Principaux portails publics  |     | 

Parlement européen - Traités et Affaires institutionnelles
Siège du Parlement européen - Les députés européens approuvent à une très large majorité un rapport qui demande pour le Parlement le droit de déterminer lui-même le lieu de son siège et son calendrier et d’amender le traité européen en conséquence
20-11-2013


Le Parlement européen à Strasbourg source: PELa question du siège unique du Parlement européen a été le 19 novembre 2013 à l’ordre du jour de la plénière de l’assemblée européenne. Le Parlement a débattu du rapport des députés Ashley Fox (conservateur britannique) et Gerald Häfner (Vert allemand) qui avait déjà été discuté et adopté dans différentes commissions travail (affaires constitutionnelles, budget et pétitions) qui avaient chacune proposé de modifier la partie des traités européens qui fixe le siège du Parlement européen à Strasbourg "afin de permettre au PE de décider de la fixation de son siège et de son organisation interne". Lors du vote, 483 eurodéputés, sur 766 au total et 658 présents, ont voté pour et 141 députés contre le rapport Fox-Häfner qui dit que le Parlement européen "serait plus efficace, plus rationnel au niveau des coûts et plus respectueux de l'environnement s'il siégeait en un seul lieu".

Pour arriver à cette fin, le Parlement européen devrait avoir recours au nouveau droit d’initiative du PE en la matière qui consiste en une procédure de révision ordinaire du traité européen selon l’art. 48 TUE, une procédure dont le rapport dit qu’elle pourrait être tranchée à la majorité simple au Conseil européen, donc sans les voix de la France et du Luxembourg qui la soutient sur la question du siège. (voir quelques explications en bas de l’article).

Si le texte du rapport Fox-Häfner ne mentionne pas de préférence pour le lieu du siège unique, le co-rapporteur Ashley Fox n’a jamais caché que Bruxelles, siège d’autres institutions de l’UE, a très clairement sa faveur, alors que Gerald Häfner a parlé de sa préférence personnelle pour Strasbourg, mais il a nuancé en déclarant que cette  préférence ne comptait pas face aux intérêts des citoyens et contribuables.

Les interventions des rapporteurs Ashley Fox et Gerald Häfner

Dans sa première intervention lors du débat, Ashley Fox a expliqué que la question du double siège du Parlement européen était souvent posée par ses électeurs, et qu’ils lui faisaient comprendre qu’ils ne comprenaient pas pourquoi il y a avait deux sièges, et pas non plus pourquoi les déplacements entre Bruxelles et Strasbourg entraînaient autant d’émissions de CO2, alors que partout, on exige dans l’UE que les émissions soient réduites. Selon lui, ils ne comprenaient pas non plus pourquoi l’on occasionnait tous ces coûts supplémentaires, alors que partout en Europe, on demande que les autorités publiques fassent des économies. Quand il a parlé de la transhumance entre Bruxelles et Strasbourg - distantes de 435 km ,– il a cité des milliers d'élus, de fonctionnaires, de journalistes et autres traducteurs, un coût annuel de 150 millions d'euros et l’émission de 19 000 tonnes de CO2.

Ashley Fox a exprimé toute sa compréhension pour le fait qu’après la IIe Guerre Mondiale, Strasbourg ait été désigné comme siège du Parlement européen en guise de symbole de la réconciliation franco-allemande. A l’époque, c’était pour lui "un bon choix, mais les temps ont changé, et ce qui a été symbole de réconciliation est devenu un symbole de gaspillage", "gaspillage de temps, d’énergie et d’argent des contribuables", a-t-il précisé.

Le rapport soumis à la plénière est un "effort transversal" qui a recueilli une large majorité à la commission AFCO. Il exige que le Parlement européen n’ait qu’un siège, qu’il puisse décider où ce siège sera et conclut que le Parlement prenne une initiative pour changer le traité européen afin de pouvoir déterminer lui-même où il siégera. Il lui faudra donc contraindre le Conseil à se saisir du dossier du siège, chose qu’il a jusque-là esquivée.

