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Emploi et politique sociale
Sommet social tripartite : La dimension sociale de l’UE au cœur des débats
24-10-2013


La Présidente de la République de Lituanie Dalia Grybauskaitė, Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso © Commission européenneLe 24 octobre 2013, en amont du Conseil européen, se tenait le sommet social tripartite pour la croissance et l’emploi, réunissant deux fois par an syndicats, organisations patronales et institutions de l’UE. Les échanges furent notamment consacrés aux moyens de renforcer la dimension sociale de l’UE et de la zone euro, mais aussi à l’importance de l’investissement.

L’intérêt de l’investissement

En amont de la réunion, les partenaires sociaux, à savoir la Confédération européenne des syndicats (CES), l’organisation patronale européenne BUSINESSEUROPE, le Centre européen des employeurs et entreprises fournissant des services publics (CEEP) et l’Union européenne de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME), avaient adressé une lettre commune au président de la Commission, José Manuel Barroso, et au président du Conseil, Herman Van Rompuy, insistant sur l’importance de l’investissement pour assurer une croissance durable.

"Un prérequis à une croissance à long terme, une hausse de l’emploi et de hauts standards de vie, est que les entreprises, à travers le continent, aient une confiance durable pour faire les investissements nécessaires pour développer leur production et créer des emplois", ont-ils écrit, soulignant que cette confiance est dépendante d’une "demande robuste et stable, de réseaux, d’ infrastructures et de services publics de haute qualité, ainsi que d’un climat de paix sociale et de cohésion sociale".  

Dans leur courrier, les quatre partenaires pressent ainsi les gouvernements à se concentrer sur la manière dont les investissements publics peuvent au mieux contribuer  à la croissance à long terme et à la création d’emplois, tandis que le Conseil et la Commission devraient se mettre rapidement d’accord notamment sur les instruments financiers de risque partagé entre Commission européenne, via les fonds structurels, et la Banque européenne d’investissement BEI, afin d’assurer que ces fonds puissent être mis à disposition sans délai. Les quatre partenaires affirment par ailleurs que "le soutien public ne peut être un substitut à la réparation des faiblesses systémiques des marchés financiers".

L’accès des entreprises au crédit est dans ce contexte un autre souci majeur alors que sur les douze derniers mois, dans la zone euro, les investissements par des sociétés non financières ont baissé de 6,8 % et les crédits de 5.5 %, tandis que de grandes divergences de coût de ces crédits à court terme subsistent entre le taux d’intérêt moyen de 2,8 % affiché par l’Allemagne et celui de 6,5 % en cours en Grèce. Les signataires saluent dans ce contexte l’augmentation des capacités de crédits de la BEI,  pour la période 2013-15, de 40% par rapport à avant la crise. 

Par contre, les partenaires sociaux ne sont pas d’accord sur les contreparties aux "project bonds", qui doivent financer les initiatives clés en matière d’infrastructures de transport, d’énergie et de télécommunications. La CES redoute que leur délivrance soit conditionnée à la mise en place de réformes structurelles. "Nous avons des craintes profondes que le deal proposé traite le travail comme un facteur d’ajustement, dans un mépris total pour nos droits acquis", a dit Bernadette Ségol, secrétaire générale de la CES. La CES revendique un plan de relance européen "avec pour objectif d’investir 2% de PIB supplémentaires par an au cours de la prochaine décennie en faisant appel aux ressources nationales et européennes", comme on le lit dans son communiqué de presse publié en amont du sommet. Ce serait la voix vers une croissance durable, la réindustrialisation de l’Europe, la création d’emplois décents, mais aussi un "moyen unique de montrer que l’UE agit pour le progrès social et n’est pas un instrument qui attaque les droits sociaux".

Le Président de la Commission européenne s’est en tout cas félicité de la lettre reçue des partenaires sociaux. “Comme la Commission l’a dit, au moins depuis 2010, notre politique ne devrait pas être uniquement une politique de consolidation budgétaire ou de réformes structurelles. C’est important et indispensable, mais nous avons aussi besoin d’investissement”, a-t-il dit en soulignant l’urgence de l’adoption du Cadre financier pluriannuel.

