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Economie, finances et monnaie - Traités et Affaires institutionnelles
La Cour de justice donne son feu vert au mécanisme européen de stabilité
27-11-2012


CJUELe droit de l’Union ne s’oppose pas à la conclusion et à la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (ESM ou MES) par les États membres dont la monnaie est l’euro, a constaté la Cour de justice de l’Union européenne le 27 novembre 2012 à Luxembourg, dans son arrêt rendu dans l'affaire C-370/12 Thomas Pringle / Government of Ireland, Ireland, The Attorney General.

Dans son arrêt, la CJUE rappelle la décision du Conseil européen du 25 mars 2011, qui prévoyait l’ajout au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) d’une nouvelle disposition selon laquelle les États membres, dont la monnaie est l’euro, pouvaient instituer un mécanisme de stabilité qui serait activé si cela s’avérait indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi de toute assistance financière nécessaire au titre du mécanisme serait selon cette décision subordonné à une stricte conditionnalité. Cette modification du traité devait prendre effet au 1er janvier 2013, sous réserve d’avoir été approuvée par les États membres selon leurs règles constitutionnelles.

Le 2 février 2012, les États de la zone euro – i.e. la Belgique, l’Allemagne, l’Estonie, l’Irlande, la Grèce, l’Espagne, la France, l’Italie, Chypre, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, l’Autriche, le Portugal, la Slovénie, la Slovaquie et la Finlande - avaient ensuite conclu le traité instituant le mécanisme européen de stabilité (MES), lequel détient la personnalité juridique.

Le MES vise à mobiliser des ressources financières et à fournir, sous une stricte conditionnalité adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi, un soutien à la stabilité de ses membres qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement. Ce soutien ne peut être accordé que s’il est indispensable pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble et de ses États membres. À cette fin, il est autorisé à lever des fonds en émettant des instruments financiers ou en concluant des accords ou des arrangements financiers ou d’autres accords ou arrangements avec ses membres, avec des institutions financières ou d’autres tiers. La capacité de prêt maximale est fixée initialement à 500 milliards d’euros. La stricte conditionnalité à laquelle tout soutien doit être subordonné peut prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter des conditions d’éligibilité préétablies.

Le parlementaire irlandais Thomas Pringle avait fait valoir devant les juridictions irlandaises, que la modification du TFUE par une décision du Conseil – et donc par voie de la procédure de révision simplifiée – était illégale. Pour lui, elle comportait une modification des compétences de l’Union et était donc incompatible avec les traités européens, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives à l’Union économique et monétaire et les principes généraux du droit de l’Union. Suite à cela, la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) avait décidé d’interroger la Cour de justice de l’UE sur la validité de la décision du Conseil européen du 25 mars 2011 et sur la compatibilité du MES avec le droit de l’Union.

Pour lever, dans les meilleurs délais, l’incertitude que ces questions font apparaître, le Président de la Cour a décidé de faire droit à la demande de la Cour suprême de soumettre la présente affaire, déposée à la Cour le 3 août 2012, à la procédure accélérée. De surcroît, estimant que cette affaire revêtait une importance exceptionnelle, la Cour avait décidé de l’examiner en assemblée plénière, composée par l’ensemble des 27 juges.

Par son arrêt du 27 novembre, la Cour constate que son examen n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la décision du Conseil européen.

De plus, la Cour, constate que les dispositions du TUE et du TFUE ainsi que le principe général de protection juridictionnelle effective ne s’opposent pas à la conclusion et à la ratification du traité MES.

Par ailleurs, le droit d’un État membre de conclure et de ratifier ce traité n’est pas subordonné à l’entrée en vigueur de la décision du Conseil européen du 25 mars 2011.

Sur la décision du Conseil européen

La Cour souligne que le Conseil a fait usage de la possibilité de modifier le TFUE par une procédure simplifiée. Cela veut dire que le traité peut-être modifié sans convocation préalable d’une Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, du Parlement européen et de la Commission. Mais, nota bene, cette procédure ne s’applique qu’aux politiques et actions internes de l’Union et elle ne peut pas accroître les compétences attribuées à l’Union par les traités.

