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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Accord PNR - Le Parlement européen adopte à une large majorité le nouvel accord avec les Etats-Unis sur le transfert des données des voyageurs, malgré l’engagement d’une rapporteure opposée à l’accord
19-04-2012


Le 19 avril 2012, en séance plénière, le Parlement européen a adopté par 409 voix contre 226 le très controversé Accord entre les États-Unis d'Amérique et l'Union européenne sur l'utilisation des données des dossiers passagers (données PNR) et leur transfert au Ministère américain de la sécurité intérieure. Les défenseurs du texte ont ainsi pris un avantage plus net sur ses opposants que cela n'avait été le cas lors du vote à la commission des libertés civiles. Le 27 mars 2012, le texte de la Commission européenne y avait en effet été adopté par 31 voix pour, 23 contre et une abstention. 

Ce vote met fin à une procédure entamée il y a près de deux ans, lorsque par sa résolution du 5 mai 2010, le Parlement européen avait prié la Commission de renégocier l'accord dit PNR conclu en 2007, qu'ils n'avaient jamais adopté par un vote. Les eurodéputés espéraient que la Commission puisse obtenir le renforcement de la protection des données et des droits fondamentaux des 48 millions de passagers qui voyagent chaque année entre les deux continents.

Toutefois, les résultats des négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis, présenté en mai 2011, ont rapidement paru insuffisants à une partie de l'hémicycle. Les questions de la durée de rétention et de la finalité de la collecte des données sont au cœur des divisions au sein du Parlement européen sur cette question. Alors que la tendance conservatrice, groupes PPE et ECR confondus, était plutôt favorable à l'accord, les groupes écologistes, libéraux et de gauche y étaient plus défavorables. Le groupe social-démocrate (S&D) était pour sa part le plus partagé.

L'issue du vote s'est donc joué sur le poids de l'attachement aux libertés fondamentales par rapport aux exigences sécuritaires des Etats-Unis, réticents à aller plus loin que les concessions déjà faites. Par rapport à l'accord de 2007, l'accord présenté en mai 2011 par la Commission et finalement adopté le 19 avril 2012 par le Parlement européen est présenté comme limitant l'usage des données à la lutte contre le terrorisme et les crimes considérés "graves" dès lors qu'ils sont passibles d'une peine d'au moins trois ans de prison aux Etats-Unis.

Sophia in 't Veld, rapporteure : "Les droits fondamentaux  ne sont pas négociables"

Sophia In't Veld durant l'assemblée plénière  © European Union 2012 EPToutefois, la rapporteure du projet d'accord, l'eurodéputée libérale néerlandaise Sophia in 't Veld (ADLE), opposée à cette mouture du texte, voyait les choses autrement. A l'issue des débats du 19 avril 2012, elle a tenté une nouvelle fois de déjouer les arguments des défenseurs du texte. "Personne ne nie qu'il soit nécessaire de lutter contre le crime organisé et le terrorisme. Mais nous ne sommes pas d'accord sur l'utilisation des données à d'autres fins", a-t-elle plaidé, citant la lutte contre l'immigration illégale et la lutte contre les maladies transmissibles. Elle interprète ainsi l'article 4 de l'accord comme permettant un accès plus vaste aux données que ne l'avance la Commission européenne. Elle rejoint ainsi l'expertise de différents juristes dont ceux mandatés par les Verts européens.

A la défense tous azimuts des droits des citoyens européens exigeant un renoncement à un tel accord, des eurodéputés ont notamment rappelé qu'il fallait savoir faire des compromis. Ce à quoi la rapporteure a objecté que si "la politique est l'art des compromis", "les droits fondamentaux  ne sont pas négociables". Elle a d'ailleurs rappelé qu'il est possible de conclure un "accord acceptable avec nos amis australiens "mais non avec "nos amis et alliés américains". Le Parlement européen a en effet validé l'accord PNR avec l'Australie en octobre 2011.