La question sociale ne fait pas l’unanimité

Le sommet social tripartite s’est aussi emparé de la question de la dimension sociale de l’UE qui a fait l’objet, le 2 octobre 2013, d’une communication spécifique de la Commission européenne. Dans son discours, le président du Conseil, Herman Van Rompuy, a estimé que cette communication constituait "un bon pas dans la bonne direction". "Elle reconnaît notre interdépendance sociale, éclaire les risques créés par les différences sociales, et entend identifier les retombées négatives dans les Etats membres par la création d’un tableau de bord social et de l’emploi", a-t-il ajouté.

"La dimension sociale a toujours été une haute priorité pour la Commission européenne" et le renforcement de la participation des partenaires sociaux aussi,  a expliqué le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, pendant son intervention.

Selon Herman Van Rompuy, avec la résorption des problèmes financiers s'ouvre une nouvelle ère. "Le retour de la stabilité financière nous permet de concentrer nos efforts sur le retour de la croissance et de l’emploi. C’est la force motrice derrière tous nos efforts – la 'dimension sociale' par excellence", a-t-il déclaré. Or, pour créer l’emploi, c’est notamment dans les Technologies de l’information et de la communication (TIC), qu’il faut investir, a-t-il dit, en pointant du doigt les 900 000 emplois vacants en 2015 dans le secteur. José Manuel Barroso a quant à lui souligné la nécessité d’adopter les nouvelles législations sur les télécommunications, la bande large à haut débit, les paiements en ligne et la protection des données, avant les élections de mai 2014, pour opérer le plus tôt possible la relance. Une économie numérique pan-européenne pourrait ajouter 4 % au PIB européen d’ici 2020, a-t-il souligné.

"Bien sûr, renforcer notre économie n’est pas une fin en soi : c’est un moyen de poursuivre ce qui est au fonds un objectif social. Nous savons tous très bien que malgré notre stratégie résolue pour la croissance et l’emploi, la situation sociale reste précaire dans un certain nombre de pays", a toutefois mis en garde Herman Van Rompuy.

Pour l’organisation patronale du secteur privé, BUSINESSEUROPE, "la dimension sociale est, depuis le début, inhérente à l’intégration européenne". Néanmoins, cette dimension a plusieurs déclinaisons. "Si l’Europe veut défendre son standard de vie, elle doit réformer ses systèmes sociaux et sculpter la dimension sociale de l’UE dans la bonne direction", a dit, lors de son allocution, son directeur général, Markus J. Beyrer. Ainsi BUSINESSEUROPE compte parmi ses trois urgences pour relancer l’économie : faire l’Union bancaire et assurer l’accès aux crédits, notamment pour les PME, développer le marché unique, l’économie digitale et le marché unique des télécommunications mais aussi réformer les marchés du travail aux niveaux nationaux. La lutte contre le chômage des jeunes et de longue durée pourrait ainsi être menée grâce au recours à des formes flexibles de travail que la Commission européenne aurait déjà eu le tort de nommer "travail précaire". "Le réel problème, c’est l’inemploi, non pas le travail à temps partiel, les contrats à durée déterminée et le travail en agence intérimaire", a déclaré Markus J. Beyrer.

Sur ce point, la Confédération européenne des syndicats n’est pas sur la même longueur d’onde, ni avec la Commission européenne, ni avec BUSINESSEUROPE. "La politique actuelle fait le minimum : juste assez, pour éviter que la société éclate avec la zone euro et pour laisser en même temps le marché intérieur se développer en une zone de libre échange", a dit Bernadette Ségol. Cette dernière a d’ailleurs réitéré les critiques syndicales contre la communication de la Commission sur le Programme REFIT formulées le 2 octobre 2013. "Pour nous, le marché intérieur n’est acceptable que s’il s’accompagne de standards et règlementations communs pour sauvegarder les conditions sociales et garantir les droits des travailleurs. L’intention avouée du programme REFIT de la Commission est de réduire la bureaucratie. Mais dans le champ social, il menace d’abaisser les standards", a-t-elle dit en annonçant le lancement prochain d’une campagne baptisée RethinkRefit.

