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Aides aux études supérieures – A la veille du vote à la Chambre des députés sur le projet de réforme, la Chambre des salariés dénonce un projet "bâclé", aux implications "peu claires", manquant de transparence et créant de nouvelles discriminations
08-07-2013


Chambre des SalariésAprès que le Conseil d’Etat a rendu son avis le 2 juillet 2013, le gouvernement luxembourgeois a déposé le 5 juillet 2013 son projet de loi sur la réforme du système d’aide aux études supérieures. Comme la ministre de l’Enseignement supérieur, Martine Hansen, l’avait déjà annoncé le 28 juin 2013, le texte introduit deux modifications, afin de tenir compte de l’arrêt Giersch, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 20 juin 2013, lequel estimait que cette réglementation, en prévoyant une clause de résidence, "va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi par le législateur" et est contraire au principe de la libre circulation des travailleurs.

Dans l’exposé des motifs du projet de loi, le ministère de l’Enseignement supérieur confirme qu’il y aura "à terme une révision des montants alloués pour que l'équilibre budgétaire puisse être respecté". "Même si l'arrêt de la Cour estime que des considérations budgétaires ne justifient pas le critère de résidence, il est clair que l'aide financière pour études supérieures constitue une dépense importante", lit-on. Ainsi, selon une fiche financière jointe au projet, en 2011-2012, 14 382 aides ont été accordées, pour une dépense de l’Etat de 98 millions d’euros. Une réforme plus en profondeur devrait intervenir dans le courant de l’année universitaire 2013-14 pour entrer en vigueur dès l’année suivante.

La proposition de loi, sur laquelle la Chambre des députés doit s’exprimer dès le 9 juillet 2013, supprime la clause de résidence pour y substituer une clause d’"emploi durable" du travailleur frontalier, et ce durant "une durée significative", critères suggérés par l’arrêt de la CJUE. Pour ce qui est du critère de l’emploi durable, "seule une relation de travail réelle et effective peut conférer des droits", lit-on plus loin. Le projet de loi mentionne l’arrêt de la CJUE du 26 février 1992, Raulin, C-357/89, pour retenir que l’emploi au Luxembourg doit être au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable dans l’entreprise en vertu de la loi ou de la convention collective de travail, le cas échéant, en vigueur.

La durée significative est pour sa part définie comme une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment où l’étudiant postule pour l’aide financière. "Certes, la Cour ne dispose pas du pouvoir réglementaire et ne peut dès lors pas fixer directement la période minimale de travail au Luxembourg, mais l’indication d’une période de cinq ans comme étant conforme au principe de proportionnalité semble clairement contenue dans l’arrêt", lit-on dans le commentaire des articles.

Par ailleurs, le projet de loi comporte une disposition "anti-cumul", auquel avait aussi fait référence la CJUE, évoquant le "risque d’un cumul avec l’allocation d’une aide financière équivalente qui serait versée dans l’Etat membre dans lequel l’étudiant réside". "Par conséquent, il est prévu que les demandeurs d’allocations sont tenus de fournir, lors de leur demande, une preuve émise par les instances officielles compétentes respectives, indiquant le montant des aides financières auxquelles ils peuvent avoir droit de la part des autorités de leur Etat de résidence", dit le projet de loi.

Le gouvernement est d’avis que le qualificatif "équivalente" implique qu’il ne serait "pas possible de prévoir une règle de non-cumul de l'aide financière versée par l'Etat luxembourgeois avec les allocations familiales que peuvent percevoir les parents de l'étudiant", dans le pays de résidence. "Les allocations familiales ont, y compris en droit de l'Union européenne, une autre nature que les aides financières", dit le commentaire des articles. Il note toutefois qu’il y aura lieu de s’attacher à la question à l’avenir, sans quoi pourrait naître une "discrimination à rebours" pour les étudiants résidents, selon les termes déjà employés par le Conseil d’Etat dans son avis. Dans les pays limitrophes, comme c’est notamment le cas en Allemagne, les allocations familiales peuvent être versées aux familles dont l'enfant continue ses études au-delà de la limite d'âge de 18 ans tandis que ce n’est plus le cas au Luxembourg depuis 2010.

L’exposé des motifs note que la proposition de loi écarte la piste de travail présentée par l'arrêt de la Cour selon laquelle "la mise en place d'un prêt étudiant, prêt, qui lors du remboursement pourrait être partiellement converti en ‘bourse‘ à condition que la personne ait intégré le marché de l'emploi luxembourgeois et réside à Luxembourg".  "La présente loi modificative ne suit pas cette proposition ; le cas échéant, le Gouvernement sera amené à présenter une proposition de loi modificative concernant les montants alloués."

Réunie le 5 juillet 2013, après le dépôt du projet de loi, la Commission parlementaire de l’enseignement supérieur, de la recherche, des média, des communications et de l’espace, a pour sa part proposé deux modifications au projet de loi, sur base de l’avis du Conseil d’Etat : une première qui garantisse que l’étudiant luxembourgeois ou membre de famille d’un ressortissant luxembourgeois ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg et dont au moins un des parents travaille au Luxembourg et "l’enfant d’un travailleur non salarié ressortissant de l’Union européenne qui ne réside pas au Grand-Duché" puissent bien avoir accès aux bourses, une seconde qui supprime toute différence de traitement entre travailleurs salariés et non-salariés, en reprenant la formule déjà présente dans la législation relative au congé parental actuellement en vigueur.

