Principaux portails publics  |     | 

Entreprises et industrie - Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
Présence des femmes dans les conseils des entreprises – Le Parlement européen a modifié et adopté la proposition de directive de la Commission européenne
20-11-2013


Astrid LullingLe 20 novembre 2013, le Parlement européen a adopté à une large majorité (459 voix pour, 148 voix contre et 81 abstentions) la proposition de directive visant à améliorer l’équilibre entre les femmes et les hommes au sein des conseils des entreprises de l'UE.

Présenté par la Commission européenne le 14 novembre 2012, ce texte entend corriger le déséquilibre entre les femmes et les hommes au sein des conseils de surveillance et des administrateurs non exécutifs des sociétés cotées, en visant l’objectif qu’à l’horizon 2020, 40 % des membres parmi les administrateurs non exécutifs des conseils des sociétés cotées d’Europe, soit du sexe sous-représenté (dans l’immense majorité des cas, du sexe féminin). Les entreprises publiques cotées doivent quant à elles atteindre ce taux dès 2018. Au total, 5 000 entreprises sont concernées.

En 2013, seulement 16,6 % des membres non exécutifs des conseils des plus grandes entreprises européennes étaient des femmes. La Commission estime qu’en raison de son action "volontariste", le pourcentage des femmes dans les conseils des sociétés a, ces trois dernières années, enregistré une hausse partout dans l’UE. En septembre 2010 lors de l’adoption de la stratégie hommes-femmes 2010-2015, ce taux n’atteignait encore que 11 %.

Sa proposition de directive ne vise que les conseils de surveillance et les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées, "en raison de l’importance économique et de la forte visibilité de celles-ci", comme l’explique le communiqué de presse diffusé par la Commission européenne à l’issue du vote du Parlement européen.

Cette proposition de directive n’introduirait pas un quota chiffré fixe mais constitue avant tout un "quota induisant la mise en œuvre d'une procédure", comme le nomme la Commission européenne. Ainsi, les entreprises concernées en place doivent mettre en place des procédures de sélection des membres de ses conseils qui garantisse un accès équitable aux femmes et accordera, à niveau de qualification égal, la priorité aux candidates.

Les entreprises qui ne respectent pas les règles seront tenues d'en expliquer la raison et d'informer les autorités nationales compétentes des mesures prises et prévues pour atteindre les objectifs à l'avenir. Chacun des États membres de l’Union devra prévoir des sanctions appropriées et dissuasives contre les entreprises qui enfreindraient la directive.

La proposition prévoit également, à titre de mesure complémentaire, un "objectif souple" en matière de quotas: il s’agit de l’obligation pour les sociétés cotées en bourse de se fixer elles-mêmes, dans le cadre de l’autorégulation, des objectifs concernant la représentation des deux sexes parmi les administrateurs exécutifs, lesquels devront être atteints d’ici 2020 (dès 2018 dans le cas des entreprises publiques). Les sociétés devront rendre compte chaque année des progrès réalisés.

"La proposition met résolument l’accent sur la qualification professionnelle des intéressées. Être une femme ne saurait être une condition suffisante pour siéger dans un conseil d'administration. Mais aucune femme ne se verra non plus refuser un tel poste en raison de son sexe", résume la Commission européenne dans son communiqué.

Le Parlement européen a supprimé l’exemption pour les entreprises dans lesquelles le sexe sous-représenté constitue moins de 10 % du personnel

Cinq commissions parlementaires avaient déjà apporté leur soutien à cette proposition, dont les commissions des affaires juridiques (JURI) et des droits de la femme et de l’égalité des genres (FEMM), le 14 octobre 2013.

La vice-présidente de la Commission européenne et commissaire chargée de la justice, Viviane Reding, a estimé que le vote du Parlement européen réuni en plénière marque "un moment historique pour l’égalité entre les femmes et les hommes en Europe". "Le Parlement a provoqué les premières fissures dans le plafond de verre qui empêche encore les femmes de talent d'accéder aux postes les plus élevés", se réjouit Viviane Reding qui ajoute que le Conseil des ministres doit "se montrer à la hauteur de cet enjeu et progresser rapidement dans l'examen de cette proposition de directive qui accorde une place centrale aux qualifications et au mérite".

Le Parlement a entériné l'approche retenue par la Commission de s'orienter vers une procédure de sélection transparente et équitable plutôt que vers un quota chiffré fixe. Il a aussi laissé les PME hors du champ d'application de la directive. Cependant, les eurodéputés encouragent les États membres à soutenir les PME et à les inciter à renforcer l'équilibre des genres à tous les niveaux de l'encadrement et au sein de leurs conseils.

La touche principale apportée au texte par le Parlement européen consiste dans la suppression de l’exemption aménagée par la Commission européenne, à l’adresse des entreprises dont le personnel est composé de moins de 10 % de membres du sexe sous-représenté.

Le Parlement a également décidé de renforcer le régime de sanctions. Il a rendu plusieurs sanctions "obligatoires" et non plus "indicatives". Ainsi, le non-respect par les sociétés des procédures de sélection des membres de leurs conseils devrait être sanctionné, notamment, par une exclusion des marchés publics et une exclusion partielle de l'allocation de financements par les Fonds structurels européens.

