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Parlement européen - Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Les représentants de la troïka n’ont pas convaincu les eurodéputés de la commission ECON lors d’une première audition qui a notamment pointé de larges erreurs de prévisions dans le chef du trio institutionnel
05-11-2013


Les représentants de la troïka UE-BCE-FMI devant les eurodéputés le 27 mars 2012 © European Union 2012 PE-EPLa commission économique et monétaire (ECON) du Parlement européen a auditionné, le 5 novembre 2013, le directeur général adjoint de la Commission européenne, Servaas Deroose et un représentant de la Banque centrale européenne (BCE), Klaus Masuch,  sur le fonctionnement de la troïka - BCE, Commission et Fonds monétaire international - et les effets des réformes dans les pays sous assistance financière, à savoir la Grèce, le Portugal, l'Irlande et Chypre.

Dans le cadre du travail préparatoire de l'enquête voulue par la commission ECON sur le travail mené par la troïka, les députés ont ainsi pu interroger les deux représentants, mais sont très largement restés sur leur faim.

L’audition a notamment été l’occasion de très vives critiques contre le trio institutionnel dont le fonctionnement est jugé pour le moins "opaque", comme l’avait déclaré le député Vert allemand Sven Giegold quelques jours plus tôt. La question de la légitimité démocratique et celle du manque de contrôle du Parlement européen sur la troïka sont les raisons principales qui ont en effet poussé les députés à se saisir du sujet.

Pour mémoire, suite à la fuite en juin 2013 d'un rapport du FMI qui reconnaissait des erreurs de gestion dans le premier plan d'aide grec, la Commission avait assuré qu’elle produirait son propre rapport sur le sujet. Un rapport qui, cinq mois plus tard, n’a toujours pas vu le jour.

Des prévisions économiques "très souvent inexactes"

Sous le feu des critiques, les prévisions économiques très souvent erronées de la troïka, sur  lesquelles ont pourtant reposé les programmes de réformes économiques exigés dans les "pays en crise", ont été pointées du doigt par les députés.

"De nombreux députés ont été particulièrement irrités par les observations liminaires des responsables de la BCE et de la Commission", peut-on ainsi lire dans un communiqué publié sur le site du Parlement européen.

"Tous les pays sous assistance ont réalisé des progrès, ce qui a créé la base d'une croissance durable et de l'emploi", avait en effet estimé Klaus Masuch.  "C'est comme entendre les porte-paroles de Alice au pays des merveilles! Vos prévisions ont été pires que les plus mauvaises prévisions météorologiques que j'ai jamais entendues", a commenté le député Dirk Jan Eppink (ECR, Belgique).

Servaas Deroose a pour sa part dit comprendre la préoccupation du Parlement européen et a assuré que la Commission prenait cette question au sérieux. "Nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu'elles soient les meilleures possible. Mais nous ne sommes pas parfaits, des erreurs  peuvent être commises", a-t-il justifié selon des propos que rapporte l’Agence Europe. "Il est vrai que nos prévisions n'ont pas été parfaites, mais les circonstances rendaient les prédictions extrêmement difficiles", a-t-il encore poursuivi.

Klaus Masuch a poursuivi en appelant les députés à juger les prévisions "à la lumière des informations de l'époque, au printemps 2010 […] quand nous n'avions pas conscience des problèmes administratifs et politiques des pays" en difficulté. Ces problèmes ont mené selon lui à des "délais très significatifs dans les réformes" ce qui a "miné la confiance" des autres États et des marchés.

Le cas de la Grèce

Les prévisions économiques, en particulier pour la Grèce, se sont en effet révélées largement erronées comme le rapporte le correspondant du Luxemburger Wort à Athènes. Selon Gerd Höhler, les prévisions présentées en mai 2010 à l’occasion du premier plan de sauvetage de la Grèce tablaient sur une croissance de 3,2 % en 2012. Dans les faits, c’est un recul de -10 % qui a pu être constaté.

