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Stratégie numérique - Marché intérieur
La FEDIL discute avec les parties prenantes du droit d’auteur à l’ère numérique en Europe et dans le monde
04-07-2012


FEDIL-ICTLa branche TIC de la FEDIL avait invité le 4 juillet 2012 à un séminaire sur le droit d’auteur à l’ère numérique. L’objectif : partir à la recherche d’un juste équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et l’accès aux contenus, sous l’angle d’un Luxembourg intéressé à se tailler sa place dans le contexte du marché intérieur et global des services électroniques. Le même jour, le Parlement européen venait de rejeter avec une très large majorité – seulement 39 voix pour et un peu plus de 160 abstentions – l’accord ACTA, ce qui a d’ailleurs obligé certains des intervenants à improviser pour tenir compte de cette nouvelle réalité, mais ce fut de manière à la fois brillante, pragmatique et passionnante.  

Nicolas Buck : plaidoyer pour une chambre de compensation des droits d’auteur selon le modèle de Clearstream

Nicolas Buck, membre du CA de la FEDIL et en charge de la branche TIC dans la fédération patronale, a dressé le cadre de l’intérêt de la FEDIL pour la question : le Luxembourg est une fenêtre européenne pour de nombreuses entreprises en ligne, que ce soit dans le secteur des médias, de l’e-commerce ou de l’industrie des jeux électroniques. L’industrie en question attache une grande importance à ce que la Commission européenne arrive à avancer avec la mise en œuvre de sa stratégie pour la modernisation des droits de la propriété intellectuelle (DPI). Voir aussi:  http://ec.europa.eu/internal_market/top_layer/intellectual-property/index_fr.htm)

Les droits d’auteurs sur les livres, les services audiovisuels et musicaux ainsi que le software constituent une part essentielle de cette démarche pour Nicolas Buck. Avec les nouvelles plateformes, les nouveaux services qui émergent, avec les consommateurs qui sont d’un côté de grands demandeurs de contenus à télécharger mais aussi eux-mêmes des fournisseurs de contenus, avec les nouvelles technologies qui prolifèrent sur le réseau, un marché sans frontières se dessine alors que les législations sont nationales et donc fragmentées sur le continent. La Commission a sondé le terrain dans un Livre vert de juillet 2011 qui met en exergue ces obstacles à la diffusion continentale de contenus. La Commission veut faire des propositions sur la gestion collective des droits d’auteur et renforcer la directive sur l’application des droits de propriété intellectuelle  

Dans son intervention, Nicolas Buck a établi un parallèle stratégique entre le Luxembourg, place financière qui dispose avec Clearstream d’une chambre de compensation internationale spécialisée dans l'échange de titres ainsi que d’une bourse et d’entreprises qui permettent de gérer ces transactions et donc d’identifier leurs bénéficiaires, et le Luxembourg éventuelle future place pour identifier les propriétaires de droits et de gestion de ces droits. Cette gestion inclurait leur commerce, leur prêt, de la même manière que l’on traite le marché de titres. Et de mettre tout son espoir dans la capacité du pays à déclencher un mouvement législatif européen sur cette question et de bénéficier de son avantage d’avoir fait le premier pas.     

Jean Bergevin de la Commission européenne a livré une analyse des obstacles à un marché intérieur des contenus numériques et prôné une modification des règles législatives

Jean Bergevin, chef d’unité en charge de la lutte contre la contrefaçon et le piratage à la DG Marché intérieur et services, direction propriété intellectuelle de la Commission européenne a dû, comme Nicolas Buck, accuser le coup du rejet d’ACTA par le Parlement européen. Le projet qu’il avait soutenu n’aurait selon lui rien changé en Europe, mais laisse maintenant l’Europe dans un état juridique où rien n’est harmonisé dans le domaine des DPI, et ce pour des raisons purement politiques.

Jean Bergevin a ensuite dressé le tableau d’un marché transfrontalier des services en ligne à la limite de la légalité, qui n’est pas encouragé, où la défense des DPI ou des droits d’auteur est très chère sur un plan transfrontalier, où la gestion collective des droits d’auteur reste nationale, avec 27 cultures juridiques et pratiques commerciales différentes. Pire, cette différence de cultures sert souvent d’argument pour ne pas avancer sur le chemin de l’harmonisation du marché intérieur dans ce domaine.

Jean Bergevin identifie trois questions essentielles en relation avec les obstacles à une ouverture du marché des services en ligne : L’obstacle, est-ce la loi ou les pratiques commerciales ? Où l’argent en jeu est-il géré ? Qu’en est-il des droits dans le secteur audiovisuel ? 

