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Politique étrangère et de défense
Conseil Affaires étrangères extraordinaire sur l'Ukraine - Les ministres européens condamnent la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par les forces armées russes et menacent Moscou de sanctions économiques
03-03-2014


asselborn-cae-extraPour la seconde fois en moins de deux semaines, les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Huit se sont retrouvés à Bruxelles, le 3 mars 2014, pour se pencher sur les derniers développements en Ukraine lors d’un Conseil Affaires étrangères extraordinaire, convoqué en urgence suite à l’intervention de la Russie sur le territoire ukrainien.

Une "violation claire de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par les forces armées russes" que les ministres européens "condamnent dans les termes les plus forts" tout comme la "décision prise par le Conseil de la Fédération de Russie [le parlement russe] le 1er mars d’autoriser l’utilisation des forces armées russes sur le territoire de l’Ukraine", lit-on dans les conclusions du Conseil qui envisage diverses sanctions contre Moscou.

En fin de soirée, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy a décidé de convoquer pour le 6 mars 2014 un sommet extraordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne à Bruxelles sur la crise en Ukraine. Les dirigeants "discuteront des derniers développements en Ukraine et des moyens pour faire baisser la tension", a indiqué Herman Van Rompuy dans un bref communiqué publié après après la réunion exceptionnelle des ministres des Affaires étrangères.

Le contexte

Depuis la destitution du président Viktor Ianoukovitch le 22 février 2014, la situation s’est largement tendue entre les autorités de transition ukrainiennes et la Russie – qui ne reconnaît pas ces dernières. Dans la République autonome de Crimée – où est basée la flotte russe de la Mer noire en vertu d’un accord bilatéral qui expirera dans 30 ans –, des commandos armés pro-russes ont pris le contrôle de plusieurs lieux stratégiques et ont de fait pris le contrôle opérationnel de la région. Le 3 mars,  toutes les bases militaires ukrainiennes étaient par ailleurs encerclées par des soldats non-identifiés agissant pour le compte des autorités pro-russes, selon le ministère ukrainien de la Défense.

Les autorités ukrainiennes accusent par ailleurs Moscou d’avoir augmenté son contingent stationné en Mer noire, initialement composé de 10 000 hommes de près de 6 000 hommes supplémentaires et de continuer à faire arriver massivement des militaires sur le territoire ukrainien. Moscou a justifié que son intervention avait été demandée par le président déchu et que l'intervention russe en Crimée avait pour unique but de défendre les compatriotes et les citoyens russes en Ukraine.

Violation du droit international

Selon l’UE, ces actions représentent une violation des principes du droit international, et en particulier de la Charte des Nations Unies, "qui dispose que les Etats membres s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies", dit le communiqué du Ministère luxembourgeois des Affaires étrangères.

Elles représentent également des violations de l'Acte final d'Helsinki de l'OSCE, ainsi que des engagements spécifiques de la Russie de respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine dans le cadre du Mémorandum de Budapest de 1994 et du traité bilatéral d'amitié, de coopération et de partenariat de 1997, soulignent encore les conclusions du Conseil.

Le risque d’escalade et de conflit armé inquiète particulièrement les ministres européens, qui ont appelé la Russie "à cantonner immédiatement ses forces armées dans les zones de leur stationnement permanent, conformément à l'Accord de 1997 sur le statut et les conditions de stationnement de la Flotte de la Mer noire sur le territoire de l'Ukraine".

Le Conseil demande également à la Russie de répondre sans délai à la demande de l'Ukraine de tenir des consultations, tel que prévu dans le traité bilatéral d'amitié, de coopération et de partenariat de 1997, ainsi que de prendre part à des consultations urgentes entre tous les signataires et adhérents du Mémorandum de Budapest de 1994. Sans quoi l’UE menace la Russie de sanctions.

Désescalade sous peine de sanctions

Si les conclusions du Conseil du 3 mars soulignent la volonté de l’UE d’aboutir à une solution pacifique dans le plein respect des principes et obligations qui découlent du droit international et que l'UE reste prête à s'engager dans un dialogue constructif avec toutes les parties, "en l'absence de mesures de désescalade de la part de la Russie, l'UE décidera de mesures qui auront des conséquences sur ses relations bilatérales" avec Moscou, préviennent les ministres.

"Le Conseil rappelle les ambitions et l'ouverture de l'UE pour une relation avec la Russie fondée sur l'intérêt mutuel et le respect et regrette que ces objectifs communs aient été mis en doute", poursuivent les conclusions. Hormis la suspension par l'UE et ses Etats membres qui sont participants de G8 des travaux préparatoires du sommet du G8 à Sotchi en juin 2014 "jusqu'à ce que le climat redevienne propice à des discussions constructives au G8", la suspension des négociations bilatérales avec la Russie sur les questions de visa ainsi que sur le nouvel accord commercial en discussion sont mises sur la table par le Conseil.

