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Accord de libre-échange avec les USA – L’eurodéputé écologiste, Claude Turmes, craint la dilution des standards européens
13-12-2013


Claude TurmesLe 13 décembre 2013, à quelques jours de l’ouverture du troisième round de négociations entre les USA et l’UE au sujet d’un "Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement", l’eurodéputé écologiste luxembourgeois, Claude Turmes, a présenté une série de griefs à l’encontre de ce projet porté depuis 2011 par la Commission européenne, après qu’il ait été initialement suggéré par la chancelière allemande, en 2005, qui espérait créer le "plus grand marché intérieur" du monde.

Claude Turmes a d’abord ironisé sur la "machine de propagande de la Commission européenne" qui a promis "un chèque de 554 euros précisément" à chaque ménage, comme  lors de l’adoption du mandat de négociation en mars 2013. Car il en va d’un peu plus que d’une hypothétique hausse du pouvoir d’achat déduit des 119 milliards d’euros que promet une nouvelle vague de libéralisation du commerce entre les deux zones.

Le chiffre de 119 milliards d’euros est, selon Déi Gréng, lui aussi douteux "au vu des marchés saturés, de l’impact surestimé des douanes, des limites de l’harmonisation et de la suppression d’emplois qui n’est pas prise en compte", comme le souligne le dossier distribué à la presse.  

Claude Turmes a d’ailleurs également souligné le fait que l’avis des citoyens et des associations de protection de l’environnement et des consommateurs importait peu aux négociateurs. En réponse à une "requête d’accès à des documents", de l’ONG Corporate Europe Observatory, la Commission européenne a fait savoir que sur 130 réunions tenues entre janvier 2012 et avril 2013 au sujet du TTIP, 119, soit 93 %, se sont tenues avec des multinationales et/ou leurs lobbys, les onze autres avec des représentants de la société civile.

Il y a "un écart immense entre ce qui a été promis, à savoir un bénéfice énorme pour les citoyens européens, l'absence de prise en compte des normes de protection des consommateurs en Europe et un immense business", dénonce l’eurodéputé.

L’accord concerne trois volets majeurs pour la suppression d’obstacles aux échanges entre l’UE et les USA : la baisse des droits de douane, l’harmonisation de règles et standards et la protection des investisseurs. Et ces trois domaines soulèvent des craintes chez Claude Turmes.

Une baisse des droits de douane dangereuse pour l’agriculture européenne

Claude Turmes souligne au sujet des droits de douane qu’ils sont déjà bas. Avec 15 % de droits de douane, l’agriculture est le seul domaine qui dépasse 3 %. Or, l’abaissement du niveau des droits de douane pourrait avoir des conséquences sensibles dans le domaine de l’agriculture, si celui-ci constituait un des chapitres de l’accord. "Cela signifierait une parfaite concurrence entre agriculteurs européens et américains, en sachant pertinnement que les fermes américaines en moyenne ont une superficie dix fois plus grande que les exploitations européennes familiales", a souligné Claude Turmes en se demandant si les citoyens et agriculteurs européens veulent réellement d'une mise en concurrence "avec l’agriculture américaine intensive conduite sur des exploitations gigantesques". Les écologistes demandent en tout cas que ce chapitre ne figure pas dans l’accord négocié, lorsque le commissaire en charge du commerce, Karel de Gucht, communiquera sur le détail et le programme des négociations durant la deuxième quinzaine du mois de janvier 2014.

Harmonisation de règles et standards : le problème du principe de "reconnaissance mutuelle"

L’agriculture risque par ailleurs d’être directement touchée par le second pilier des négociations de l’accord de partenariat : à savoir l’harmonisation des règles et des normes.

Claude Turmes reconnaît qu’il y a des secteurs dans lesquels cela peut faire sens. Il évoque l’exemple, souvent cité par la Commission européenne dans ce contexte, en ce qui concerne les constructeurs européens d’automobiles qui doivent utiliser un mannequin différent pour faire des crash tests destinées à la vente sur le sol américain. "Il y a des centaines d’autres exemples de telles absurdités", dit-il.

Mais le point principal est ailleurs. Il est culturel. "La protection de l’environnement et des consommateurs en Europe a, culturellement, une tout autre approche", affirme Claude Turmes, en soulignant l’importance du principe de précaution intégré dans les traités européens mais inexistant dans la législation américaine.

La deuxième grande différence se situe dans la manière de règlementer et légiférer. Aux Etats- Unis, en ce qui concerne l’hygiène et l’alimentation, la Food and drug administration (FDA) forme "une quasi agence exécutive" et il y a très peu de lois sur l’hygiène et l’alimentation. Son pendant européen serait l’EFSA qui n’est qu’un organe consultatif car l’Europe mise bien plus sur les règlements et lois, aussi bien en termes d’alimentation que d’environnement.