La Chambre des salariés dénonce un projet "bâclé", aux implications "claires", manquant de transparence et introduisant de nouvelles discriminations

Le 8 juillet 2013, la Chambre des salariés a rendu un avis peu amène sur le projet de loi, après s’être autosaisie, parce qu’elle n’avait pas été saisie et qu’elle est obligée de constater que "le Conseil d’Etat a déjà rendu son avis en date du 2 juillet 2013 alors que le projet de loi n’a été déposé que le 5 juillet 2013". "Le projet est bâclé, ses implications sont peu claires, sa mise en œuvre concrète n’est pas transparente et il introduit de nouvelles discriminations à l’égard aussi bien des étudiants non-résidents que des étudiants résidents", déplore-t-elle. 

"Une réforme une fois de plus bâclée"

La CSL dénonce "une réforme une fois de plus bâclée". Elle rappelle que déjà, lors du projet de loi en 2010, elle avait déjà regretté "que le Gouvernement ait présenté une réforme bâclée qui soulevait une ribambelle de problèmes légaux et d’injustices sociales" qu’il entendait voir évacuer sous quatre semaines "de façon à pouvoir faire jouer les nouvelles mesures dès la rentrée académique 2010". Par ailleurs, la CSL rappelle qu’elle avait déjà dû à l’époque s’autosaisir.

Avec cette nouvelle proposition de loi de l’été 2013, "le Gouvernement confronte à nouveau les parties impliquées dans le processus législatif [à] un nouveau projet de loi, élaboré à la va-vite et à contenu incomplet", déplore-t-elle. Pourtant, "auteurs de l’avant-projet de loi ont connaissance depuis des années des litiges en cours au sujet de la législation en cause et auraient pu se douter de leur issue, prendre les devants et préparer une réforme sensée et complète", fait remarquer la CSL.

La CSL rappelle par ailleurs que, déjà, dans son avis du 5 juillet 2010 relatif au projet de loi n° 6148, dont la CJUE a examiné la teneur, elle s’était opposée à un système de bourses d’études réservé aux étudiants résidents. "La discrimination des travailleurs frontaliers et de leurs familles était flagrante", se souvient-elle. Elle n’avait pas manqué de mentionner la jurisprudence de la CJUE "qui renvoie à maintes reprises" à l’article 7 du règlement 1612/68, justement mentionné dans l’arrêt du 20 juin 2013, selon lequel les travailleurs ressortissants d’un Etat membre doivent bénéficier, sur le territoire d’un autre Etat membre, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux qui se trouvent dans la même situation.

Une mise en œuvre pas claire

La CSL déplore que le gouvernement n’ait pas souhaité régler les questions soulevées par le fait que le versement des allocations familiales ne soit pas pris en compte dans le principe du non-cumul des aides financières. "Les auteurs de l’avant-projet de loi auraient dû analyser les législations de nos pays voisins et dresser la liste précise des prestations qui sont susceptibles d’être prises en considération", pense la CSL. Le budget s’en serait trouvé "plus précis" d’une part, et l’insécurité juridique autour de cette règle de "non-cumul" aurait pu être diminuée d’autre part, "les étudiants ressortissant de nos pays voisins étant alors en mesure d’évaluer leurs droits en matière de financement de leurs études", écrit-elle.

De même, le texte ne permettrait pas de savoir si les prestations versées par des instances communales, départementales ou encore provinciales seraient aussi prises en compte.

Le règlement grand-ducal qui doit dresser la liste des prestations étrangères visées par la règle anti-cumul "aurait dû être annexé au présent projet". Dans la situation actuelle, "les personnes concernées ne savent pas quelles prestations sont visées dans leur pays de résidence et se voient découragées, et ainsi discriminées, à nouveau par un manque de transparence absolu".

La CSL souligne également l’imprécision autour de cas où un étudiant non-résident pourrait bénéficier de "prestations équivalentes" dans un pays qui n’est pas son pays de résidence, dans le cas où les deux parents de l’étudiant non-résident sont travailleurs frontaliers, dans deux pays différents. 

L’impact budgétaire du projet de loi n’est pas clair

La Chambre des salariés déplore que la fiche financière adossée au projet de loi soit "incomplète, difficile à comprendre et ne tient pas compte d’un certain nombre de paramètres". Celle-ci indique un nombre de 13.875 étudiants frontaliers. Or, il n’existe pas d’information sur l’origine et le calcul de ce nombre. "Les auteurs ont-ils procédé par une simple règle de trois pour déterminer le nombre d’étudiants 'frontaliers' concernés en partant du nombre d’étudiants résidents éligibles ?", demande notamment la Chambre des salariés.

