Principaux portails publics  |     | 

Traités et Affaires institutionnelles - Transports
Méga-poids-lourds et transports transfrontaliers - La Commission opte pour la confrontation avec le Parlement européen où la colère gronde
18-06-2012


Un gigaliner sur un croisement source: Allianz pro Schiene/Kraufmann sur le site No MegatrucksLe 13 juin 2012, le commissaire européen en charge des Transports, Siim Kallas, a adressé au président de la Commission des transports du Parlement européen, Brian Simpson, une lettre dans laquelle il confirme et renforce ses arguments en faveur de la circulation transfrontalière des méga-poids-lourds – des poids lourds d’une longueur maximale de 18,75 mètres et d’une charge maximale de 40 tonnes - à condition que ces poids-lourds soient l’objet d’une dérogation dans les Etats membres voisins concernés.

Pour les eurodéputés, il s’agit là d’une réinterprétation de la directive 96/53/CE qu’ils avaient déjà contestée, pour certains, sur le fonds, et pour presque tous à cause de la manière dont la Commission a interprété de sa propre autorité une directive qui prévoit d’abord une interdiction de la circulation transfrontalière de ces méga-poids-lourds. Cédant à des injonctions de la Présidence danoise et des pays scandinaves, la Commission a changé complètement de position sur cette directive depuis 2010 et plaide maintenant pour des dérogations à l’interdiction de leur circulation transfrontalière.

Les arguments de Siim Kallas

Après une comparution animée devant la commission Transports fin mars 2012, où Siim Kallas avait admis avoir négligé l’implication du Parlement européen, sa lettre du 13 juin 2012 a pour objectif de cimenter sa position initiale. Il dit donc que la directive n’a pas pour objectif d’empêcher les dérogations pour les méga-poids-lourds au niveau national de s’appliquer également au trafic transfrontalier. La seule condition : la dérogation doit s’appliquer à tous les transporteurs sans discrimination. Un recours à ces dérogations doit néanmoins "être raisonnable", de sorte que ce qui est exceptionnel ne devienne pas la norme. Les permis de circulation devraient être issus dans chacun des pays concernés. D’autre part, si deux pays qui ont une frontière commune appliquent les dérogations pour les méga-poids-lourds, ils devraient agir en fonction des objectifs du marché intérieur, de sorte qu’aucune opération de transports transfrontalière avec ce type de véhicules ne devrait être interdite, à condition que la concurrence internationale n’en soit pas affectée. Cette condition serait remplie si le transport transfrontalier avec des gigaliners s’effectue entre deux pays dont les infrastructures existantes et les normes de sécurité rendent possible ce trafic. Le même principe devrait s’appliquer à un transport qui traverserait plusieurs frontières dans une grande zone frontalière. Une autre manière de procéder recréerait des obstacles artificiels aux frontières, obligeant les transporteurs à décharger et transborder leurs cargaisons pour passer une frontière. Or cela serait, selon le commissaire, en contradiction avec les objectifs politiques présents et passées de l’UE.

Fronde de parlementaires qui se sentent bafoués

Ce qui émeut les parlementaires européens, c’est que le sens même de la directive se trouve bouleversé par une réinterprétation. Bref, une décision de fait législative est prise par la Commission par voie de lettre, excluant le co-législateur qu’est le Parlement européen, mais aussi le Conseil. Face à cette situation, les parlementaires exigent un vrai processus de décision législatif et refusent que leurs droits soient mis en cause. 

Dans un communiqué diffusé le 18 juin, l’eurodéputé luxembourgeois Georges Bach rappelle que le recours aux gigaliners est permis au niveau national dans les pays scandinaves, aux Pays-Bas et dans certains Länder allemands. Mais il écrit aussi : "Avec son 'interprétation' unilatérale de la directive, la Commission crée tout sauf de la sécurité juridique pour les entreprises concernées. Un transporteur qui investit sur la base de cette 'interprétation' dans l’achat de gigaliners pour le transport transfrontalier n’a pas de garantie que leur utilisation soit aussi autorisée dans le futur. Un jugement de la CJUE suffirait à inverser de nouveau la situation. » Et  il rappelle la réponse de Siim Kallas à une question parlementaire de mars 2010, dans laquelle ce dernier promettait que la Commission engagerait des procédures d’infraction contre les pays qui continueraient de tolérer des transports transfrontaliers avec des gigaliners. Sa "déception à l’égard de la manière de procéder de la Commission" dont il souligne la fonction de gardienne des traités est donc très grande. Il n’est pas prêt d’accepter cette politique du fait accompli par la voie de la réinterprétation des textes, sans débat au Parlement européen.   

Les suites

Dans une conférence de presse, le destinataire de la lettre de Siim Kallas, l’eurodéputé Brian Simpson, a annoncé qu’il avait envoyé une lettre au président du Parlement européen, Martin Schulz, pour lui expliquer les incertitudes qui découlent de l’attitude de la Commission tout en lui demandant de réfléchir en commun à la manière de réagir. Il a également annoncé que le dossier du litige serait transféré à la commission des affaires juridiques pour qu’elle donne son avis. La société civile continue par ailleurs d’être mobilisée à travers la campagne No Megatrucks  qui réunit 212 organisations de 24 pays. Affaire à suivre.