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Economie, finances et monnaie
Le "non" du parlement chypriote au plan d’aide européen et à ses conditions suscite de vives réactions au Luxembourg
20-03-2013


Le non unanime affiché le 19 mars 2013 par le parlement chypriote au plan d’aide à Chypre, et notamment à la taxe sur les dépôts bancaires discutée lors de la réunion de l’Eurogroupe qui s’est tenue dans la nuit du 15 au 16 mars 2013, n’a pas manqué de susciter des réactions au Luxembourg.

L’ADR félicite le parlement chypriote pour ne pas avoir "cédé au diktat des ministres des Finances de la zone euro" et plaide pour une sortie, même temporaire, de Chypre de la zone euro

L’ADR avait déjà réagi le 19 mars 2013 à l’accord trouvé pendant le week-end, titrant "aujourd’hui Chypre, demain Luxembourg" un communiqué dans lequel le parti affichait son indignation à l’idée que les épargnants aient à craindre, pour la première fois dans l’histoire de l’euro, qu’on ne se serve sur leur compte pour sauver les finances d’un Etat. Le parti s’inquiétait notamment des conséquences qu’une telle décision pourrait avoir sur l’ensemble du système bancaire de la zone euro, et notamment sur le Luxembourg, et il appelait le gouvernement à se distancier d’une décision "aussi absurde".

C’est donc sans surprise que l’ADR a salué le 20 mars 2013 le vote du parlement chypriote, qu’il félicite pour ne pas avoir "cédé au diktat des ministres des Finances de la zone euro". Une décision qu’il salue d’autant plus qu’elle évitera que les clients des banques n’aient l’impression que leur épargne n’est plus sûre dans la zone euro. Pour l’ADR, une sortie de Chypre de la zone euro, qui pourrait être temporaire, ne doit pas être un tabou dans la recherche d’une solution au problème de financement de l’île.

Les eurodéputés Robert Goebbels, Claude Turmes et Frank Engel dénoncent l’idée de taxer les dépôts bancaires

rtlRTL Radio Lëtzebuerg s’est pas ailleurs fait l’écho des réactions de plusieurs eurodéputés dans un reportage diffusé dans le journal du 20 mars 2013.

Robert Goebbels (S&D) explique ainsi "comprendre que Chypre ait dit non", et il craint que la décision de taxer les dépôts bancaires n’ait pour conséquence que les épargnants des pays du Sud de l’Europe ne tentent de retirer leurs avoirs des banques pour mettre leur argent à l’abri. "L’Europe va souffrir longtemps des conséquences d’une telle décision", augure l’eurodéputé socialiste qui est d’autant plus contrarié que ce prix sera à payer pour récupérer 6 milliards d’euros, une somme qui n’est pas rien mais qui est cependant modeste à ses yeux.

Claude Turmes (Verts/ALE) s’insurge contre une décision qui, à ses yeux, revient quasiment à remettre en question les décisions prises au niveau européen pour garantir les dépôts bancaires à hauteur de 100 000 euros. Sur ce point, Luc Frieden lui a répondu, sur les ondes de la même radio, en expliquant que la garantie des dépôts visait à protéger d’une faillite bancaire, et qu’elle n’était absolument pas en jeu dans ce dossier, d’autant plus qu’il s’agit justement d’éviter une faillite bancaire par ce plan d’aide.

"Comment Luc Frieden a-t-il pu accepter" une telle décision, s’est demandé plus largement l’eurodéputé écologiste qui s’inquiète de ses conséquences pour le Luxembourg. A ses yeux, les ministres des Finances de la zone euro ont commis une grosse erreur et ont fait le choix d’une mauvaise politique, et il estime par conséquent qu’il va falloir renégocier une nouvelle solution.

Quant à Frank Engel (PPE), il estime qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’un parlement accepte que toute personne ayant un compte en banque soit "volée" ainsi. A ses yeux, c’est la mauvaise approche qui prévaut dans la recherche d’une solution, car ce ne sont pas les contribuables et les clients des banques qui devraient contribuer au financement de Chypre, mais plutôt les propriétaires des banques. Il convient selon le jeune eurodéputé de trouver des manières plus créatives de trouver de l’argent pour financer Chypre.

Luc Frieden fait un récit circonstancié de la réunion de l’Eurogroupe : la décision n’était "pas parfaite", mais n’avoir aucune solution aurait été pire pour la stabilité de la zone euro, conclut-il

Le ministre des Finances, Luc Frieden, a pour sa part accordé un long entretien au journaliste Frank Kuffer. S’il dit "regretter" le rejet de l’accord par le parlement chypriote, tout simplement parce qu’il aurait aimé qu’il y ait une solution au problème chypriote, il insiste sur le fait qu’il convient de "respecter la décision du parlement d’un Etat souverain". Il confie même ne pas être "complètement surpris" de cette position des parlementaires chypriotes.

Au cours de cet entretien, Luc Frieden revient longuement sur la réunion de l’Eurogroupe qui s’est tenue dans la nuit du 15 au 16 mars et au cours de laquelle il représentait le Luxembourg. Il explique ainsi que, lorsqu’il s’est agi de discuter des conditions accompagnant l’aide financière, car la solidarité envers un pays en difficulté est toujoursLuc Frieden et son homologue autrichienne, Maria Fekter, lors de l'Eurogroupe du 15 mars 2013 (c) Conseil de l'UE soumise à un programme d’ajustement, rappelle-t-il, deux-trois pays, parmi lesquels il cite notamment l’Allemagne et les Pays-Bas, ont insisté pour que les dépositaires provenant de pays tiers, qui ont du point de vue de ces pays "profité d’un système", contribuent au plan d’aide. C’est de là que, rapporte Luc Frieden, la discussion a commencé, et cette contribution des dépositaires est devenue au fil des discussions quasiment une pré-condition au plan d’aide. D’autant plus que les institutions de la troïka qui étaient présentes, la Commission, la BCE, ainsi que le FMI, ne s’y sont pas opposés. Luc Frieden pour sa part, a affiché tout de suite ses réserves à l’idée d’une telle taxe. Les dépositaires n’ont rien fait de mal selon lui, au contraire. Du point de vue de Luc Frieden, il convient d’être ouvert aux déposants étrangers, que ce soit au Luxembourg ou ailleurs en Europe.