Il constate en ce qui concerne la première question que les consommateurs expriment une demande forte pour des contenus transfrontaliers, mais que dans la pratique, la demande n’est pas assez intéressante.

Quant à l’argent, comme les opérations s’effectuent par des cartes de crédit, les entreprises qui les gèrent perçoivent plus que les auteurs des contenus qui sont l’objet des transactions, notamment quand les transactions se font au bénéfice de sites illicites. Or, la production et la création, et pas seulement la distribution, doivent être encouragées, si l’on veut qu’elles se renouvellent. D’autre part, les publicitaires qui se placent sur les sites illicites financent eux aussi l’illégalité, tout comme d’autres intermédiaires sur un marché en phase de concentration. De sorte que d’ailleurs des acteurs en puissance dépensent de fortes sommes pour contrer les grands du secteur.          

Les DPI dans le secteur audiovisuel souffrent d’une législation incomplète par rapport aux derniers développements. D’où, selon Jean Bergevin, la nécessité de la renforcer et changer les moyens de recours pour réclamer les droits pendants. Pour cela, il faudra définir ce qui relève du commercial et du non-commercial, ce qui devient de plus en plus difficile sur le Net.

Une proposition sur la gestion collective des droits d’auteur est maintenant sur la table, a révélé Jean Bergevin après un processus de consultation (avec un  grand retard, car elle devait être rendue publique en mars 2012, n.d.l.r.). Elle se base sur une harmonisation des marchés audiovisuels en ligne, sans savoir encore si celle-ci se fera sur une base nationale ou sur la base d’une harmonisation plus poussée au niveau communautaire. Le volet pénal restera du ressort des Etats membres. Le volet civil, particulièrement difficile, car une procédure transfrontalière est à la fois très difficile et très chère, devrait être réformé dans le sens qu’il ne devrait pas être nécessaire d’aller plaider à l’étranger un dommage qui a été causé à un ressortissant qui relève de la compétence territoriale d’une juridiction donnée.

Lex Kaufhold de l’OPI luxembourgeois pour une politique des petits pas et contre une libéralisation sauvage par à-coups législatifs

Lex Kaufhold, le directeur de l’Office luxembourgeois de sa propriété intellectuelle, a d’abord raillé ce qui s’est passé sur le plan européen pendant les jours et heures qui ont précédé le séminaire : le blocage par le Parlement européen du vote sur le brevet européen à cause d’une décision prise en dernière minute au Conseil européen de supprimer trois articles de l’accord, la procédure en infraction lancée contre le Luxembourg et la France sur la question de la TVA sur les livres numériques et enfin le rejet de l’ACTA par le PE deux heures auparavant. Tout cela place le gouvernement luxembourgeois dans une position difficile, dans la mesure où il avait fortement misé sur les trois textes et ne peut pas changer grand-chose en l’état actuel. Or, en matière de DPI, il y a urgence, dès que l’on n’est plus dans le domaine industriel.

Lex Kaufhold s’est ensuite montré sceptique envers la faisabilité d’une chambre de compensation dans le domaine des droits d’auteurs, à cause de la complexité et du travail préliminaire de clarification des droits. Reste que le Luxembourg est un site économique où l’intérêt pour la question des DPI est très grand, comme le montrent les succès répétés des journées de la propriété intellectuelle. Cet intérêt et un effort réel d’innovation ont conduit à ce que le Luxembourg est passé entre 2011 et 2012 de la 17e à la 11e place dans l’index global de l’innovation et qu’il est en termes de protection des DPI  listé 4e derrière la Suède, la Finlande et Singapour. En termes de lutte contre la contrefaçon, il figure parmi les meilleurs de la planète.  

Quant à la proposition de la Commission pour renforcer la Directive sur l’application des droits de propriété intellectuelle et celle sur le commerce électronique, Lex Kaufhold est sceptique. Il ne suffit pas de changer la législation pour changer les pratiques sur un marché intérieur du commerce électronique qui n’existe pas, même s’il est souhaitable. Il faut procéder par petits pas, éviter tout ce qui évolue vers une directive du type HADOPI.

Libéraliser sans crier gare le marché de la gestion collective des droits d’auteur, cela signifierait dans la pratique que la GEMA allemande par exemple, qui vient d’augmenter de 400 %  les droits d’auteur sur les contenus musicaux dans les discothèques, ferait très vite la loi au Luxembourg. Ou bien que les grandes entreprises de gestion collective des droits s’approprieraient des portefeuilles des majors américaines, tandis qu'elles négligeraient les droits des petits auteurs. Bref, il y a un gros problème dans l’UE.

