Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
L’économiste Heiner Flassbeck prône devant la Chambre des salariés une hausse des salaires en Allemagne et dans l’UE pour relancer l’économie et parer à la déflation qui guette
07-05-2014


heiner-flassbeck-140507L’économiste allemand Heiner Flassbeck a été le 7 mai 2014 l’hôte de la Chambre des salariés pour parler de "l’interminable crise de l’euro". Keynésien, défenseur d’une économie basée sur la demande et non sur l’offre, Heiner Flassbeck s’est inscrit en faux contre la doctrine qui détermine la politique économique actuelle de l’UE et qui estime que le chômage élevé est dû à des salaires trop élevés.

Pour Heiner Flassbeck, qui a dit défendre les mêmes thèses qu’il a déjà défendues lors des autres conférences qu’il a données au Luxembourg en février 2012 et en juin 2013, rien n’est moins sûr que la crise soit terminée. La production industrielle se situe à un niveau inférieur de 10 % à celui de 2008, La France et l’Italie ont de sérieux problèmes, et seule l’Allemagne "va un peu mieux". Et même avec des taux d’intérêt quasi nuls, la relance tarde à venir en Europe comme au niveau mondial.

S’il en est ainsi, c’est que les responsables économiques n’abordent pas le "tabou numéro un" des doctrines économiques dominantes : le marché du travail. Et s’ils l’abordent, les raille Heiner Flassbeck, ils confondent son fonctionnement avec celui d’un "marché de la patate" où l’on vend d’autant plus de pommes de terre qu’elles sont moins chères.

Le revirement néolibéral de l’économie est marqué dès les années 70 par l’idée que s’il y a un chômage élevé, c’est que les salaires sont trop élevés, et qu’en abaissant les salaires, on diminuera le chômage. C’est cette approche qui a conduit selon l’économiste à une redistribution des richesses aux dépens du travail et au bénéfice du capital. Pire, les salaires ont baissé, mais le chômage est avec plus de 10 % très élevé en Europe. Bref, le marché du travail ne fonctionne visiblement pas comme un "marché de la patate", mais c’est pourtant à cette idée que tiennent toujours les responsables.

Le chômage et la crise financière, qui est celle d’un certain type de capitalisme et qui a été "travestie" en crise des dettes souveraines après le sauvetage des banques qui avaient spéculé, sont allés de pair. Mais ce qui advient maintenant est que la pression sur les salaires amplifie la crise en jugulant la demande, de sorte que l’économie risque d’entrer dans un cercle vicieux déflationniste. La déflation a touché les USA et le Japon, et ce sont clairement les salaires en baisse qui en sont la cause, estime Heiner Flassbeck. Or, la BCE, gardienne de l’union monétaire, continue de prôner un alignement des Etats membres de la zone euro sur la modération salariale et budgétaire.

Au point qu’Heiner Flassbeck en vient à se demander si l’euro a été une bonne idée ou si les pays qui composent l’union monétaire ne sont pas trop différents. De son point de vue, l’euro est "une bonne idée, mais elle a été mal gérée", car "les dogmes ont été plus forts que les réalités". Une union monétaire ne suppose pas que tous les pays s’alignent sur une même politique budgétaire, sur un même type de dette publique alignée, sur un même modèle social avec des jours de congé et des départs à la retraite identiques. La seule chose qui doit être identique, c’est un objectif d’inflation commun.

Mais sur un véritable objectif d’inflation commun, il n’y a pas d’entente dans l’union monétaire, estime Heiner Flassbeck. Il y a certes un objectif en termes d’inflation qui se situe autour de 2 %, mais il doit être aussi tenu compte du coût unitaire salarial, le CUS. Or l’Allemagne a baissé son CUS, notamment en abaissant les salaires, de sorte que son indice est de 110 alors que celui du reste de l’UE est à 128 en moyenne. En fait, l’Allemagne a dévalué au sein de la zone euro, ce qui est en contradiction avec l’idée même d’une union monétaire. "Et cela, ni la procédure de déséquilibre macroéconomique, ni le six-pack et autres two-pack n’arriveront à le corriger", juge l’économiste, pour qui "la France a toujours agi correctement en mettant en relation le CUS et son objectif d’inflation pour déterminer les salaires». Mais de l’autre côté, la pression de l’Allemagne sur les pays du Sud de l’UE pour qu’ils abaissent les salaires a été très forte. Un pays comme la Grèce a par la suite été plongé dans ce que Heiner Flassbeck appelle une "dépression" comme celle que les USA ont vécue au cours des années 30.

Pour Heiner Flassbeck, la chose est entendue : la demande diminue proportionnellement à la réduction des salaires. Bref, "celui qui baisse les salaires n’est pas solidaire, et celui qui augmente les salaires est solidaire". D’où sa critique à l’encontre des syndicats allemands qui acceptent au bout de négociations collectives des accords qui assurent la préservation d’emplois en échange d’une baisse, d’une stagnation ou d’une hausse très modérée des salaires.

"L’Allemagne n’a du succès avec son modèle que parce qu’elle est la seule à procéder ainsi", a souligné le conférencier. Que la France de François Hollande veuille imiter l’Allemagne est "une erreur gigantesque". Mais il y a péril en la demeure. Jusque-là, ni la France ni l’Italie n’ont, en matière de salaires, suivi l’exemple de l’Allemagne. C’est pourquoi la déflation ne s’est pas encore étendue à travers l’UE. Mais si les deux grandes économies que sont la France et l’Italie devaient opter pour la voie allemande de la baisse des salaires, une "grande déflation" risque de s’étendre dans toute l’UE. Et à force de détruire la demande intérieure, il y a un autre risque : que l’on détruise la démocratie, met en garde Heiner Flassbeck, car les électeurs chercheront alors des solutions nationales voire nationalistes.

La France a basé la détermination de ses salaires nominaux sur les gains de productivité et en tenant compte d’un taux d’inflation de 2 %. Pour Heiner Flassbeck, elle a ainsi agi correctement. Pour la Commission européenne et l’Allemagne par contre, elle a mal agi. Si dans ce contexte, on juge que l’euro est surévalué, il s’agit avant tout d’une surévaluation de la France et de l’Italie vis-à-vis d’une Allemagne qui a dévalué de fait. Mais le problème essentiel maintenant est que l’Allemagne s’adapte, et pas le contraire. Si l’Allemagne n’augmente pas les salaires et n’arrive pas à induire une inflation autour de 2 % chez elle, il y aura une déflation en Europe, tranche l’économiste, pour qui la déflation n’est pas un phénomène monétaire, mais un phénomène lié à l’évolution des salaires. Il en déduit qu’il faudrait, au-delà de l’Union économique et monétaire, une Union salariale adaptée aux situations de ses Etats membres. Mais pour y arriver, il faudrait que la mentalité des ministres des Finances au Conseil ECOFIN change, a-t-il conclu