Ashley Fox a fait état du fait que parmi ceux qui soutiennent le rapport, il y a ceux qui penchent en faveur de Strasbourg et ceux qui veulent que le siège du Parlement soit fixé à Bruxelles. Strasbourg est pour lui une ville "belle, riche, propre, sûre et qui possède un beau patrimoine culturel". "Bruxelles n’a qu’un seul de ces avantages", a-t-il dit, sans préciser lequel. Mais "nous représentons des circonscriptions électorales qui ne soutiennent pas ce cirque du déménagement", a-t-il souligné, avant d’ajouter : «"Le soutien à l’UE est déjà faible au Royaume-Uni, et continuer le cirque du déménagement fait partie des questions qui minent toujours plus ce soutien."

Gerald Häfner a dans son intervention parlé d’une "grande avancée" et d’un "moment historique". Pour lui, cela fait 30 ans que les citoyens ne comprennent pas le gaspillage que la politique des deux sièges occasionne, avec un immense bâtiment à Strasbourg qui n’est utilisé que 48 jours par année. Le Parlement européen lui-même n’a cessé d’exprimer son mécontentement avec la situation, mais n’est pas en mesure de décider lui-même, "contraint dans un corset par les gouvernements de l’UE". Pour l’eurodéputé vert, il n’est pas acceptable que le Parlement européen soit traité comme "une agence quelconque de l’UE" mais qu’il devrait pouvoir décider par lui-même où, quand et pourquoi  il siège. C’est ce que la Cour de Justice de l’UE lui a clairement indiqué comme la seule voie à suivre lorsqu’elle a annulé en décembre 2012 les délibérations du Parlement européen du 9 mars 2011 portant sur le calendrier des sessions parlementaires de 2012 et 2013. Le Parlement devrait donc agir s’il veut être pris au sérieux.

Le débat

Au cours du débat, l’eurodéputé néerlandais Jan Mulder (PPE) a évoqué qu’aucun groupe de visiteurs qu’il accueille au Parlement depuis des dizaines d’années n’a manqué de tancer "le ridicule des voyages entre Bruxelles et Strasbourg". Lui aussi est d’accord que le Parlement puisse décider de lui-même, mais "la France doit recevoir des compensations". La majorité des intervenants ont abondé dans ce sens, comme le député libéral Stanimir Ilchev, pour qui le Parlement a entretemps un statut égal à celui du Conseil comme co-législateur, ce qui fait de la question discutée plus qu’une question de siège, mais aussi une question de légitimité.

Seuls quatre députés, tous français, sont intervenus en faveur de Strasbourg. Parmi eux Constance Le Grip (PPE), qui a mis en cause les ambiguïtés du rapport, qui confond selon elle la question du siège et celle des lieux de travail, le premier n’étant que Strasbourg, les deuxièmes étant plusieurs, dont Strasbourg, Luxembourg et Bruxelles. Par ailleurs, on ne peut pas traiter la question du siège du Parlement européen isolément de la question de tous les autres sièges des institutions, car "c’est ainsi depuis le début de l’UE qui a toujours été marquée par le polycentrisme des lieux décisionnels sur l’ensemble de son territoire, et ce pour exprimer la diversité de l’UE." Pour elle, donc, nul besoin de revenir sur la dimension symbolique de Strasbourg, d’autant plus que "tourner le dos à notre histoire et à notre culture est prendre le risque de tourner le dos aux fondements de l’UE". Et elle a ajouté : "Mais il s’agit-là peut-être d’un dessein caché". Pour Constance Le Grip, l’idée d’un Parlement européen qui décide tout seul n’a "pas de fondements juridiques ni historiques".

