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Politique étrangère et de défense
L’UE gèle les avoirs et interdits de visas 21 personnes accusées de menacer l’intégrité territoriale de l’Ukraine lors d’un Conseil Affaires étrangères dominé par les conséquences du référendum sécessionniste en Crimée
17-03-2014


asselborn-cae-marsAprès la suspension de discussions politiques bilatérales sur les visas et les investissements avec la Fédération de Russie décidée lors du sommet des chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE du 6 mars 2014, l’UE a mis ses menaces à exécution en décidant, lors du Conseil Affaires étrangères du 17 mars, de geler les avoirs dans l’UE et d’interdire de visas 21 personnes jugées "responsables d'actions qui compromettent ou menacent l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine, ainsi que des personnes et entités qui leur sont associées".

Le contexte

La veille du Conseil, le rattachement de la péninsule ukrainienne de Crimée à la Russie avait été approuvé par 96,6 % des votants au référendum organisé sur son territoire, selon les résultats définitifs communiqués le 17 mars 2014 par le "Premier ministre" pro-russe de Crimée, Sergueï Axionov, sur son compte Twitter. Quelques heures après cette annonce, le parlement de la Crimée a proclamé l'indépendance de la péninsule de l'Ukraine et demandé son rattachement à la Russie. Les 85 députés ont approuvé à l'unanimité ces décisions et décrété aussi la nationalisation de tous les biens de l'Etat ukrainien sur son territoire.

Du côté de Moscou, Vladimir Poutine, s'est dit formellement prêt à ratifier un accord prévoyant l'intégration à la Russie de la Crimée dans un document publié le 18 mars sur le site du Kremlin et rapporté par l’AFP. Dans ce document, le président russe demande aux pouvoirs publics russes (gouvernement et Parlement) d'approuver un tel accord et juge "opportun" de le ratifier. Il avait signé la veille un décret reconnaissant l'indépendance de la république autonome majoritairement russophone du sud de l'Ukraine, ouvrant la voie à son rattachement à la Fédération de Russie.

Le "référendum illégal" en Crimée "condamné" et ses résultats "non reconnus"

Les ministres des Vingt-Huit réunis à Bruxelles le 17 mars 2014 ont réitérés leur condamnation des menaces contre l’intégrité territoriale ukrainienne et en particulier des actions menées par la Russie pour déstabiliser son voisin.

Dans ses conclusions, le Conseil condamne ainsi "fermement la tenue d'un référendum illégal en Crimée sur l'adhésion à la Fédération de Russie le 16 mars, en violation flagrante de la Constitution ukrainienne".

L'UE "ne reconnaît pas le ‘référendum’ illégal et ses résultats" précisent les ministres qui "prennent note" du projet d'avis de la Commission de Venise du Conseil de l'Europe sur ce "référendum". Selon ce texte, ce scrutin "a eu lieu en présence visible de soldats armés et dans des conditions d'intimidation de militants des droits civiques et de journalistes, de blocage des chaînes de télévision ukrainiennes et d’entraves à la circulation civile dans et hors de la Crimée".

"En outre, il y a eu des signes clairs d’une accumulation de troupes militaires russes en Crimée", poursuivent les ministres qui soulignent par ailleurs le refus d'accès à la péninsule de représentants de missions de l'ONU et de l'OSCE invités par le gouvernement de l'Ukraine. De nouveaux "développements négatifs en violation flagrante de la souveraineté de l'Ukraine et de l'intégrité territoriale", déplore le Conseil.

Des mesures restrictives ciblées

Regrettant que la déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement du 6 mars qui énonçait que des négociations entre l'Ukraine et la Russie devaient commencer rapidement et produire des résultats dans un délai limité, sous menace de mesures restrictives supplémentaires, n’ait pas été suivie d’effets, le Conseil a annoncé leur mise à exécution.

