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Lutte anti-blanchiment et lutte contre le terrorisme : la Commission européenne resserre l'étreinte
05-02-2013


Commission européenneLe 5 février 2013, la Commission européenne a adopté deux propositions qui doivent renforcer les règles de l’UE relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le terrorisme. La première est une "directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme", qui succèderait à la 3e directive anti-blanchiment, entrée en vigueur en 2005. La seconde est un règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds.

Michel Barnier : "L’Union européenne est à la pointe des efforts déployés au niveau international pour combattre le blanchiment des produits du crime"

La proposition de directive  doit succéder à la troisième directive anti-blanchiment, entrée en vigueur en 2005. De surcroît, elle intègre et abroge la directive du 1er août 2006 portant mesures de mise en œuvre de la directive de 2005, par "souci d'accessibilité et d’intelligibilité du cadre juridique".

La Commission européenne motive sa démarche par sa volonté d'adapter le cadre réglementaire à l'évolution continuelle des périls liés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, la situation étant "d’autant plus changeante que la technologie et les moyens à la disposition des criminels évoluent constamment", comme on le lit dans la proposition de directive.

"L’Union européenne est à la pointe des efforts déployés au niveau international pour combattre le blanchiment des produits du crime. Les flux d’argent sale peuvent fragiliser la stabilité du secteur financier et ternir sa réputation, tandis que le terrorisme ébranle les fondements mêmes de notre société", a déclaré à cette occasion le commissaire chargé du marché intérieur et des services, Michel Barnier, comme on le lit dans le communiqué de presse diffusé à cette occasion. "Outre l’approche pénale, un effort de prévention au niveau du système financier peut produire des résultats. Notre objectif est de proposer des règles claires, qui renforcent la vigilance de tous les professionnels concernés (banquiers, juristes, comptables, etc.)", a-t-il également expliqué.

La Commissaire en charge, Cecilia Malmström, a pour sa part souligné la nécessité de "ne laisser subsister aucun vide juridique dont pourraient profiter la criminalité organisée ou le terrorisme".

Ces deux propositions s'inscrivent par ailleurs dans le prolongement des politiques conduites par l’UE et notamment de la stratégie de sécurité intérieure de l’UE, désignant parmi les cinq axes stratégiques de sécurité pour 2011-14, de lutter contre le blanchiment de capitaux et de prévenir le terrorisme.

La préparation : l'influence des travaux du GAFI

En 2010, la Commission européenne avait commandé une étude sur l’application de la troisième directive anti-blanchiment. C'est cette même année que le Groupe d'action financière (GAFI) a lancé sa réflexion sur de nouvelles normes internationales, qu'il a finalement adoptées en février 2012. Celles-ci désignent un ensemble d'objectifs qui trouvent leur place dans la proposition de la Commission. Entre autres : "l'amélioration de la transparence afin d’éviter que les criminels et les terroristes ne dissimulent leur identité et leurs biens derrière les personnes morales et constructions juridiques", "des obligations plus exigeantes vis-à-vis des personnes politiquement exposées", "l’élargissement du champ des infractions sous-jacentes au blanchiment de capitaux aux infractions fiscales pénales", "une approche fondée sur les risques renforcée" pour mieux allouer les ressources dans les domaines qui présentent des risques plus élevés ou encore "une coopération internationale plus efficace" entre les Cellules de renseignement financiers (CRF). Le GAFI estime, par ailleurs, que cet argent sale représente 2 à 5 % du PIB mondial.

Au préalable, la Commission européenne avait, en avril 2012, adopté un rapport sur l’application de la troisième directive anti-blanchiment, que 77 parties prenantes – autorités publiques, société civile, fédérations d’entreprises et entreprises actives dans les services financiers, le secteur des jeux d’argent et de hasard, des professions libérales etc…– ont commenté. Ils ont soutenu "largement" la proposition d’alignement sur les normes révisées du GAFI, souligne la Commission.