"Nous avons adopté une résolution cohérente et envoyé un signal fort au Conseil, mais également aux parties prenantes et aux entreprises", a déclaré le co-rapporteur de la commission des droits de la femme, Rodi Kratsa-Tsagaropoulou (PPE, EL), selon les propos rapportés par le communiqué de presse du Parlement européen. Il a souligné que cette disposition aurait aussi pour vertu « d'accroître la compétitivité et de respecter pleinement les principes européens et les valeurs d'égalité".

"La résolution clarifie et améliore les procédures ouvertes et transparentes sur la nomination de membres non exécutifs des conseils dans les sociétés cotées en bourse. Le Parlement a fait sa part du travail », a déclaré le co-rapporteur de la commission des affaires juridiques, Evelyn Regner (S&D, AT), renvoyant la balle au Conseil, pour réussir à finaliser la directive avant les élections européennes. "Cela montrera à nos citoyens que nous luttons contre la discrimination et défendons l'égalité des chances sur le marché du travail", a-t-elle dit.

Les ministres doivent débattre de la proposition de directive lors de la réunion du Conseil EPSCO des 9 et 10 décembre 2013. "L'accord semble difficile à dégager car plusieurs pays (Royaume-Uni, Pays-Bas, Hongrie, République tchèque, Bulgarie, les pays baltes et Malte) s'opposent à la proposition de directive, jugeant préférable que l'UE ne légifère pas en la matière", a commenté l’Agence Europe.  Au contraire, l'Italie, la France ou la Belgique, se sont déjà dotés de législations nationales similaires aux dispositions prescrites dans la proposition de directive. Par contre, les récentes élections qui s’y sont déroulées pourraient faire basculer l’Allemagne du côté des défenseurs de cette directive. Les négociations en cours au sein de la future coalition CDU-SPD ont abouti à un accord sur un quota à atteindre de 30 % de femmes dans les conseils d'administration allemands à partir de 2017.

La position des eurodéputés luxembourgeois

Seul un eurodéputé luxembourgeois s’est prononcé en faveur de la proposition, à savoir le Vert, Claude Turmes. Le libéral, Charles Goerens, ainsi que le chrétien-social Georges Bach, se sont abstenus. Les trois autres eurodéputés ont voté contre la proposition.

Claude Turmes avait déjà fait savoir en novembre 2012 qu’il jugeait cette proposition pertinente, tandis que l’eurodéputé CSV, Frank Engel avait déclaré être au contraire opposé aux quotas.

A l’issue du vote du Parlement européen, l’eurodéputé socialiste, Robert Goebbels, a expliqué sa position. Dans son explication de vote, il juge cette proposition "essentiellement démagogique", car elle "ne changera rien à la condition féminine et aux problèmes réels dont sont confrontés des millions de femmes dans leur vie professionnelle". Elle ne bénéficierait, au contraire, qu’à une certaine catégorie de femmes. Selon lui, on verra "à l’avenir plus d’anciennes Ministres ou Commissaires du type de Madame Reding peupler pour leur satisfaction personnelle les conseils d’administration ou de surveillance des grandes institutions financières, marchandes et industrielles". Robert Goebbels préfère s’intéresser à la condition des autres femmes dans ces entreprises. "Gagneront-elles davantage, pourront-elles mieux concilier leurs obligations familiales avec leur vie professionnelle ? On peut en douter", juge-t-il.

L’eurodéputée PPE, Astrid Lulling, est intervenue en plénière pour expliquer qu’elle voterait contre un rapport dont elle "conteste la légitimité et la légalité". Selon la doyenne des eurodéputées, il n’existe pas de base juridique dans le traité de Lisbonne pour prescrire à des sociétés privées cotées en bourse la manière de choisir leurs administrateurs. De surcroît, se disant favorable à ce qu'il y ait plus de femmes dans tous les organes de décisions des entreprises, elle avait, a-t-elle rappelé, présenté, en vain, une alternative sous forme d'une directive "requérant des standards minimaux en matière d'actions positives pour assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les entreprises". Elle l’avait notamment fait savoir par un communiqué de presse en date du 30 août 2013. Il s’agissait ainsi d’"assurer la promotion de millions de femmes". "Voilà une vraie alternative à une directive qui, si jamais elle voyait le jour, n'intéresserait que quelques milliers de femmes parachutées dans les conseils d'administration des sociétés cotées en bourse", a-t-elle déclaré dans l’hémicycle, selon les propos rapportés sur son site internet. Désormais, avant la deuxième lecture au Parlement européen, "il faut voir quelle sera la position des gouvernements, aussi du nôtre, qui verra le jour prochainement", conclut Astrid Lulling.

L'eurodéputé PPE Georges Bach a pour sa part fait le choix de l'abstention, jugeant que le rapport ne "propose pas les bonnes solutions à ce problème". Si l'eurodéputé affirme reconnaître la nécessité d'efforts supplémentaires pour la promotion des femmes en termes d'accès aux postes à haute responsabilité, celui-ci estime "qu'il y a d´autres moyens plus efficaces et crédibles pour y parvenir".

En avril 2013, le précédent gouvernement avait fait le choix d’adopter "une attitude bienveillante" à l’égard de la proposition de Viviane Reding en matière de quotas de femmes dirigeantes.

Au Luxembourg, la directive n’aurait qu’un effet limité puisque seule une vingtaine d’entreprises sont cotées sur le marché réglementé de la Bourse de Luxembourg. Avec 10,1 % de femmes, le Luxembourg est loin de la moyenne européenne 16,6 % et figure en 22e position parmi les 28 Etats membres de l’UE.