Ainsi des restrictions de voyage et un gel de leurs avoirs déposés dans l’UE ont été décrétés contre 21 personnes jugées "responsables pour les actions qui portent atteinte ou menacent l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l’Ukraine, y compris les actions sur le statut futur de toute partie du territoire qui sont contraires à la Constitution ukrainienne, et les personnes et entités qui leur sont associées".

Les sanctions, publiées le 17 mars dans la soirée au Journal officiel de l’UE, seront en vigueur pour une période de 6 mois renouvelable. Elles visent précisément 13 Russes et 8 Criméens, la principale personnalité de la péninsule séparatiste visée étant Sergueï Axionov, élu "Premier ministre de Crimée" le 27 février 2014, en raison notamment de sa "campagne active [menée] en faveur de l'organisation du ‘référendum’ du 16 mars", détaille le Journal Officiel.

Le président du Conseil suprême de Crimée, Vladimir Konstantinov, est également sanctionné pour avoir "appelé les électeurs à voter en faveur de l'indépendance de la Crimée", six autres responsables de Crimée étant encore concernés, dont le maire de Sébastopol et l'amiral Denis Berezovski, commandant en chef de la marine ukrainienne, qui avait fait défection et annoncé le 2 mars qu'il prêtait allégeance aux autorités pro-russes de Crimée.

Parmi les 13 Russes sanctionnés figurent trois responsables militaires actifs en Crimée, dont le commandant de la Flotte russe de la mer Noire, Alexandre Vitko, le commandant du district militaire ouest de la Russie, Anatoliy Sidorov et le chef du Commandement stratégique opérationnel sud de la Russie, le commandant Aleksandr Galkin. Dix députés, dont les vice-présidents du Conseil de la Fédération, Evgeni Bushmin, et de la Douma, Sergei Zheleznyak, sont aussi concernés.

L'UE prête à "soutenir" le dialogue "entre toutes les parties"

La plupart d'entre eux sont sanctionnés pour "avoir publiquement apporté leur soutien au déploiement de troupes russes en Ukraine", selon le Journal Officiel. Aucun de ces responsables politiques n'appartient cependant au gouvernement ou au cercle proche du président Vladimir Poutine – contrairement aux sanctions décrétées par les Etats-Unis d’Amériques –, l'UE voulant ainsi "faire preuve à la fois de fermeté par rapport à une décision russe qui est inacceptable et, en même temps, ouvrir les voies du dialogue pour empêcher l'escalade", a expliqué le ministre français Laurent Fabius en marge de la réunion.

Les conclusions du Conseil soulignent que l’UE "reste prête à soutenir la facilitation du dialogue entre l'Ukraine et la Russie", invitant "instamment" la partie russe "à prendre des mesures pour désamorcer la crise". L’UE exige ainsi toujours le cantonnement immédiat des forces russes dans leur zone de stationnement permanent et l’entame de discussions directes de la part de Moscou avec le gouvernement ukrainien afin de "trouver une solution pacifique et négociée, dans le plein respect de ses engagements bilatéraux et multilatéraux afin de respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine".

Malgré les derniers développements sur le terrain, les ministres estiment qu’il est "encore temps d'inverser la tendance actuelle" et qu’il subsiste des possibilités "d'éviter une spirale négative", appelant à "un dialogue constructif avec toutes les parties", lit-on dans leurs conclusions.

Et de rappeler que l'UE "demeure attachée à l'objectif de développement de la relation UE - Russie, fondé sur l'intérêt mutuel et le respect du droit international" mais que le Conseil "regrette que les actions de la Russie soient en contradiction avec ces objectifs".