La Commission va plus loin que le GAFI

Suite à une étude d'impact sur les conséquences potentielles du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, la Commission a aussi décidé d'aller plus loin que le GAFI, sous certains aspects. Ainsi a-t-elle considéré qu'il y avait lieu que la directive couvre tout le secteur des jeux d’argent et de hasard, dont ceux en ligne, et non plus uniquement les casinos, jusque-là seuls visés, dans ce secteur, par la précédente directive. La proposition de directive propose que ces prestataires aient l’obligation d’appliquer des mesures de vigilance à l’égard de leur clientèle pour toute transaction d’au moins 2 000 euros.

De même, la directive va plus loin que le GAFI en proposant d'inclure dans son champ d'action, les négociants en biens, pour chaque transaction qui dépasse le seuil de 7500 euros et non plus de 15000 euros comme auparavant. Dès ce seuil, les paiements en espèces par des personnes négociant des biens ou fournissant des services tomberont désormais dans son champ d’application. Les États membres seraient libres de décider de baisser encore ce seuil A partir duquel un vendeur devra savoir d'où vient l'argent de son client. La Commission a été informée par les Etats membres que "les criminels tiraient profit de ce seuil relativement élevé" de 15000 euros. En le portant à 7500 euros, il s'agit d'"empêcher l’utilisation de ces négociants à des fins de blanchiment de capitaux".

Cette directive constituerait également une extension géographique de la lutte anti-blanchiment, dans la mesure où elle instaure de nouvelles règles précisant que les filiales et les succursales établies dans un autre État membre que le siège appliquent les règles anti-blanchiment de l’État membre d’accueil.

Les dispositions de la directive

Une approche fondée sur les risques

Les dispositions en matière d’obligations simplifiées de vigilance à l’égard de la clientèle contenues dans la troisième directive anti-blanchiment "ont été jugées excessivement permissives", dans la mesure où elles autorisent une exemption automatique de toute obligation de vigilance pour certaines catégories de clients ou de transactions.

La directive révisée opèrerait un changement d'approche dans la vigilance à exercer sur les clients. La proposition de directive, comme le règlement qui y est adjoint, prévoient une approche "plus précise et plus ciblée", fondée sur les risques. Selon ce principe, il existerait des circonstances dans lesquelles des mesures renforcées de vigilance devraient être appliquées et d’autres dans lesquelles des mesures simplifiées pourraient convenir. La directive révisée abandonnerait ainsi "l’application d’exemptions par situation".

Désormais, "les décisions déterminant dans quels cas et selon quelles modalités appliquer des mesures simplifiées de vigilance à l’égard de la clientèle devront être justifiées sur la base du risque", lit-on dans la directive.

L’Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) et l'Autorité européenne des marchés financiers, seraient chargées d’émettre un avis sur les risques touchant le secteur financier. Parallèlement, chaque Etat membre serait contraint de procéder à une évaluation des risques au niveau national et de prendre des mesures pour les atténuer. Il les partagerait avec ces trois Autorités, les autres États membres et la Commission.

La directive propose également une "liste non exhaustive" des variables de risque que les entités soumises à obligations de contrôle prendraient en considération pour savoir si elles doivent déclencher des mesures de vigilance. Elles consistent dans : l’objet d’un compte ou d’une relation, le niveau d’actifs déposés par un client ou le volume des transactions effectuées; la régularité ou la durée de la relation d’affaires.

Les risques seraient par exemple considérés comme moins élevés quand le client est une société cotée sur un marché boursier et soumise à des obligations d’information, une administration ou entreprise publique ou un client résidant dans des zones géographiques à risque moins élevé. Elles sont également  moins élevés quand les produits faisant l'objet de la transaction sont, par exemple, un contrat d’assurance vie dont la prime est faible, des produits ou services financiers qui fournissent des services limités et définis de façon pertinente à certains types de clients ; quand les facteurs de risque géographique sont moins élevés ou que la transaction vient d'autres États membres de l’UE et de pays tiers qui disposent de systèmes efficaces de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

Ils seraient au contraire plus élevés en cas de relation d’affaires se déroulant dans des circonstances inhabituelles, de personnes morales ou constructions juridiques qui sont des structures de détention d’actifs personnels, de sociétés dont le capital est détenu par des actionnaires apparents ou représenté par des actions au porteur, des sociétés dont la structure de propriété "paraît inhabituelle ou exagérément complexe" au regard de la nature de ses activités. Ils seraient aussi plus élevés quand les produits faisant l'objet de la transaction,  quand il s'agit de banque privée; de produits ou transactions susceptibles de favoriser l’anonymat, de relations d’affaires ou transactions qui n’impliquent pas la présence physique des parties.