"L’Europe est d’abord une affaire de gens, c’est pourquoi la Commission a placé les sujets sociaux au cœur de notre stratégie économique pour une croissance durable, intelligente et inclusive, Europe 2020", a déclaré encore le président de la Commission européenne José Manuel Barroso. "L’importance et la visibilité des questions sociales et de l’emploi dans notre système de gouvernement est désormais plus fort. Renforcer le dialogue social à l’échelle nationale et européenne est crucial pour assurer l’appropriation de nos politiques et assurer le juste équilibre."

La participation à la gouvernance économique

Le renforcement de la participation à la gouvernance économique des quatre partenaires sociaux était un autre grand sujet de discussion a fait l’objet d’un second document publié en commun par des partenaires sociaux qui veulent être durablement impliqués tout au long du processus du Semestre européen. Ils veulent ainsi que la consultation, lancée à l’occasion de l’édition 2013 de l’Examen annuel de la croissance, soit poursuivie lors des prochaines échéances. De même, ils souhaitent être consultés pour l’analyse des Programmes nationaux de réformes, les recommandations aux Etats membres et la procédure de déséquilibre macro-économique. Ils soulignent également que les institutions plus anciennes comme le comité social tripartite, le sommet social tripartite et le dialogue macroéconomique peuvent être rendus plus efficaces.

Le renforcement du dialogue social aux niveaux européen et nationaux constitue "le plus sûr moyen d’assurer un diagnostic largement partagée avec les partenaires sociaux et une appropriation plus forte des conclusions du Semestre européen", a affirmé en réponse le président du Conseil, Herman Van Rompuy.

Des indicateurs sociaux de référence

L'un des moyens de guider les partenaires sociaux dans leur analyse consiste à s’appuyer sur un nouveau tableau d’indicateurs sociaux de référence (chômage, nombre de jeunes inactifs, risque de pauvreté, rapport entre le ménage et les revenus), dont l’usage fut évoqué par la Commission européenne, dans sa communication du 2 octobre 2013 sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire. Dans leur prise de position, les partenaires sociaux demandent à ce que ce tableau soit "cohérent avec les indicateurs macro-économiques existants et les objectifs Europe 2020". Ils déplorent par ailleurs qu’ils n’aient pas encore été consultés par le conseil EPSCO ni la DG Emploi de la Commission européenne qui planchent sur le sujet.

La CES est la plus offensive sur ce sujet. Certes, la communication du 2 octobre 2013 sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaire a souligné l’importance de disposer d' "indicateurs sociaux de référence', dit-elle en dénonçant le fait qu’ils n’aient pas "un impact réel et contraignant sur les politiques économiques". "Il leur manque le pouvoir de changer la direction des politiques économiques et les recommandations", a expliqué la secrétaire de la CES, Bernadette Ségol dans son discours, précisant : "A nos yeux, si, par exemple, des recommandations à un pays exigent une réduction du salaire minimum, et que cela mène à l’augmentation de la pauvreté, ces recommandations devraient être changées."

Par ailleurs, la CES a aussi profité de ce sommet social tripartite pour dénoncer les inégalités entre travailleurs permises par le détachement. "La mobilité seule, sans égalité de traitement pour tous, n’est pas la solution pour générer une croissance et des emplois durables", a dit Bernadette Ségol.  Elle a aussi, dans ce contexte, souligné, que les migrations de jeunes du Sud de l’Europe vers le Nord font perdre à leurs pays "beaucoup de leur dynamisme et de leur espoir dans le futur". "Ils ne peuvent pas recouvrer le terrain perdu si les jeunes gens, souvent les plus qualifiés, abandonnent leur propre pays", a-t-elle dit mettant en garde contre le risque de création d’un “mezzogiorno” européen.

Bernadette Ségol a par ailleurs plaidé pour la solidarité suite à la tragédie de Lampedusa et demandé à l’Europe de "mettre en place des politiques étrangères qui préviennent les facteurs incitant les immigrants à quitter leur pays".