Christophe Geiger ou l’autopsie de l’échec de l’ACTA

Ce fut ensuite au professeur Christophe Geiger, spécialiste des DPI, chercheur au CEIPI de l’Université de Strasbourg et au Max-Planck-Institut à Munich, d’expliquer, sous le coup de l’actualité, le Non du Parlement européen à l’ACTA, qui visait a priori, avec la lutte contre la contrefaçon qui concerne 2 % des marchandises commercialisées, un objectif légitime.

L’ACTA a échoué pour trois raisons selon le chercheur qui est un des coauteurs et cosignataires d’un avis d’universitaires européens sur l’accord rejeté. La première raison est le secret des négociations qui a exclu des pays tiers directement concernés, à la fois comme sources et victimes de la contrefaçon. La deuxième raison est le "forum shifting", c’est-à-dire une négociation en dehors d’un cadre multilatéral comme l’OMC, par crainte des contreparties qui pourraient être demandées. Négocier de manière unilatérale sur des dispositions qui auraient un impact sur des pays tiers exclus mais concernés a créé un "mauvais climat". Conséquence et troisième raison : les pays tiers n’ont même pas songé à signer l’accord.

Cela a conduit à des pressions, y compris de la rue, sur les gouvernements européens. Les uns n’ont pas signé, d’autres ont gelé le processus de ratification. La Commission a voulu poser une question préjudicielle à la CJUE, mais presque trois mois se sont écoulés entre l’annonce de cette question et le dépôt de cette question.

Pour Christophe Geiger, non seulement la Commission a adopté alors une approche dilatoire, mais elle n’a pas dit l’entière vérité en disant que l’ACTA n’ajoutait rien aux législations européennes actuelles. En toute logique, il y a eu un Non clair et net du Parlement européen. Mais rien n’exclut que la Commission refasse une tentative pour faire passer l’accord. Si elle a échoué, c’est plus, selon l’expert, pour un problème de méthode que pour un problème de substance. L’ACTA, en l’état actuel, aurait même pu nuire à la légitimité du système de protection de la propriété intellectuelle actuel, a conclu Christophe Geiger.

La table-ronde

Après un exposé très technique sur un ACTA remis aux actes, Bernardo Cortese, qui enseigne le droit international et européen, a animé la table ronde qui réunissait, outre les intervenants précédents, Christophe Duplay, qui dirige la firme Nomad TV, et Bernardo Matos, qui dirige les affaires européennes au RTL Group.

Le coup de gueule de Christophe Duplay : "le marché intérieur en termes de médias est une blague" et "les pratiques commerciales sont l’ennemi"

Le travail de la firme de Christophe Duplay, Nomad TV, consiste à négocier des licences de programmes de télévision nationales qui sont ensuite regroupées dans des bouquets satellitaires pour être rediffusées dans d’autres pays. Pour ce professionnel des droits de rediffusion au parler franc, "le marché intérieur en termes de médias est une blague". Les majors américaines instrumentalisent selon lui le droit d’auteur pour augmenter leurs profits et renforcer leur position dominante par la manipulation de la fourniture des contenus. Toutes les chaînes nationales avec lesquelles Christophe Duplay a négocié des droits de rediffusion ont par ailleurs demandé des restrictions territoriales. En fait, il y a de plus en plus de frontières qui sont invoquées sur un marché censé s’ouvrir.

La façon dont NOMAD TV de Christophe Duplay se conçoit: briser les murs de la télédiffusion"Les pratiques commerciales sont l’ennemi", dit crûment Christophe Duplay. Et l’ennemi a pour nom MPA, la Motion Pictures Association américaine, car les grands studios de production imposent des limites de transmission très strictes malgré les tentatives de la Commission d’obtenir plus d’ouverture. Par ces pratiques, c’est le droit du consommateur qui est touché. Les Anglais sur le continent ne peuvent donc pas voir BBC1 et BBC2. Pour Christophe Duplay, il faudrait "un geste violent", comme par exemple territorialiser des campagnes publicitaires qui ont une portée multinationale. 

L’idée d’une chambre de compensation des droits d’auteur construite d’après le modèle de Clearstream ne déplaît pas à Christophe Duplay, mais l’effort à livrer serait gigantesque et il ne croit pas qu’une approche centralisée soit la solution effective. Se posera toujours le problème des destinataires de la distribution des sommes collectées. Quant à une modification de la Directive sur l’application des droits de propriété intellectuelle, il ne croit pas qu’elle soit nécessaire s’il s’agit de changer les mécanismes de marché. Il s’agit surtout de créer un système plus simple qui éviterait aux consommateurs d’avoir dix décodeurs. "Plus le système est simple, plus le marché est ouvert, mieux les consommateurs accèdent aux contenus, moins il y a de hackers et de piraterie dans le secteur, plus facile sera aussi la collecte des droits par les fournisseurs". C’est ainsi que l’on peut résumer l’approche du praticien.    