Des "obligations de vigilance" plus nombreuses

Le texte doit rendre les obligations de vigilance à l’égard de la clientèle plus claires et plus transparentes, "afin de disposer de procédures et contrôles adéquats, garants d’une meilleure connaissance des clients et d’une meilleure compréhension de la nature de leurs activités". Il importe notamment de veiller à ce que les procédures simplifiées ne soient pas perçues, à tort, "comme une exemption totale de toute obligation de vigilance". Cela impliquera l’obligation d’appliquer des mesures de vigilance à l’égard de la clientèle, de conserver des documents, de disposer de mécanismes de contrôle interne et de déclarer les transactions suspectes.

Le projet de directive précise et renforce les informations sur les bénéficiaires effectifs des transactions, lesquelles doivent être mises à la disposition des entités soumises à obligations et des autorités compétentes. Elle maintient le seuil de participation de 25 % à partir duquel le bénéficiaire effectif doit être identifié.

Les personnes morales seraient toujours tenues de détenir des informations sur leurs propres bénéficiaires effectifs. Ces informations devraient être à la disposition aussi bien des autorités compétentes que des entités soumises à obligations. Pour ce qui est des constructions juridiques, les fiduciaires devraient déclarer leur statut lorsqu’ils deviennent client d’une entité soumise à obligations et pareillement tenir à la disposition des autorités compétentes et des entités soumises à obligations des informations sur les bénéficiaires effectifs.

La directive révisée étendrait les dispositions aux personnes politiquement exposées, auxquelles un risque plus élevé est attaché du fait de la position politique qu’elles occupent, dites "nationales" (c’est-à-dire résidant dans un État membre de l’UE), et non plus seulement "étrangères". Elle les étendrait également aux personnes politiquement exposées travaillant pour une organisation internationale. La Commission cite dans ce contexte "les chefs d’État, les membres des gouvernements, les parlementaires et les juges des cours suprêmes".

Les membres des professions juridiques devraient être soumis aux dispositions de la directive lorsqu’ils participent à des transactions de nature financière ou pour le compte de sociétés, de surcroît lorsqu’ils font du conseil fiscal, "car c’est là que le risque de détournement de leurs services à des fins de blanchiment des produits du crime ou de financement du terrorisme est le plus élevé."

"Si l’identité et le profil commercial de tous les clients doivent, en tout état de cause, être établis, il est nécessaire, dans certains cas, que les procédures d’identification et de vérification de l’identité soient particulièrement rigoureuses", lit-on dans le texte qui cite particulièrement "les relations d’affaires nouées avec des individus détenant ou ayant détenu une position publique importante, surtout lorsqu’ils viennent de pays où la corruption est largement répandue".

Le texte introduit une  référence explicite aux infractions fiscales pénales liées aux impôts directs et indirects. Les instituts financiers de l'UE devraient en conséquence aussi déclarer les transactions de gains, venant d'un délit fiscal. Cela inclut aussi les transactions avec des pays tiers, comme les paradis fiscaux.

Un socle de sanctions minimales

La directive révisée prévoit un ensemble de sanctions, qui devraient exister dans tous les États membres pour les cas de violation systématique des exigences de la directive (vigilance à l’égard de la clientèle, conservation des documents, déclaration des transactions suspectes et contrôles internes). Celles-ci iraient crescendo, de l’interdiction temporaire, pour tout membre de l’organe de direction de l’entité soumise à obligations qui est tenu pour responsable, d’exercer des fonctions dans des établissements ; des sanctions administratives pécuniaires à concurrence de 10 % de son chiffre d’affaires annuel total sur l’exercice précédent pour le cas d'une personne morale ; dans le cas d’une personne physique, des sanctions administratives pécuniaires d’un montant maximal de 5 millions d'euros ; jusqu'à des sanctions administratives pécuniaires atteignant au maximum deux fois le montant des gains obtenus ou des pertes évitées du fait de l’infraction.

