des droits fondamentaux auxquels ces Etats ont souscrit, qu’en est-il de leur responsabilité vis-à-vis de ces normes légales ? Pour le chercheur, le grand problème, c’est que le discours anti-immigration est aujourd’hui tenu par des dirigeants de partis établis ("mainstream leaders") tant en France, en Italie, au Danemark et dans la plupart des autres Etats membres de l’UE. Pendant 25 ans, pendant 10 ans, Schengen a bien fonctionné, parce que plutôt bien coordonné. Mais maintenant, la question qui est à l’ordre du jour en Europe, c’est, pour Sergio Carrera, de savoir qui décidera des questions de migration et de mobilité. La Commission a agi sur la question des Romas avec Viviane Reding à l’été 2010. Elle a agi avec Cecilia Malmström avec ses propositions de mai et de septembre 2011. A chaque fois, des Etats nationaux ont réagi à leur manière à de nouveaux problèmes. La France avec des expulsions collectives de Romas et des contrôles aux frontières et des blocages de trains lors de l’affaire des Tunisiens, l’Italie avec des laissez-passer pour les Tunisiens qui avaient atterri à Lampedusa. Ces incidents sont vite devenus des affaires européennes dans des pays marqués par le discours xénophobe du Front national et de la Lega Nord. La France et l’Italie ont obligé selon Sergio Carrera les autres Etats membres d’être solidaires de ce qui se passait "par la porte de derrière" en poussant la Commission à réagir. Pourtant, remarque le chercheur, la France avait déjà décidé plus de 70 fois de rétablir des contrôles aux frontières intérieures, et cela en toute légalité. Pourquoi alors l’affaire à la frontière franco-italienne est-elle devenue si exceptionnelle, dans la mesure où le rétablissement de ce type de contrôles est parfaitement défini par le code d’application Schengen ?

C’est que la France a fait de l’arrivée des Tunisiens de Lampedusa à ses frontières une histoire de "menace de sa sécurité nationale". Mais, se demande Sergio Carrera, en quoi l’arrivée à ses frontières de 400 Tunisiens constitue-t-elle une menace pour sa sécurité nationale ? Et l’arrivée de 25 000 Tunisiens en Italie, est-ce vraiment une situation exceptionnelle pour ce grand pays ? Pour le CEPS, contrairement à ce que la Commission a déclaré après coup le 25 juillet 2011, la France n’a pas été en conformité avec le code Schengen. Mais elle a selon Sergio Carrera profité de l’occasion pour rouvrir la question de qui décide en matière de migration, de mobilité et de libre circulation des personnes afin que les Etats membres reprennent le dessus.

Les propositions de la Commission du 16 septembre 2011 sont en toute logique pour Sergio Carrera une riposte. Car c’est Bruxelles qui déciderait de la légalité du rétablissement éventuel et temporaire de contrôles aux frontières intérieures. Et la Commission voudrait aussi jouer un rôle plus important dans l’évaluation de la qualité de la protection aux frontières extérieures, actuellement confiée aux seuls gouvernements dans le cadre d’un mécanisme intergouvernemental qui ne produit pas de données publiques. Les grands Etats membres – voir la lettre du 13 septembre 2011 des ministres de l’Intérieur allemand, espagnol et français – ont pris cela très mal, constate le chercheur. D’autre part, la Commission se prend selon lui pour l’Union et instrumentaliserait le débat autour de Schengen pour avoir plus de pouvoirs. Mais si le modèle pour une évaluation des situations aux frontières intérieures est la position de la Commission envers la France du 25 juillet 2011, ce la ne préjuge rien de bon pour le chercheur du CEPS. Pour lui, le point le plus positif – "une lumière" - des propositions de la Commission du 16 septembre est l’implication du Parlement européen dans le processus de codécision.

Reste un autre aspect important : le respect des droits fondamentaux, car il y aura fatalement des violations de ces droits et des plaintes qui seront déposées. Il ne suffit pas ici selon Sergio Carrera que les Etats membres transposent, mais il faut aussi se demander si la Commission dispose d’outils efficaces pour assurer un vrai contrôle dans ce domaine. Et de se demander si ce ne serait pas plutôt une tâche du Conseil de l’Europe plutôt que de l’Union européenne.

Finalement, le dispositif d’agences qui gravitent autour du code Schengen, comme Frontex, Europol, Eurojust, etc., souffre selon Sergio Carrera d’un manque de responsabilité politique, juridique et démocratique. Il y a de sérieuses lacunes dans ce que l’on sait de ce que ces agences font sur le terrain. La solidarité européenne dans le cadre de Schengen, se demande-t-il, est en fin de compte une solidarité entre qui ? Entre les Etats membres ? Et que deviennent dans ce contexte les droits fondamentaux ? Ce qui est en jeu, c’est pour le chercheur la légitimité de l’UE et son image sur les autres continents.