Appel à la Russie "à ne pas annexer la Crimée" sous peine de nouvelles sanctions

"Le Conseil invite instamment la Fédération de Russie à ne pas prendre des mesures d'annexion de la Crimée, en violation du droit international. Toute autre mesure qui serait prise par la Fédération de Russie pour déstabiliser la situation en Ukraine aurait des conséquences supplémentaires de grande envergure pour les relations économiques dans un large éventail de domaines entre l'UE et ses Etats membres, d'une part, et la Fédération de Russie, d'autre part", lit-on dans les conclusions du Conseil. Un troisième niveau de sanctions qui pourrait être décidé dès le sommet des 20 et 21 mars en vertu des prochaines évolutions de la situation.

Les ministres ont aussi appelé à une présence d’observateurs internationaux, notamment d’une mission de l'OSCE. Estimant qu'il existe un "besoin urgent d'une présence internationale sur le terrain à travers l'Ukraine, y compris en Crimée", le Conseil "soutient" le déploiement rapide d'une mission spéciale de surveillance de l'OSCE en Ukraine. Selon le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, la Russie aurait donné son accord pour que 700 à 1 000 observateurs non armés soient envoyés dans toutes les régions d'Ukraine.

Par ailleurs, les ministres ont annoncé la signature, le 21 mars 2014, en marge du Conseil européen, des chapitres politiques de l'accord d'association avec l'Ukraine. Ainsi le Conseil "attend avec intérêt la signature des dispositions politiques de l'accord d'association le 21 mars à Bruxelles et confirme son engagement à procéder à la signature et à la conclusion des autres parties de l'accord".

Les ministres ont par ailleurs une nouvelle fois appelé le gouvernement ukrainien à lancer "d'urgence" un ensemble ambitieux de réformes structurelles et à mettre en œuvre un processus inclusif, à poursuivre ses efforts pour assurer des élections libres et équitables et à faire avancer la réforme constitutionnelle. Ces réformes devront assurer la pleine protection des droits des minorités, préviennent les ministres qui appellent aussi à ce que "toutes les violations des droits de l'homme et les actes de violence" fassent "l'objet d'enquêtes" et que des mesures "pour lutter contre l'impunité" soient renforcées.

Les commentaires du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn

Le ministre luxembourgeois a condamné "dans les termes les plus forts la violation claire de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par les forces armées russes en Crimée en dénonçant  l’illégalité du référendum du 16 mars en Crimée", lit-on dans un communiqué diffusé par le Ministère. Déplorant "l’état de fait dans lequel la Fédération russe tente de plonger la communauté internationale", le ministre a souligné les effets négatifs que cette décision ne manquera pas d’avoir sur la Russie.

"On a peur de la Russie maintenant et, lorsqu'on a peur, les investissements reculent et l'économie en souffre", a-t-il estimé en marge du Conseil, citant la "dévaluation du rouble", "un isolement au Conseil de sécurité" de l'ONU et "même des critiques de ses partenaires comme le Kazakhstan ou l'Arménie".

Jean Asselborn a en parallèle insisté sur l'importance de la tenue d'élections, non seulement présidentielles mais aussi parlementaires en Ukraine, et a appelé à la restauration du monopole étatique de la sécurité aux forces de polices, en se distanciant des groupes d’auto-défense. Soulignant qu’il fallait faire preuve de beaucoup de fermeté et en même temps trouver les voies du dialogue et ne pas aller vers l'escalade, le ministre a appelé à la poursuite des efforts diplomatiques intenses en vue de la constitution d’un mécanisme multilatéral, d’un groupe de contact rassemblant les principales parties concernées, y compris la Russie.

A l’issue du Conseil, le ministre luxembourgeois a commenté la situation de manière relativement pessimiste, jugeant que ce qui s'est passé était "très grave". Selon lui, "sans intervention militaire, et personne n'en veut, il est difficile de dire que le statut de la Crimée reste le même qu'il y a deux jours (avant le référendum). Avec toutes les sanctions économiques et diplomatiques, on ne va pas changer ce statut-là, on ne va pas rétablir le statu quo", a-t-il concédé, selon des propos rapportés par l'Agence Europe, sans pour autant admettre que la Crimée était "perdue" au bénéfice de la Russie.