 Face à l'argument selon lequel il valait mieux un accord que pas d'accord du tout, Sophia in 't Veld  rétorque au contraire qu'en l'absence d'accord, "les sauvegardes existent déjà dans la législation européenne". Enfin elle s'est une dernière fois élevée contre les possibilités de surveillance de l'usage des données fait par les Américains, la qualifiant de "vaste blague". Elle a aussi fustigé l'étendue, que la Commission aurait minorée, du recours à la méthode dite "pull", où le pouvoir américain peut contraindre les voyagistes à donner des informations. "Pourquoi des dizaines de milliers de cas de pull quotidiens depuis 2000 sont considérés par la commission comme des cas exceptionnels ?" Cette méthode reste prévue dans l'accord mais "au cas par cas".

Cecilia Malmström : "Les Etats-Unis ont le droit de demander des informations à un individu qui veut atterrir sur son territoire"

Malmström"Les Etats-Unis ont le droit de demander des informations à un individu qui veut atterrir sur son territoire. Ils le font aujourd'hui. Ils l'ont fait dans le passé. Ils le feront à l'avenir. Et c'est aussi le cas dans la plupart de nos pays", a constaté la commissaire européenne, Cecilia Malmström, dans son allocution de fin de débat. Elle a d'ailleurs fait remarquer qu'un système européen de PNR avait déjà été évoqué. "Les Etats membres estiment que c'est un instrument important pour lutter contre le terrorisme mais également le trafic des êtres humains."

Cecilia Malmström est, contrairement aux opposants au texte, d'avis que cet accord apporte des limites au recours aux données en le limitant à la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière pour des peines supérieures à trois ans. De même, revenant sur les indications de santé controversées, elle a souligné que seules celles relatives à des maladies contagieuses intéressaient les Etats-Unis et ce dans des propositions infinitésimales puisqu'ils n'y auraient eu recours, d'après les informations de la Commission européenne, jusque là seulement à quatre reprises.

L'information des voyageurs, la possibilité pour ces derniers de mener des démarches judiciaires telles que consignées dans l'accord ou encore la méthode dite "push" selon laquelle ce sont les transporteurs qui livrent les informations au ministère américain de l'intérieur seraient autant de garanties apportées aux voyageurs européens.

"Ce n'est pas parfait"

"Ce n'est pas parfait", a toutefois concédé la commissaire en proie à de nombreuses critiques de la part d'une partie des eurodéputés. "Vous n'avez pas obtenu à 100 % ce que vous vouliez. Mais sur tous les points c'est un meilleur accord que ce que nous avions jusque-là."  Elle renvoie de surcroît aux révisions futures, en garantissant qu'elle se fera assistée dans cette tache par des experts en protection de données. L'accord prévoit en effet un examen de la mise en œuvre de l'accord un an après son entrée en vigueur et "ultérieurement à un rythme régulier défini d'un commun accord" mais aussi une évaluation qui est d'ores et déjà prévu quatre ans après l'entrée en vigueur. "Je serai totalement transparente et ferai rapport à toutes les étapes de cette évaluation", a promis Cecilia Malmström.

Contrairement à la rapporteure de l'accord, la commissaire considère qu'en cas de rejet de l'accord, les données auraient tout de même été collectées  par les autorités américaines, "mais hors de tout cadre juridique",  limitant les possibilités de contrôle.

Les six députés luxembourgeois ont voté contre l'accord

Les eurodéputés conservateurs ont voté à une large majorité en faveur du texte. Seuls quatre n'ont en effet pas accordé leur voix à l'accord, comme le rapporte le journaliste du Tageblatt, Guy Kemp, dans l'édition du 20 avril 2012. Or, les trois eurodéputés luxembourgeois du CSV (Astrid Lulling, Georges Bach et Frank Engel) sont de ceux-là.