Luc Frieden explique aussi qu’il était d’avis qu’il ne fallait pas taxer l’épargne en-dessous du seuil de 100 000 euros. Au cours des discussions, Chypre, mais aussi la Commission et la BCE, ont mis en garde contre les effets que pourrait avoir une taxe trop élevée, et ce notamment en termes de fuite des capitaux et de ses conséquences sur le secteur bancaire chypriote. Il est ressorti de ce débat que si les petits épargnants avaient été épargnés, les gros auraient dû payer beaucoup plus, ce qui aurait eu de telles conséquences. "Il s’agissait de trouver un équilibre", explique Luc Frieden.

"De toutes les options qui étaient sur la table, c’était peut-être la moins dommageable"

Pour autant, Luc Frieden, voyant que cette idée gagnait du terrain, était soutenue par les institutions, mais aussi par les autorités chypriotes, s’est rangé derrière l’accord trouvé. Car, explique-t-il au micro de Frank Kuffer, de toutes les options qui étaient sur la table, et notamment un haircut, c’était peut-être la moins dommageable. Dans un dossier complexe, il n’y a pas de solution simple, résume le ministre qui rappelle aussi qu’il y avait du monde autour de la table, ce qui n’est jamais simple. Et cette réunion dut extrêmement difficile. Il était lui-même en contact téléphonique avec le Premier ministre luxembourgeois et ancien président de l’Eurogroupe. Par ailleurs, souligne Luc Frieden, les autorités chypriotes étaient elles-mêmes d’accord, et on leur a laissé le soin de voir comment répartir la taxe. Chypre aurait très bien pu proposer un autre moyen de trouver ces six milliards d’euros. Et puis, aux yeux de Luc Frieden, il importait qu’il y ait une solution, car sans elle, la situation aurait été bien pire."Cette décision n’était pas parfaite, mais aucune solution aurait été pire pour la stabilité de la zone euro", estime le ministre des Finances.

Lorsque Frank Kuffer lui demande si le résultat de cette réunion aurait été différent si elle avait été présidée par Jean-Claude Juncker, Luc Frieden répond "chacun son style", soulignant que Jean-Claude Juncker aurait sans doute plus écouté chacun des pays représentés autour de la table. Toutefois, il insiste aussi sur le fait que Jeroen Dijsselbloem fait un bon président de l’Eurogroupe, même s’il était assez naturellement imprégné du débat sur le plan d’aide qui est important aux Pays-Bas.

Pour le Luxembourg, du fait que l’aide financière à Chypre passera par l’ESM, la décision de l’Eurogroupe n’aura pas d’impact sur le contribuable luxembourgeois, a souligné Luc Frieden. L’ESM emprunte en effet de l’argent sur les marchés pour pouvoir prêter aux Chypriotes, et les garanties que le Luxembourg a apportées ne seraient donc en jeu que si un des pays sous programme ne pouvait pas rembourser son dû.

Invité à réagir sur la comparaison qui est faite entre Chypre et Luxembourg, un sujet à la une dans le quotidien allemand Die Welt notamment le 20 mars 2013, Luc Frieden a expliqué que la seule similitude entre l’île et le Grand-Duché était qu’il s’agissait de deux petits pays ayant une place financière très forte. Pour le reste, il a mis en avant un certain nombre de différences : contrairement à Chypre, où il y a essentiellement des banques nationales, Luxembourg accueille quelques 150 filiales de grandes banques internationales. Par ailleurs les produits diffèrent par rapport à la place chypriote, puisqu’il y a le secteur des fonds, celui du private banking, et, de façon générale, des structures très différentes. Par ailleurs, souligne le ministre des Finances, le Luxembourg applique très strictement les standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment, (un point qui fait l’objet de plus de discussions à Chypre, comme en témoignait les débats de l'Eurogroupe en février et mars 2013, n.d.l.r.), et le secteur financier est soumis à une supervision extrêmement stricte.

"La clef est à Chypre, mais aussi chez certains des grands Etats membres de l’UE"

Pour revenir à la situation chypriote, il importe maintenant de trouver une solution, car, comme l’a expliqué Luc Frieden au micro de Frank Kuffer, l’octroi de l’aide financière de 10 milliards d’euros est conditionnée à un effort chypriote. Les autorités, si le deal trouvé le 16 mars n’est pas accepté, vont donc devoir faire face à un choix difficile dans les prochains jours, estime Luc Frieden qui est toutefois loin d’être indifférent au sort d’un pays qui est membre de la zone euro et dont le Luxembourg a, comme les autres membres de la zone euro, intérêt à ce qu’il bénéficie de la solidarité de ses partenaires. De son point de vue, il n’est par ailleurs pas anormal que, dans le monde interdépendant dans lequel nous vivons, les autorités chypriotes mènent des discussions avec la Russie, ces deux pays ayant des relations économiques étroites. Il salue ainsi l’idée que la Russie apporte sa contribution à la solution. Pour autant, s’il convient de renégocier pour trouver une solution, Luc Frieden prévient : la clef est à Chypre, mais aussi chez certains des grands Etats membres de l’UE.