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L’Union européenne à la Rockhal, un dimanche 30 juin
30-06-2013


L'Europe s'invite à la Rockhal le 30 juin 2013 à l'occasion de l'Année européenne des CitoyensLa Commission  européenne avait convié les citoyens, les partis politiques, les ONG, à venir le 30 juin 2013 pour discuter de l’Europe et de son futur dans le cadre de 2013 Année européenne des citoyens. L’événement, qui se situait à mi-chemin entre la rencontre civique et l’opération marketing, a eu lieu à la Rockhal. Celle-ci est un lieu emblématique au cœur du projet Belval, qui représente un Luxembourg en plein processus de décentralisation, de  reconversion de ses friches industrielles, de création de nouvelles activités et de mise en œuvre de grands projets transfrontaliers. L’on a donc discuté de l’Europe en crise, de l’Europe qui s’élargit, de l’Europe des droits et des valeurs, de cette UE qui est d’abord le produit d’un effort volontariste en un lieu qui se trouve entre la nouvelle gare, les nouveaux immeubles de commerce et d’habitation, les vieux haut-fourneaux en cours de restauration muséale et les chantiers de  l’Université qui sont tout autant que l’UE le produit d’une volonté qui doit aboutir à une cité nouvelle.

La Commission avait mis le paquet en termes de communication pour rassembler quelques deux cent bénévoles des associations et d’initiatives citoyennes comme "le droit pour tous à un revenu de base inconditionnel" et "one for us", plus quelques centaines de citoyens - ils étaient en moyenne 170 à voter lors du grand débat central à un moment où il y avait autant de monde à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle. L’événement avait été annoncé pendant des mois à grands renforts de conférences de presse, de spots à la radio et à la télévision, d’affiches, de rockhal-haut-fourneaugraphiques qui s’inspiraient des sigles 3D des majors hollywoodiennes, et les pros d’une grande boîte de communication allemande veillaient au bon déroulement des événements. Tout s’est passé dans la bonne humeur, la tolérance, avec pourtant beaucoup de sérieux dans les différents débats. Des artistes très populaires avaient été appelés à la rescousse pour divertir, tout comme des chœurs d’enfants qui arrivaient à se faire entendre malgré l’immensité de la place qui fait face à l’immense masse du haut-fourneau tout enveloppé de bâches blanches sous laquelle les chalands déjeunaient. La restauration n’a pas posé de problèmes d’ailleurs. Contrairement à d’autres grands événements comme le Festival des Migrations, l’on ne se bousculait pas aux heures du repas de midi aux stands du CLAE. Bref, il y avait du monde, mais pas la foule. Mais pour venir un dimanche 30 juin, ce monde était motivé, du côté des citoyens comme du côté des politiques.

Des discussions de bistrot franches, mais sobres

Les citoyens qui étaient venus avaient droit à un premier programme solidement charpenté dans le cadre du "Rockhal café", malheureusement amputé des contributions du député européen allemand libéral Jorgo Chatzimarkakis, à qui on n’avait pas su trouver de place dans une suite de débats pour lesquels les cartes avaient été redistribuées à la dernière minute. Venu tout exprès de Perl en Sarre avec un assistant, cet orateur brillant qui avait plein de choses à dire est reparti furieux.

rockhal-meisch-lullingAstrid Lulling et Claude Meisch ont discuté au café sur l’égalité entre hommes et femmes. Astrid Lulling a raconté comment l’UE a changé les choses pour les femmes en termes d’égalité des salaires, d’accès aux services médicaux et aux allocations sociales, mais elle a aussi relaté, avec la malice qu’on lui connaît, comment elle a dû s’imposer en 1979 au Parlement européen, et imposer ses habitudes vestimentaires comme le tailleur-pantalon. Claude Meisch a de son côté trouvé que l’Etat luxembourgeois pourrait lui-même du jour au lendemain appeler plus de femmes dans les Conseils d’administration de ses entreprises publiques.