Le Conseil a par ailleurs décidé "de rester saisi de façon permanente, afin d'être en mesure de prendre rapidement toutes les mesures nécessaires" et il pourra "envisager d'autres mesures ciblées", assurent encore les ministres des Affaires étrangères dans leurs conclusions.

Pour un dialogue politique inclusif

La réaction "mesurée" apportée jusqu’ici par l’Ukraine a de son côté été saluée par le Conseil, qui a noté soutenir "les efforts du nouveau gouvernement ukrainien pour  stabiliser la situation et poursuivre le cap des réformes", réaffirmant "la nécessité d'une nouvelle réforme constitutionnelle de l’organisation d’élections présidentielles libres, justes et transparentes sous observation de l'OSCE".

"Nous saluons la retenue dont ont fait preuve les autorités ukrainiennes face à la crise, en particulier en Crimée", détaille le communiqué du Ministère luxembourgeois des Affaires étrangères, qui souligne que "pour le Luxembourg, une solution politique durable à la crise ukrainienne requiert un dialogue politique inclusif tenant compte de la diversité de la société ukrainienne, des aspirations de tous les Ukrainiens et de la nécessité de respecter les droits de tous les Ukrainiens".

Les conclusions du Conseil appuient d’ailleurs sur l'importance primordiale de veiller à l'inclusion de tous les groupes de population à tous les niveaux de gouvernement par les autorités ukrainiennes ainsi qu’à assurer la pleine protection des minorités nationales en conformité avec les engagements internationaux de l'Ukraine.

Assistance financière et partenariat

Le Conseil réitère enfin sa volonté de poursuivre les efforts avec la communauté et les institutions internationales, en particulier le FMI, en vue d’apporter une assistance financière à l’Ukraine. Par ailleurs l’UE rappelle que l’accord d’association avec l’Ukraine, qui n’avait pas été signé fin 2013, est toujours sur la table.

Les commentaires du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn

Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a fait part de son inquiétude sur la situation ukrainienne au micro de la radio Deutschlandfunk, le 4 mars. "Le danger est que la situation s’envenime", a-t-il ainsi assuré. Si la Russie devait maintenir ses positions "jusqu’au bout cela entraînera des relations très difficiles avec l’UE, les Etats-Unis et les autres acteurs internationaux pour la prochaine décennie, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de la Russie".

Le ministre luxembourgeois s’est en outre dit "très déçu" de l’attitude de la Russie, revenant sur la conférence de presse commune tenue avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, à l’issue d’une rencontre bilatérale le 25 février. Lors de celle-ci, Sergeï Lavrov avait affirmé que l’intégrité territoriale de l’Ukraine devait être défendue.

"La ligne agressive [adoptée par Moscou] depuis la fin de la semaine dernière n'était pas affichée", assure-t-il, notant que du côté russe, "on construit un imaginaire collectif selon lequel toutes les personnes russophones en Ukraine serait désormais en danger de mort. Ces arguments ont ensuite été utilisés pour justifier une intervention militaire. C'est vraiment  décevant", estime Jean Asselborn.

Lors de l’entretien radiophonique, le ministre luxembourgeois a précisé que les débats au Conseil avaient largement porté sur la définition du caractère d’ "invasion" qui pourrait être appliqué aux actions russes, sans finalement le retenir, lui préférant le terme de "violation de la souveraineté du territoire".

"De nombreux Etats géographiquement proches de la Russie ont défendu l'expression [d’invasion] comme le plus important, tandis que d'autres ont manifesté la peur que la véritable invasion soit encore à venir", a estimé Jean Asselborn.

L’UE est-elle cependant bien placée pour appeler un Etat à ne pas s’ingérer dans les affaires d’un autre, alors qu’elle-même fait l’objet de critiques pour son rôle en Ukraine, zone traditionnellement proche de l’influence russe, notamment via l’accord d’association proposé, a voulu savoir le journaliste du Deutschlandfunk. Selon Jean Asselborn, il n’y a pas eu d’ingérence de l’UE dans ce cadre, l’accord proposé relevant de la volonté des Ukrainiens et n’ayant d’ailleurs aucunement été dirigé contre la Russie. En revanche, les "méthodes utilisées par les Russes le sont précisément pour occuper la Crimée, une partie de l’Ukraine, ce qui est inacceptable".

L’option militaire face à la Russie est néanmoins totalement exclue selon le ministre luxembourgeois. "L'UE dispose de toutes les options pour montrer à la Russie qu’elle est sur la mauvaise voie. Des mesures de nature politique et de nature diplomatique qui pourront aussi avoir des conséquences d'ordre économique ou financier. Mais il n’y a même pas eu un début de débat pour dire qu’il fallait contrer une manœuvre militaire par la voie des armes", a-t-il conclu.