Bernardo Matos pour une approche à la fois législative et pragmatique

Bernardo Matos, de RTL Group, dont le groupe étend son offre sur de nouveaux supports technologiques, est d’avis qu’un droit d’auteur unifié pour l’ère numérique est un objectif incontournable, sachant que ce sont les entreprises qui mènent le marché qui imposent à la fin les solutions et les technologies. Pour l’expert de RTL, le Livre vert de la Commission n’a pas réfléchi à tous les questions qui pourraient se poser. Si des problèmes surgissent dans la négociation sur une licence à limitation territoriale, les demandeurs devraient penser à exiger des contreparties compétitives, comme l’inclusion de services télédiffusés.

Si la directive sur l’application des DPI devait être changée, elle devrait se focaliser selon Bernardo Matos sur les sociétés à but lucratif et donner aux intervenants des moyens pour repérer ce qui est vraiment problématique dans la partie illicite du Net. Cela permettrait par exemple de trouver des accords avec YouTube qui, en contrepartie du colportage de contenus qui se trouvent de manière illicite sur le site, accepterait plus de publicité à de bonnes conditions sur ces pages, plutôt que d’en finir une fois pour toutes. Mais cette règle ne s’appliquerait évidemment pas aux "bad catalog contents" qui abondent sur ce site. Tout cela permettrait de lutter contre le piratage qui, de surcroît, draine de la publicité.                                   

L’espoir a pour Jean Bergevin deux noms : l’arrêt Premier League et l’arrêt Cassis de Dijon

Au cours du débat, Jean Bergevin, qui est revenu sur les velléités britanniques d’adopter une réglementation de type HADOPI et sur tous les problèmes d’application sur le marché audiovisuel notamment des principes de concurrence loyale au sein du marché intérieur, a expliqué que le grand espoir venait de deux arrêts de la CJUE, l’arrêt Premier League d’octobre 2011 et le toujours valable arrêt Cassis de Dijon de 1979 (qui stipule le principe de la reconnaissance mutuelle, par les États membres de l'Union européenne, de leurs réglementations respectives, en l'absence d'harmonisation communautaire, de sorte que des marchandises légalement produites et commercialisées dans l'un des Etats membres (UE/EEE) peuvent être vendues dans un autre Etat membre sans contrôle supplémentaire. n.d.l.r.).

Conclusion du séminaire : il faut néanmoins une réglementation unifiée du droit d’auteur dans l’UE. Même si les divergences furent grandes sur la voie à choisir. 

Contexte :

La directive sur l’application des droits de propriété intellectuelle

La directive sur l’application des droits de propriété intellectuelle, comme les droits d’auteur et les droits voisins, les marques commerciales, les dessins ou les brevets a été adoptée en avril 2004. La directive exige que tous les États membres mettent en place des moyens de recours et des sanctions effectifs, dissuasifs et proportionnés contre les auteurs des actes de contrefaçon et de piratage, en créant ainsi une égalité de traitement entre les titulaires de droits dans l’UE.

Cela signifie que les Etats membres seront dotés d’une série de mesures, de procédures et de recours similaires, qui permettront aux titulaires de droits de défendre leurs droits de propriété intellectuelle (qu’il s’agisse des droits d’auteur ou des droits voisins, des marques, des brevets, des dessins, etc.) en cas d’atteinte.

La directive sur le commerce électronique

Adoptée en 2000, la directive sur le commerce électronique institue au sein du Marché intérieur un cadre pour le commerce électronique garantissant la sécurité juridique pour les entreprises et pour les consommateurs. Elle établit des règles harmonisées sur des questions comme les exigences en matière de transparence et d’information imposées aux fournisseurs de services en ligne, les communications commerciales, les contrats par voie électronique ou les limites de la responsabilité des prestataires intermédiaires.

Le bon fonctionnement du Marché intérieur dans le domaine du commerce électronique est garanti par la clause "Marché intérieur" qui prévoit que les services de la société de l’information sont en principe soumis à la législation de l’État membre dans lequel le prestataire est établi. En retour, un État membre ne peut restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

En outre, la directive renforce la coopération administrative entre les États membres et le rôle de l’autorégulation. Comme exemples de services couverts par la directive, on citera les services d’information en ligne (comme les journaux en ligne), la vente en ligne de produits et de services (livres, services financiers, voyages), la publicité en ligne, les services professionnels (avocats, médecins, agents immobiliers), les services de loisirs et les services intermédiaires de base (accès à Internet ainsi que transmission et hébergement d’informations). Sont également couverts des services fournis gratuitement aux bénéficiaires et financés, par exemple, par la publicité ou le parrainage.