Le maire socialiste de Thionville, Bertrand Mertz, et l’eurodéputé chrétien-social Georges Bach ont ensuite discuté de l’Europe sociale. Pendant que Georges Bach regrettait le manque de dimension sociale de l’UE tout en mettant en avant le fait que le social relevait rockhal-bach-mertzd’abord de la compétence des Etats membres qui sont libres de se coordonner, Bertrand Mertz était d’avis que c’est l’absence d’harmonisation sociale qui ouvre la porte à tous les dumpings sociaux, à tous les détachements ou migrations de travailleurs qui font baisser les salaires et alimentent ainsi les discours des populistes qui montent en Europe. Georges Bach a souligné à quel point il était d’accord avec la Confédération européenne des syndicats qui demande un pacte social pour l’UE, avec un salaire minimum dans tous les Etats membres, un droit du travail fort, des systèmes de pensions sûrs et des allocations de chômage qui permettent aux chômeurs de passer dignement le cap. Georges Bach a déploré le manque de confiance entre les Etats membres et exprimé son souci pour l’avenir. Bertrand Mertz a surtout dénoncé le manque de confiance des Européens en eux-mêmes, un discours désespérant qui risque d’inspirer aux jeunes l’idée qu’ils n’ont pas d’avenir, et qu’il faut remplacer par un discours en faveur d’une Europe-puissance dotée d’un budget conséquent qui ne se contente pas d’ordonner les marchés.

rockhal-engel-griesbeckL’eurodéputé Frank Engel (PPE) et sa collègue libérale française Nathalie Griesbeck envisagent l’Europe du futur l’un comme les Etats-Unis d’Europe, l’autre comme une Europe fédérale. Frank Engel a entre autres expliqué qu’il ne fallait pas demander au citoyen européen qui peine déjà à comprendre comment fonctionnent ses institutions communales, régionales ou nationales, de comprendre le fonctionnement de l’UE, cette dernière étant trop compliquée, ce avec quoi sa collègue Griesbeck s’est montrée en parfait désaccord, car "si les gens ne s’approprient pas leurs institutions, la démocratie s’étiole". Frank Engel est aussi d’avis qu’il ne faut pas demander aux citoyens de s’exprimer sur l’élargissement, car la réponse serait négative. L’expérience des référendums sur le traité constitutionnel de 2005 lui suffit, puisque toute l’UE a été selon lui prise en otage par quelques millions de Français et de Néerlandais.

Le grand débat

rockhal-redingLe grand débat central était une cérémonie bien orchestrée. Le tout se déroulait sur un plateau central où se relayaient, selon la méthode du confessionnal, les invités de la commissaire européenne Viviane Reding. Autour de ce cercle étaient assis les citoyens à qui était dévolu un triple rôle de spectateurs, d’électeurs et d’intervenants. Derrière chaque bloc de spectateurs, de grands écrans montraient la discussion filmée par deux à trois caméras, mais aussi des clips qui illustraient la problématique. L’animateur de ce talk-show était le très populaire chimiste et animateur d’émissions de télévision Joseph Rodesch.

rockhal-brazAvant de passer au débat lui-même, le député vert Felix Braz a pris la parole pour évoquer les autres événements et débats de ce genre qui avaient déjà eu lieu en Europe, dont un en février 2013 à Coimbra, ville jumelée avec Esch-sur-Alzette, dont il a été échevin. Il a salué le courage de Viviane Reding qui n’a pas hésité à aller affronter des publics dans des pays en difficulté comme en Grèce et au Portugal. Il a aussi salué ce genre de dialogue, mais souhaité que les citoyens soient consultés plus en amont sur les grands projets et politiques de l’UE.   

Le premier à passer sur le plateau a été le ministre du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit, pour parler de la crise. L’on fit d’abord voter le public pour savoir s’il pensait que l’Europe devrait affronter le problème ensemble ou si chaque pays devrait mener sa propre politique. 84,3 % évidemment votèrent pour une UE unie affrontant la crise, mais ce résultat, selon rockhal-schmitViviane Reding, n’est pas si évident dans d’autres pays. Pour elle, la raison en est que les Luxembourgeois sont plus proches de leurs représentants politiques et vice-versa. Nicolas Schmit, resté assis dans sa chaise, les bras joints, pendant que Viviane Reding, très rompue aux exercices de communication à l’américaine s’était levée en tournant sur le plateau dès sa première prise de parole, veut aussi miser sur une solution de crise mise en œuvre ensemble par les Etats membres, mais il souligne les divergences sur la manière de voir ces solutions. "Les solutions actuelles de l’UE qui ont été imaginées par la Commission ne sont pas justes", pense-t-il. Et il ajoute : "Les recettes type FMI ne sont pas effectives. Il faut donc changer de solutions !" A quoi Viviane Reding a rétorqué que les dettes diminuent, que la compétitivité en Europe s’améliore et que les problèmes sont sur le point d’être maîtrisés.