Or, selon la Cour, la modification contestée porte – tant sur la forme que sur le fond – sur les politiques et actions internes de l’Union, de sorte que la première de ces conditions est satisfaite.

En effet, premièrement, la modification litigieuse du traité n’empiète pas sur la compétence exclusive reconnue à l’Union dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro.

La CJUE constate que l’objectif principal de la politique monétaire de l’Union est le maintien de la stabilité des prix. Elle constate par ailleurs que le MES poursuit un objectif clairement distinct, à savoir la stabilité de la zone euro dans son ensemble. Il ne relève donc pas de la politique monétaire. Pas plus, assurer une assistance financière à un État membre comme le peut le MES ne relève de la politique monétaire. Pour la CJUE, le MES constitue plutôt un volet complémentaire au nouveau cadre réglementaire pour le renforcement de la gouvernance économique de l’Union : coordination et surveillance plus étroites des politiques économiques et budgétaires des États membres et consolidation de la stabilité macroéconomique et de la viabilité des finances publiques.

Ce cadre réglementaire est de nature préventive. Il est destiné à réduire autant que possible le risque de crises de la dette souveraine. Le MES par contre vise à gérer des crises financières qui, malgré les actions préventives qui auraient été entreprises, pourraient néanmoins surgir. Le MES relève, par conséquent, du domaine de la politique économique.

Deuxièmement, la modification litigieuse n’affecte pas non plus la compétence reconnue à l’Union dans le domaine de la coordination des politiques économiques des États membres.

Les dispositions du TUE et du TFUE ne confèrent pas de compétence spécifique à l’Union pour établir un mécanisme de stabilité tel que le MES. Mais les États membres de la zone euro sont compétents pour conclure entre eux un accord portant sur l’institution d’un mécanisme de stabilité. Par ailleurs, l’octroi d’une assistance financière par le MES est soumis à une stricte conditionnalité parce qu’il s’agit d’assurer que, dans son fonctionnement, le MES respectera le droit de l’Union, y compris les mesures prises par l’Union dans le cadre de la coordination des politiques économiques des États membres.

La deuxième condition permettant de recourir à la procédure de révision simplifiée, à savoir que la modification du TFUE n’accroît pas les compétences attribuées à l’Union dans les traités, est également satisfaite, constate la CJUE. Pour elle, la modification litigieuse ne crée aucune base juridique en vue de permettre à l’Union d’engager une action qui n’était pas possible auparavant. Même si le MES recourt à des institutions de l’Union, notamment à la Commission et à la BCE, cette circonstance n’est, en tout état de cause, pas de nature à affecter la validité de la décision du Conseil européen, qui ne prévoit que l’institution d’un mécanisme de stabilité par les États membres et reste muette sur tout rôle éventuel des institutions de l’Union dans ce cadre.

Sur le traité MES

La Cour a aussi examiné si certaines dispositions du TUE et du TFUE ainsi que le principe général de protection juridictionnelle effective pourraient s’opposer à la conclusion entre les États membres dont la monnaie est l’euro d’un accord tel que le traité MES. Elle est d’avis que non.

European Stability Mechanism / Mécanisme européen de stabilité (ESM / MES)En ce qui concerne la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro, la Cour réitère que cette politique vise à maintenir la stabilité des prix. Or, les activités du MES ne relèvent pas de cette politique monétaire. Le MES n’a pas pour objectif de maintenir la stabilité des prix, mais vise à satisfaire les besoins de financement des membres du MES. L’assistance qu’il octroie doit être financée dans sa totalité par du capital libéré ou par l’émission d’instruments financiers. À supposer même que les activités du MES puissent influer sur le niveau d’inflation, une telle influence ne constituera que la conséquence indirecte des mesures de politique économique prises.

Quant à la compétence exclusive de l’Union de conclure un accord international lorsque cette conclusion est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée, la Cour constate qu’aucun des arguments soulevés dans ce contexte n’a relevé qu’un accord tel que le MES aurait de tels effets.