En termes de chômage, les prévisions n’ont pas été plus justes, rapporte le correspondant. Ainsi alors que la troïka estimait que le chômage plafonnerait en 2012 à 14,8 % avant d’amorcer un recul, ce taux a atteint en réalité près de 28 %, et la tendance reste à la hausse. Les dernières prévisions sur la dette grecque datant de mars 2012, qui estimaient un niveau de dette de 164,2 % du PIB se sont également révélées fausses, avec un endettement qui atteint désormais 176 % du PIB. L’impact des mesures d’austérité sur l’économie, sous-estimé selon l’aveu même du FMI et de la Commission, a également eu de lourdes conséquences. Ainsi, alors que les coupes budgétaires prévues à l’origine étaient de 39,8 milliards d’euros, c’est finalement  près de 47,8 milliards d’euros qui ont dû être économisés, ce qui aurait encore aggravé la récession dans laquelle est plongée la Grèce.

Des programmes adaptés ?

Interrogés par les députés sur la conception des programmes de réforme, les deux fonctionnaires ont largement défendu les mesures adoptées. Pour la Grèce, "nous dirions toujours que le programme conçu était approprié, compte tenu de ce que nous savions à l'époque", a insisté  Servaas Deroose de la Commission, qui a néanmoins reconnu qu’avec le recul, certaines choses auraient pu être faites différemment. Il a notamment souligné qu'il aurait fallu mettre davantage l'accent sur l'amélioration de la compétitivité et qu'une recapitalisation plus directe des banques grecques aurait été nécessaire. Klaus Masuch de la BCE a pour sa part reconnu que la troïka avait sous-estimé la résistance opposée par les mieux lotis dans la défense de leurs intérêts acquis.

Responsabilité diluée

Le député autrichien Othmar Karas (PPE) – qui co-rédigera le rapport d’initiative pour la commission ECON avec le socialiste nancéien Liem Hoang Ngoc (S&D, France) une fois celle-ci formellement acceptée par la conférence des Présidents des groupes politiques du Parlement européen – s’est de son côté inquiété des différents niveaux de responsabilité des trois institutions au sein de la troïka ainsi que de leurs relations avec les Etats membres.

Klaus Masuch de la BCE a désigné l'Eurogroupe comme principal responsable: "C'est l'Eurogroupe qui décide d’octroyer une aide ainsi que des modalités des programmes", a-t-il indiqué, notant que la troïka n’avait en réalité qu’une fonction de "conseiller technique". Une réponse pas vraiment du goût du Belge Philippe Lamberts (Verts) qui a renvoyé la BCE a ses responsabilités: "Vous n'êtes pas uniquement des techniciens. Ne vous contentez pas de nous renvoyer vers l'Eurogroupe".

Interrogé le 6 novembre par l’Agence Europe, Philippe Lamberts a été très sévère. Selon lui, la prestation des deux représentants était "extrêmement prévisible et en même temps extrêmement décevante. Ils n'ont donné aucune réponse précise aux questions fondamentales", a-t-il déploré, estimant avoir eu affaire à des "sous-fifres", dont le rôle se serait borné à expliquer aux députés n’être que des exécutants.

Selon Philippe Lamberts, les deux hommes paraissaient en outre "dans le déni de la réalité" et ils n'ont à aucun moment expliqué "comment ils allaient tenir compte de leurs erreurs", rapporte encore l’Agence Europe.

Préoccupations sociales

Le communiqué du Parlement européen souligne encore que différents députés ont rappelé à Servaas Deroose et Klaus Masuch que l'objectif des programmes ne devrait pas uniquement être le retour à une bonne santé économique. "Comment prenez-vous en compte la nécessité d'une stabilité politique et sociale, et tenez-vous compte de potentiels troubles sociaux importants dans vos plans?" a demandé la députée Anni Podimata (S&D, Grèce).

Selon les deux représentants, les difficultés sociales et politiques seraient bien prises en compte par la troïka, ce qui se reflèterait d'ailleurs dans la flexibilité prévue dans chaque programme.

L'enquête, qui devrait donner lieu à de nouvelles auditions et enquêtes techniques, devrait aboutir à un rapport avant la fin du mandat législatif du Parlement.