Membre de la commission des libertés civiles, Frank Engel avait déjà fait part de son opposition au texte. Il l'a répété dans son intervention lors du débat précédant le vote. "Il est bien évident que les Etats-Unis ont le droit de faire ce qu'ils veulent. Et ils feront n'importe quoi pour l'obtenir. Et c'est là que le bât blesse. Nous avons affaire à un accord exécutif et malheureusement il n'y a pas de traité de Lisbonne aux Etats-Unis qui donnerait au Congrès le droit de ratifier les accords internationaux. C'est le président qui signe cet accord et il ne donnera certainement pas des droits au-delà de ce qui existe dans la législation américaine", a-t-il fait savoir lors de son intervention au Parlement européen.  Ainsi, Frank Engel a décidé de ne pas voter pour un texte "qui ne changera strictement rien à la situation actuelle parce que c'est impossible tout simplement". D'ailleurs, il pense que le recours judiciaire permis aux Européens ne sera pas effectif. "Les Américains diront que les réparations cherchées par les citoyens ne sont pas légales."

Considérant dans un communiqué de presse publié le 20 avril 2012 que l'accord n'est "qu´une ratification européenne de pratiques américaines en matière de transfert de données personnelles de passagers", Frank Engel juge par ailleurs une telle pratique "largement excessive". "Au-delà des procédures d´entrée aux Etats-Unis extrêmement pénibles, [ce texte] soumet les voyageurs de bonne foi à une suspicion générale. On ne combat pas le terrorisme et la grande criminalité en culpabilisant d´avance chaque passager d´un vol transatlantique", conclut-il.

"Je ne peux pas soutenir un accord qui ne tient pas assez compte du droit européen et des dispositions européennes sur la protection des données et qui remet en cause les droits des citoyens européens", a pour sa part déclaré l'eurodéputé Georges Bach au Tageblatt. L'eurodéputé écologiste Claude Turmes reprend la dénonciation d'un glissement vers un Etat policier exprimé par son groupe politique et rend également attentif au fait que le texte ouvre une brèche puisque désormais des pays tels l'Arabie Saoudite et la Chine vont désormais tenter de négocier le même genre de traité.

L'eurodéputé libéral, Charles Goerens, ajoute à cette liste de griefs le non respect du principe de réciprocité, qui, s'il était observé, contraindrait les Etats-Unis à livrer aux autorités européennes le même type d'informations que celles qu'ils reçoivent.

Les réactions après le vote du Parlement

L'ambassadeur américain auprès de l'Union européenne, William Kennard, s'est félicité du résultat du vote, soulignant qu'il sera à la fois bénéfique pour la sécurité des voyageurs et pour la lutte contre le terrorisme. Le transfert des données "a aidé dans pratiquement toutes les enquêtes américaines de premier plan sur le terrorisme au cours des dernières années", lit-on dans le communiqué de presse qu'il a publié. De même, le texte fournira "une certitude juridique aux compagnies aériennes et [garantira] aux passagers que leur vie privée sera respectée".

La commissaire aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström a estimé qu'il s'agissait d'un "accord dont les trois institutions de l'UE peuvent être fières". Pour cause, "par comparaison avec l'accord actuel relatif aux données PNR, conclu en 2007 entre l'UE et les États Unis, il prévoit un renforcement de la protection du droit des citoyens de l'UE au respect de leur vie privée et offre une sécurité juridique accrue aux transporteurs aériens". "Ce nouvel accord constitue une amélioration notable par rapport à l'accord actuel datant de 2007, et je me réjouis que le Parlement l'ait compris aujourd'hui", a-t-elle conclu

Les opposants aux textes ont pour leur part partagé leur déception. Le rapporteur, Sophia in 't Veld, s'est dite "déçue  qu'après neuf ans de négociations avec nos plus proches amis et alliés, les  Etats-Unis, nous n'ayons obtenu qu'un accord approuvé du bout des lèvres par un  parlement divisé". Les Verts, particulièrement impliqués également contre ce texte ont considéré que ce dernier "constitue encore un pas vers un Etat policier".

Le Conseil Justice et Affaires intérieures qui se tiendra le 26 avril 2012 à Luxembourg devrait entériner définitivement l'accord PNR qui sera valable pour sept ans. Il restera encore quelques points à préciser, dont  la liste des données sensibles que le ministère américain de l'intérieur devra communiquer à la Commission européenne dans les 90 jours suivant l'entrée en  vigueur.