Pour ce qui est de la compétence de l’Union pour coordonner la politique économique, la Cour réitère que les États membres sont compétents pour conclure entre eux un accord instituant un mécanisme de stabilité tel que le traité MES pour autant que les engagements pris par les États membres contractants dans le cadre d’un tel accord respectent le droit de l’Union. Or, le MES n’a pas pour objet la coordination des politiques économiques des États membres, mais constitue un mécanisme de financement. De plus, la stricte conditionnalité à laquelle tout soutien doit être soumis – qui peut prendre la forme d’un programme d’ajustement macroéconomique –, ne constitue pas un instrument de coordination des politiques économiques des États membres, mais vise à assurer la compatibilité des activités du MES avec, notamment, la clause de "non-renflouement" ou "no bail out" du TFUE et les mesures de coordination prises par l’Union.

Par ailleurs, le traité MES n’affecte pas non plus la compétence du Conseil de l’Union européenne d’émettre des recommandations à l’égard d’un État membre qui connaît un déficit excessif.

En particulier, la compétence du Conseil d’accorder une assistance financière de l’Union à un État membre qui connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle ne s’oppose pas à ce que les États membres instituent un mécanisme de stabilité tel que le MES, tant que, dans son fonctionnement, ce mécanisme respecte le droit de l’Union et, notamment, les mesures prises par l’Union dans le domaine de la coordination des politiques économiques des États membres. Or, le traité MES contient des dispositions qui visent précisément à assurer que toute assistance financière octroyée par le MES sera compatible avec de telles mesures de coordination.

Un autre constat de la CJUE est crucial : L’interdiction pour la BCE et les banques centrales des États membres d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux autorités et organismes publics de l’Union et des États membres ainsi que d’acquérir directement, auprès d’eux, des instruments de leur dette n’est pas contournée par le MES. En effet, cette interdiction s’adresse spécifiquement à la BCE et aux banques centrales des États membres. L’octroi d’une assistance financière par un État membre ou un ensemble d’États membres à un autre État membre, directement ou par l’intermédiaire du MES, ne relève donc pas de ladite interdiction.

La clause de "non-renflouement", selon laquelle l’Union ou un État membre ne répond pas des engagements d’un autre État membre et ne les prend pas à sa charge ne vise pas à interdire à l’Union et aux États membres l’octroi de toute forme d’assistance financière à un autre État membre. Cette clause vise plutôt à assurer qu’ils respectent une politique budgétaire saine en garantissant qu’ils restent soumis à la logique du marché lorsqu’ils contractent des dettes. Dès lors, elle n’interdit pas l’octroi d’une assistance financière par un ou plusieurs États membres à un État membre qui demeure responsable de ses propres engagements à l’égard de ses créanciers, pourvu que les conditions attachées à une telle assistance soient de nature à inciter ce dernier à mettre en œuvre une politique budgétaire saine. Or, le MES et les États membres qui y participent, ne répondent pas des engagements d’un État membre bénéficiaire d’un soutien à la stabilité et ne prennent pas non plus ceux-ci à leur charge au sens de la clause de "non-renflouement".

Le traité MES ne porte pas atteinte aux dispositions du TFUE relatives à la politique économique et monétaire. Il prévoit des garanties que le MES respectera le droit de l’Union, et n’enfreint pas non plus le principe de coopération loyale selon lequel les États membres s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. L’attribution, par le traité MES, de nouvelles fonctions à la Commission, à la BCE et à la Cour est compatible avec leurs attributions définies dans les traités et celles-ci ne comportent dans le cadre du MES aucun pouvoir décisionnel propre, de sorte que les activités exercées par la Commission et la BCE dans le cadre du même traité n’engagent que le MES.

La Cour est quant à elle compétente pour statuer sur tout différend entre États membres en connexité avec l’objet des traités, si ce différend lui est soumis en vertu d’un compromis, et que rien n’empêche qu’un tel accord soit donné préalablement par référence à une catégorie de différends prédéfinis.