L’eurodéputée socialiste et ancienne maire de Strasbourg, Catherine Trautmann, s’en est pris à 25 ans de campagne anti-Strasbourg et s’est demandée où était le bénéfice d’une telle campagne, sinon le gaspillage de temps et une condamnation par la CJUE. Le rapport Fox-Häfner dessert selon elle le Parlement et contiendrait par ailleurs des chiffres exagérés. Le qualificatif de "cirque itinérant" émis par une députée conservatrice britannique a particulièrement suscité la colère de Catherine Trautmann qui a demandé que le Parlement réfléchisse avant de qualifier Strasbourg de "symbole du gaspillage", dans la mesure où tout ce qui y a été construit pour le Parlement européen l’a été par décision aussi de ce même parlement, alors que la France a soutenu tous les compromis avec le Luxembourg et la Belgique. Que l’on accuse les députés français d’agir en fonctions de motifs purement nationaux et égoïstes, comme cela a été le cas par Ashley Fox, lui a donc semblé inacceptable, et cela d’autant plus que personne n’a pris en considération le coût du processus en cours en termes d’image pour Strasbourg et le Parlement.

Réactions des députés européens luxembourgeois

Alors que le gouvernement du Luxembourg avait soutenu la France dans ses démarches auprès du CJUE, aucun député luxembourgeois n’est intervenu au cours du débat, mais ils ont voté et réagi par des communiqués rapidement diffusés. 

Astrid Lulling s'oppose à un "rapport truffé d'imprécisions voire de contre-vérités"

La doyenne des députés européens, Astrid Lulling (PPE), a voté contre le rapport Fox-Häfner "malgré l'expression d'une forte majorité de ce parlement". Et d'ajouter, crâneuse: "Ce n'est pas parce que l'on est politiquement minoritaire que l'on a juridiquement tort. L'arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne avait pourtant remis les pendules à l'heure."

Elle pense que le débat sur le siège du Parlement européen est "peut-être légitime", mais "le rapport est truffé d'imprécisions, voire de contre-vérités visant de façon unilatérale et ciblée à remettre en cause le siège du Parlement européen de Strasbourg."

Atrid Lulling s'oppose à l'idée qu'il appartient au Parlement européen de décider de son siège, "cette compétence revenant tant au niveau européen qu'au niveau national au pouvoir constituant." Pour elle, "seul le Conseil européen statuant à l'unanimité est en droit de modifier l'équilibre existant en la matière."

Elle continue: "Par ailleurs, il est clair que les débats lancinants sur le siège du Parlement européen ne peuvent s'inscrire que dans le cadre plus large de l'ensemble des sièges des institutions de l'UE. En outrepassant les droits du Parlement européen, qui n'est que co-législateur avec le Conseil des ministres et en limitant le débat à un seul aspect d'une question éminemment complexe et délicate, le rapport Fox/Haefner ne crée pas les bases d'une discussion sereine et objective, bien au contraire.Voilà pourquoi il doit être rejeté".

Georges Bach comprend qu'il y ait une discussion sur le siège du Parlement européen mais rejette la méthodologie du débat

Le député européen Georges Bach (PPE) a exprimé dans un communiqué sa compréhension pour "les raisons qui poussent tant de citoyens européens à s’interroger sur le bon sens de la dispersion géographique du Parlement européen." Mais, observe-t-il, "une décision en faveur de Bruxelles et au détriment du site de Strasbourg comporte des risques politiques considérables pour le bon fonctionnement du Parlement européen. Si on parvenait à modifier les traités, je me demande comment la continuité du travail parlementaire pourrait être assurée au cas où le Parlement est en mesure de changer son siège en fonction des majorités politiques."

Georges Bach s’interroge ensuite sur les conséquences probables pour les sites situées à Luxembourg et à Strasbourg : "Je considère qu’il serait risqué d’ouvrir cette boîte de Pandore sans pouvoir prévoir les résultats. De plus, il convient de proposer des alternatives pour les pays affectés. Je ne peux pas accepter que l’on décide de retirer des institutions européennes d’un État membre sans lui offrir des contreparties. Finalement, il faut prendre en compte les conséquences humaines d’une telle décision en ce qui concerne les personnes travaillant sur les sites affectés par la décision. "

Concernant les chiffres affichés au sein du rapport, l’eurodéputé Bach exige des détails supplémentaires : "Je ne désire pas qu’on base une décision politique d’une telle ampleur sur des chiffres dont l’origine et la méthodologie peuvent soulever des doutes."

Georges Bach conclut que : "L’ensemble de ces facteurs d’incertitude m’a poussé à voter contre l’adoption du rapport."