Le renforcement de la coopération internationale

La coopération internationale devrait être renforcée par les cellules nationales de renseignement financier (CRF), qui ont pour mission de réceptionner, d’analyser et de communiquer aux autorités compétentes les déclarations d’éventuels soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Le nombre des dossiers ouverts par la CRF luxembourgeoise s'est par exemple élevé à 8.681 unités en 2011 (soit +67,9 % par rapport à 2010), dont 272 demandes de renseignements provenant de CRF étrangères.

La directive mentionne par ailleurs qu'un certain nombre de salariés ont été victimes de menaces ou d’actes hostiles après avoir fait part de leurs soupçons de blanchiment et clame que "les États membres devraient en être conscients et tout mettre en œuvre pour protéger les salariés de ces menaces ou actes hostiles."

Le règlement

L'annexe du rapport, préalable à la rédaction de la directive et adopté en avril 2012 par la Commission, portait sur les virements électroniques transfrontaliers. Il évoquait les deux nouvelles normes du GAFI imposant l'inclusion d'informations sur le bénéficiaire dans ces virements et l'adoption de mesures de gel conformément aux résolutions de l'ONU.

Le règlement proposé doit succéder au règlement du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté. " L’intention de la Commission est d’améliorer la traçabilité en exigeant l'inclusion d'informations sur le bénéficiaire", lit-on dans le projet.  En raison de "la menace potentielle de financement du terrorisme associée aux virements anonymes", il instaure l’obligation, pour les prestataires de services de paiement, de veiller à ce que les virements électroniques soient toujours accompagnés de toutes les informations relatives au donneur d'ordre et au bénéficiaire. "Les cartes de crédit ou de débit, les téléphones portables et tout autre appareil numérique ou informatique relèvent désormais de ce règlement, dès lors qu'ils sont utilisés pour un virement entre particuliers. "

"La pleine traçabilité des virements de fonds peut être un instrument particulièrement précieux pour prévenir et détecter le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme et conduire les enquêtes en la matière", lit-on dans la proposition. Le règlement doit ainsi assurer aux "autorités de police ou judiciaires appropriées la disponibilité immédiate d'informations de base sur le donneur d’ordre".

Dans le cadre de ce règlement, les prestataires de services de paiement doivent aussi assurer la mise en œuvre de politiques et de procédures efficaces, fondées sur les risques. Celles-ci doivent les guider quand un virement ne comporte pas les informations requises sur le donneur d'ordre et le bénéficiaire, afin de décider s'il y a lieu d'exécuter, de rejeter ou de suspendre le virement et quelles mesures de suivi prendre. Le règlement prévoit toutefois un régime "simplifié" pour les virements électroniques transfrontières d'un montant inférieur ou égal à 1 000 euros, permettant la transmission sans vérification des informations relatives au donneur d'ordre et au bénéficiaire. Pour les paiements provenant de l'extérieur de l'Union, d'un montant supérieur à 1 000 euros, il  impose la vérification de l'identité du bénéficiaire, si elle n'a pas été faite auparavant.

Une conférence le 15 mars

La Commission européenne a prévu d'organiser le 15 mars 2013 une conférence sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, afin de discuter des nouveaux standards du GAFI et de ces nouvelles propositions de la Commission européenne.

Parmi les premières à commenter la proposition de la Commission, l'ONG Transparency International l'aurait jugée d'une grande importance dans la lutte contre la corruption tout en soulignant le caractère "peu ambitieux" de ces propositions. Pour elle, la proposition n'irait pas assez loin pour découvrir les bénéficiaires effectifs dans les trusts et d'autres constructions juridiques, omme l'a rapporté le Luxemburger Wort, dans son édition du 6 février 2013.