Alors que Viviane Reding estime que l’idée d’un salaire minimum obligatoire dans tous les Etats membres n’est pas du ressort de l’UE, même si elle n’exclut pas qu’un jour, ce pourrait être le contraire, Nicolas Schmit est d’avis que si l’UE s’y attelait, elle pourrait devenir compétente et plus sociale. Viviane Reding a ensuite évoqué le rôle de la BEI comme prêteur des PME afin que des emplois soient créés dans l’UE, tandis que le ministre a reproché à l’UE d’avoir, par sa politique d’austérité dans les pays en difficulté, asséché les flux des crédits, jugulé les entreprises, détruit des PME et des emplois et réduit la demande intérieure par les diminutions de salaires, fermant ainsi le cercle de la récession.

A fusé alors la question d’un fonctionnaire de l’UE contestant la réduction à raison de 5 % des emplois de la fonction publique européenne et la diminution des salaires. Pour Nicolas Schmit, c’est là le résultat de la baisse de 4 % du budget de l’UE, et une des conséquences de la politique néolibérale qui a amené l’UE à être le seul bloc continental du globe en récession. Viviane Reding a renvoyé le fonctionnaire et citoyen européen au fait que la Commission avait proposé un autre budget et que ce budget a été revu à la baisse par le Conseil, donc les Etats membres. Si certains programmes n’ont pas été raccourcis, comme le programme Erasmus, qui a au contraire été élargi aux formations professionnelles, c’est parce qu’une "indignation" qui est selon elle "parfois nécessaire" a traversé l’Europe entière.

"Vivre et travailler là où je veux" a été le droit de citoyen européen qui a recueilli avant le deuxième débat le plus de suffrages avec 46, 2 % devant les droits de circuler librement des rockhal-lutgen-rodesch-redingaccords de Schengen (31,7 %) et l’accès aux services de santé (7,5 %) dans toute l’UE. Il s’agissait de la réponse à une question à choix multiple qui n’abordait pas d’autres droits qui sont ceux des citoyens. Mais Viviane Reding finira par aborder la question de la protection des données personnelles qui est "aussi un droit fondamental". Elle veut s’engager pour des normes élevées : "les nouveaux scandales avec les USA et la Grande-Bretagne nous ont réveillés", a-t-elle en effet admis. De sorte que dans les négociations avec les USA, il faudra miser sur "la réciprocité", et que des deux côtés de l’Atlantique, un citoyen pourra aller plaider devant les justices compétentes s’il pense que ses droits en la matière ont été lésés. Mais pour Viviane Reding, qui s’emporte, "la Grande-Bretagne a agi de façon pire encore que les USA". Par ailleurs, à ses yeux. si on négocie entre UE et USA, donc entre partenaires, "on n’agit pas comme si nous étions encore en pleine guerre froide". Et son interlocuteur, Benoît Lutgen, président du parti centriste belge CDH (Centre démocrate humaniste) pense qu’en vérité, "il faut intégrer les droits fondamentaux dans la politique de commerce extérieur de l’UE".

rockhal-goerens-redingLa dernière partie du débat sur le plateau fut celle consacrée au futur de l’Europe avec le député européen libéral Charles Goerens, le seul de ses interlocuteurs à ne pas rester assis quand Viviane Reding se levait pour s‘adresser au public à partir de tous les rayons du cercle. Le vote introductif a fait choisir l’assistance entre la stabilité, la participation et la solidarité, et c’est la solidarité qui l’a emporté avec 45,7 %. Mais comment faire fonctionner cette solidarité, si l’UE dispose de 40 fois moins de fonds que les Etats membres et que les Etats membres craignent qu’ils puissent plus perdre que gagner à être solitaires et donner plus de compétences à l’UE ? C’est la question que se pose Charles Goerens, qui a aussi mis en garde contre les effets à long terme des ressentiments qui ont surgi entre Etats membres et citoyens des Etats membres au cours de la crise, notamment entre l’Allemagne et les pays du Sud. Quant à Viviane Reding, elle souhaite que l’UE s’attelle à négocier un nouveau traité qui donne plus de compétences à l’UE.