Charles Goerens : "un monument d’incohérences"

Dans une courte déclaration, l’eurodéputé libéral Charles Goerens a fait part de son opposition au rapport Fox-Häfner : "En 2012, le Parlement européen a décidé de faire construire un immeuble pour ses besoins à Luxembourg-Kirchberg. Le prix de la nouvelle construction s'élève à 450 millions d’euros. En 2013, le même Parlement, en adoptant le rapport Ashley Fox-Gerald Häfner, se prononce en faveur d'un processus visant à mettre fin aux activités du Parlement à Strasbourg et à Luxembourg pour finir par concentrer toute son activité à Bruxelles. L'impact d'une telle décision? Faire une croix sur Strasbourg et Luxembourg en tant que lieux de travail, priver ces deux capitales de l'Europe des retombées économiques considérables, être limité à Bruxelles comme seul lieu de travail où, pour des raisons de sécurité, il n'est plus possible de tenir des sessions plénières dans l'hémicycle destiné à cette fin depuis plus d'un an. Rien que ces quelques aspects m'ont amené à voter contre ce rapport qui est un monument d'incohérences."

Robert Goebbels : une charge acerbe contre les élus britanniques et verts et des doutes ironiques quant au succès d’un amendement du traité européen

Robert Goebbels n’est pas plus amène à l’égard de certains de ses collègues. "J'ai voté contre le rapport Fox-Häfner sur le siège du Parlement européen, qui, selon le traité et la jurisprudence de la Cour de Justice, reste à Strasbourg. Il est symptomatique que ce sont essentiellement des députés britanniques, qui, tout en professant vouloir sortir de l'Union européenne, veulent changer le siège d'un Parlement dont ils ne reconnaissent pas l'utilité. Même les arguments "verts" en faveur d'un siège du  Parlement européen à Bruxelles sont ridicules. Les députés doivent toujours voyager, qu'ils aillent à Strasbourg ou à Bruxelles. Cela produira toujours des émissions de gaz à effet de serre. Que ces députés estimant produire trop de CO2 donnent le bon exemple en refusant à l'avenir de participer à ces centaines de délégations que le Parlement européen et les groupes politiques envoient chaque année à travers les cinq continents! Le transfert du siège du Parlement européen de Strasbourg à Bruxelles nécessiterait une conférence intergouvernementale avec l'accord unanime de 28 États, les ratifications de cet accord par 28 parlement nationaux et au moins un référendum en Irlande. Bonne chance! »

Le député vert Claude Turmes s’est, quant à lui, abstenu.

La procédure de révision ordinaire demandée, c’est quoi ?

La procédure de révision ordinaire basée sur l’art. 48 TUE concerne les modifications les plus importantes apportées aux traités, telles que l’accroissement ou la réduction des compétences de l’UE. Elle implique notamment la convocation d’une CIG qui adoptera les projets de révision par consensus. Les modifications apportées aux traités n’entreront en vigueur qu’après leur ratification par l’ensemble des États membres.

Le traité de Lisbonne consacre la pratique actuelle visant à réunir une Convention européenne avant la CIG. Cette Convention a pour mission d’examiner les projets de révision puis d’émettre une recommandation pour la CIG. Elle est composée de représentants des chefs d’État ou de gouvernement, de la Commission, mais également de représentants des parlements nationaux et du Parlement européen. Le traité de Lisbonne cherche ainsi à démocratiser le processus de révision des traités.

Autre innovation majeure, le Parlement européen acquiert le droit d’initiative. Il peut désormais proposer des projets de révision au même titre que les gouvernements des États membres et la Commission.

Le Conseil européen peut également décider, après approbation du Parlement européen, et à la majorité simple, de ne pas convoquer de Convention lorsque les modifications sont de moindre ampleur. Une telle majorité simple serait théoriquement possible sans les voix de la France et du Luxembourg, solidaires sur la question du siège. Dans un tel cas, le Conseil européen établit directement un mandat pour la CIG qui est alors censée arrêter d'un commun accord les modifications à apporter aux traités. Ces modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.