Claude Turmes est aussi inquiet de la volonté de créer une commission réunissant l’administration américaine et la Commission européenne, dans laquelle toutes les nouvelles lois seraient discutées, mais où pourraient être validé le principe de la reconnaissance mutuelle, selon lequel un produit permis sur le marché américain doit automatiquement être autorisé sur le marché européen.

Déi Gréng craignent ainsi la dilution des normes et standards européens en matière de protection de la santé et des consommateurs, par ses impacts négatifs dans le domaine du clonage, du génie génétique et de la protection face aux produits chimiques par exemple. Claude Turmes cite d’abord la possible future introduction sur le marché européen de poulets baignés dans le chlore après leur abattage, une pratique répandue dans l’industrie agro-alimentaire américaine mais interdite en Europe. Claude Turmes souligne aussi la nécessité de conserver les exigences européennes en matière de traçabilité déjà mises à mal par la multiplication des intermédiaires, comme l’a démontré le scandale de la viande de cheval.

De même, il cite l’éventuelle introduction de produits contenant des OGM mais non labellisés comme tels ou encore de produits de cosmétique faisant appel aux nanotechnologies, eux aussi interdits en Europe.

Claude Turmes évoque également la remise en cause possible de REACH, "le plus grand acquis de la politique environnementale européennes des dix dernières années" qui interdit des molécules utilisés dans des produits vendus sur le marché américain.

Après la protection des droits des consommateurs et de l’environnement, une dernière protection d’importance est celle qui concerne les données après les scandales de la NSA. Il doit "jouer un rôle central dans l’accord", dit Claude Turmes, en espérant que le "courage" de la vice-présidente de la Commission européenne, Viviane Reding, dans sa proposition d’une nouvelle législation sur la protection des données, ne sera pas contrecarré dans les négociations sur le TTIP.

Globalement, les écologistes estiment que les normes les plus élevées parmi les deux partenaires devraient constituer un seuil dans le TTIP.

Le mécanisme de protection des investisseurs

"Le I dans TTIP est extrêmement important", a poursuivi enfin Claude Turmes, en abordant le troisième volet du TTIP. Les négociations prévoient l’introduction d’un mécanisme de règlement des différends entre l'investisseur et l'Etat, déjà en vigueur dans de nombreux accords de libre-échange. Selon ce principe, les investisseurs étrangers peuvent faire valoir des règles dans un autre pays ou demander une indemnisation pour les profits qu’une règlementation les empêche de réaliser. Les Verts européens ont déjà dénoncé ce mécanisme de protection des investisseurs dans le cadre de la conclusion de l’accord de libéralisation entre l’UE et le Canada.

Selon Claude Turmes, ce principe, créé il y a une trentaine d’années, pouvait être éventuellement valable dans des pays ne disposant quasiment pas de lois, mais n’est pas adapté entre des Etats démocratiques.

Au nom de ce mécanisme, une firme américaine, Lone Pine Resources, est en train de réclamer du gouvernement canadien une indemnisation de 250 millions d’euros, en compensation de son manque à gagner du fait que la province du Québec a adopté un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste.

Le cigarettier Philips Morris use du même procédé dans un accord entre Hong-Kong et l’Australie pour faire interdire les messages d’alerte sanitaire sur les paquets de cigarette australiens, ce qui laisse placer des menaces sur le devenir de l'application future de la directive européenne Tabac en cours de négociation.

Par ailleurs, les actions menées au nom de ce mécanisme font l’objet de procès secrets, par des juges du commerce qui ne sont pas engagés pour le bien général, dans lesquels ne sont pas permis les associations de citoyens, et sans appel opposable au jugement, dit l’eurodéputé.

C'est pourquoi la résolution adoptée par le Parlement européen en mai 2013 dit que les investisseurs étrangers ne doivent pas avoir plus de droits que les autochtones, mais surtout que le TTIP ne doit pas avoir de clause ISDS.

Claude Turmes rappelle que son parti n’est pas opposé à la conclusion d’un accord si peu qu’il facilite l’innovation et le renforcement des échanges, tout en permettant une harmonisation vers le haut des normes et des règles. C’est d’ailleurs aussi la volonté poursuivie par le nouveau gouvernement luxembourgeois dans son accord de coalition "d’œuvrer dans le cadre des négociations commerciales multilatérales pour l’inclusion de standards sociaux et environnementaux ambitieux et responsables".

Les écologistes demandent également que les gouvernements aient accès aux documents de négociation et ce en temps réel, durant les négociations. Plus largement, les Parlements nationaux, les citoyens et les ONG doivent avoir accès aux documents.