Le gouvernement devrait fournir les statistiques telles le nombre de travailleurs-salariés frontaliers employés depuis plus ou moins 5 ans au Luxembourg, le nombre de leurs enfants qui peuvent ou non tomber sous la future législation en cause, ou encore le nombre de salariés frontaliers employés sous contrat de travail à durée indéterminée, à durée déterminée, ou en tant que travailleurs intérimaires.

De surcroît, la CSL a l’impression que les montants indiqués ne tiennent pas compte des règles anti-cumul prévues par le projet de loi. "De deux choses l’une", dit-elle, "ou bien les auteurs du projet savent que de fait de telles prestations équivalentes étrangères n’existent pas : dans ce cas, inutile de prévoir des dispositions anti-cumul ; ou alors la fiche financière est fausse et ne vaut rien".

La période d’occupation ininterrompue de 5 ans est source d’injustice

L’exigence d’une période d’occupation d’un des parents de l’étudiant de 5 ans ininterrompus, va « de nouveau exclure du bénéfice de la mesure un certain nombre d’étudiants (dont les parents tombent au chômage, sont pensionnés ou sont employés sous contrats temporaire) et cela sans justification objective. "Même une courte période de chômage au cours des 5 années précédant la demande rendra le demandeur non-éligible aux aides financières pour études supérieures", déplore la CSL. "Aussi il se pourra que cet étudiant, une année aura droit aux aides, et l’année d’après n’y aura plus droit."

La CSL évoque aussi des cas incertains, à savoir si un salarié qui aura bénéficié par exemple de trois contrats de travail à durée déterminée de deux ans chacun au cours des six dernières années, va pouvoir être considéré comme ayant été employé au Luxembourg pendant une durée ininterrompue de cinq ans au moins. Idem pour les intérimaires. De nombreux travailleurs frontaliers sont employés au Luxembourg en tant qu’intérimaires, "et souvent pour des années de suite".

De même, "les étudiants résidents dont les parents touchent une pension de vieillesse, d’invalidité ou qui sont en procédure de reclassement externe ont droit à l’aide pour études supérieures, alors que le projet de loi n’accorde pas ce droit aux étudiants non-résidents dont les parents ont le cas échéant effectué leur carrière complète au Luxembourg".

"Le système proposé est ainsi source non seulement d’insécurité juridique, mais aussi d’insécurité financière pour bon nombre d’étudiants étrangers qui risquent d’une année à l’autre de se retrouver avec des ressources moindres pour financer leurs études, dès lors que la condition d‘emploi ininterrompu de 5 ans au moment de leur demande n’est plus donnée", juge la CSL.

Or, la Chambre des salariés comprend du critère de "suffisants avec la société luxembourgeoise" suggérée comme alternative au critère de résidence dans l’arrêt de la CJUE, "que toute période de travail effectuée au Luxembourg au cours de la carrière du travailleur frontalier doit pouvoir être considérée et le cas échéant additionnée, pour vérifier si la condition de la période minimale de travail est remplie". Au contraire, il ne ferait "pas de sens" de dire que seul celui qui au cours des dernières cinq années a travaillé au Luxembourg établit des liens suffisants avec notre pays. "Aussi, par exemple, un salarié qui a travaillé au Luxembourg pendant 3 ans de 1999 jusqu’à 2002 et ensuite encore pendant 4 ans de 2009 à 2013 doit aussi être considéré comme ayant établi des liens suffisants avec le Luxembourg." 

De nouvelles discriminations

Un certain nombre d’étudiants non-résidents seraient exclus du système du fait que leurs parents, nonobstant le fait qu’ils travaillent au Luxembourg, ne remplissent pas la condition du travail "ininterrompu" de 5 ans.

Ils seront également "moins bien traités" car ils doivent fournir un certificat "fsur base d’une législation pas claire, ce qui les expose à des chicanes administratives et même à une incertitude en ce qui concerne leurs ressources pendant leurs études ». La CSL voit en effet une source de discrimination "en raison de règles pas claires, de tracas et de lourdeurs administratives" résidant dans l’exigence de fournir une preuve émise par les instances officielles compétentes, indiquant le montant des aides financières auxquelles l’étudiant frontalier peut avoir droit de la part des autorités de son Etat de résidence. Il n’est pas précisé s’il s’agit de la preuve d’un droit théorique à une prestation équivalente à l’étranger ou d’un droit effectif qu’il perçoit déjà. "Comment cela est-il organisé avec les administrations compétentes des pays voisins ? Est-ce que ces administrations ont les moyens de réaliser ces travaux supplémentaires ? Est-ce qu’elles sont informées du présent projet de loi et est-ce que des pourparlers ont été menés avec les administrations étrangères en vue de ces nouvelles règles ?", se demande également la CSL.

La CSL dénonce aussi la "discrimination à rebours", dont pourraient être victimes les étudiants résidents du fait que les enfants des non-résidents peuvent dans certains cas toucher dans leur pays de résidence des prestations familiales en sus des aides pour études supérieures, ce qui n’est pas le cas pour les résidents. Ces prestations familiales sont a priori à considérer comme prestations de nature différente de celles des aides financières pour études supérieures et ne viendront donc pas en diminution du montant à verser à ce titre par notre pays.