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Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration
Conseil JAI – Les ministres ont débattu d’une meilleure gestion des flux migratoires et du problème des djihadistes européens
09-10-2014


Le ministre de l'Intérieur, Angelino Alfango, lors du Conseil JAI (Source: Commission)La politique européenne en matière d’asile et de migration ainsi que le problème du retour de djihadistes européens étaient au menu du Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) du 9 octobre 2014 à Luxembourg. Les ministres de l’Intérieur se sont engagés à prendre des mesures pour une meilleure gestion des flux migratoires afin de "répondre à la pression migratoire d’une manière structurée et au-delà des mesures d’urgence immédiate", selon les conclusions. Ils ont adopté un document élaboré par la présidence italienne qui stipule :

  • la prise des empreintes digitales de chaque réfugié lors de son enregistrement par l’Etat membre ;

  • une gestion renforcée des frontières extérieures et de l’Agence des frontières Frontex ;

  • une coopération renforcée avec les Etats tiers.

"Nous demandons que chaque réfugié qui arrive en Europe soit fiché et que l'on prenne ses empreintes digitales, conformément aux règles en vigueur", a insisté le ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière qui voudrait introduire un système de quotas européen pour l’accueil des réfugiés basé sur le nombre d’habitants de chaque Etat membre, sans pour autant modifier le règlement de Dublin II qui prévoit que la demande d’un demandeur d’asile doit être traitée dans le premier pays par lequel il est entré sur le territoire de l’UE. Dans une lettre commune adressée en septembre 2014 à la Commission européenne, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Espagne et la Pologne avaient demandé une répartition plus équitable des réfugiés dans l’UE. La ministre autrichienne, Johanna Mikl-Leitner, a également insisté sur un système de quotas.

Près de 100 000 demandeurs d’asile sont arrivés en Allemagne depuis le début de l’année, soit 60 % de plus que pour toute l’année 2013. Certains Etats membres ont dénoncé le fait que des pays du sud comme l’Italie n’enregistrent pas les réfugiés qui posent ensuite une demande d’asile dans des pays plus au nord, un fait "inacceptable" pour la ministre danoise Karen Haekkerup. Le gouvernement italien s'est engagé en ce sens. "Nous avons demandé la solidarité de nos partenaires et nous allons collaborer pour l'enregistrement des migrants", a assuré le ministre de l’Intérieur Angelino Alfano. "Mais les migrants refusent souvent d'être enregistrés", a-t-il soutenu.

La commissaire européenne sortante en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, lors du Conseil JAI (Source: Commission)Cecilia Malmström, la commissaire européenne sortante aux Affaires intérieures, a réitéré ses appels à plus de solidarité, notant que cinq pays (Suède, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, France) accueillent 75 % des demandeurs d’asile. "Il y a trop de pays qui n’accueillent pratiquement pas de demandeurs d’asile", a-t-elle critiqué lors d’une conférence de presse, soulignant qu’il faudrait trouver un mécanisme de répartition auquel participent "tous les Etats membres".

Jean Asselborn, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, qui participait en tant que responsable pour la politique des réfugiés au Conseil, a appelé à dessiner une politique européenne commune quant à la gestion des flux migratoires, tout en admettant des "réticences" de la part de certains Etats membres. "Il faut trouver une ligne commune. C’est une question d’humanité. Il faut qu’on établisse des règles communes qui s’appliquent à tous les Etats membres car il n’est pas admissible que chaque pays agisse à sa manière", a-t-il dit, ajoutant que la pression migratoire en Europe a augmenté de 473 % comparé à 2013.

Selon lui, il faut mutualiser les contrôles des frontières extérieures. "Frontex, qui a en ce moment seulement un rôle de coordination, devrait être capable de faire des contrôles de frontières extérieures selon des règles communes", a-t-il estimé.  Le ministre a déploré la "mauvaise image" de l’Agence chez les ONG et les médias, en soulignant que l’Agence n’est pas responsable du "refoulement" de réfugiés. Il s’est également exprimé pour une "répartition équitable de la charge" des demandeurs d’asile ainsi que pour un visa humanitaire afin d’éviter que les réfugiés tombent dans les mains de trafiquants d’êtres humains, en plaidant en faveur de la migration légale.

Le ministre a par ailleurs annoncé que le Luxembourg va prochainement accueillir une trentaine de réfugiés syriens, en provenance de la Turquie, qui s’ajoutent aux 28 personnes déjà au pays. De plus, le Luxembourg s’engage à accueillir 20 réfugiés syriens par an, de préférence dans le cadre du regroupement familial.

L’Italie annonce mettre fin à l’opération de sauvetage Mare Nostrum

L’Italie a annoncé lors du Conseil la fin de Mare Nostrum.  "L'Italie mettra fin à Mare Nostrum, mais remplira ses obligations pour les secours en mer et la surveillance de la frontière extérieure de l'UE en Méditerranée", a assuré Angelino Alfano. "Mais ces opérations ne se feront plus dans les eaux internationales", a-t-il précisé. Cette annonce s’inscrit dans le contexte du lancement de l’opération Triton, prévu le 1er novembre 2014. L’opération avait été annoncée fin août pour aider l’Italie à faire face aux afflux croissants de migrants. Tout de même, elle n’est pas censée de remplacer l’opération italienne Mare Nostrum, lancée après le naufrage de Lampedusa en octobre 2013. Si elle a permis de sauver des milliers de personnes, même près des côtes libyennes, l’opération Mare Nostrum a été critiquée pour avoir un effet incitatif sur les passeurs. "Mare Nostrum était prévue comme une mission de sauvetage, mais s'est avérée être un pont vers l'Europe", a dénoncé le ministre allemand Thomas de Maizière lors du Conseil.

Le Parlement européen appelé à adopter une position sur les données des passagers aériens (PNR)

Dans le cadre de la lutte contre le départ ou le retour de djihadistes européens, les ministres se sont exprimés en faveur d’une amélioration du contrôle des frontières extérieures "dans le cadre de la législation existante". Vu que les règles de Schengen interdisent les contrôles systématiques, le Conseil veut développer des "indicateurs de risque homogènes" pour pouvoir contrôler des voyageurs en provenance d’une région critique. "Le Conseil demande aux Etats membres de vérifier la validité de cartes d’identités ou de passeports dans les bases de données relative aux du système d’information Schengen (SIS) et d’Interpol", a indiqué le ministre Angelino Alfano.

Il a souligné la volonté du Conseil d’"accélérer" les travaux avec le Parlement européen sur le projet de PNR européen, la base pour les données des passagers aériens, qui est bloqué depuis deux ans, en appelant le Parlement européen à "adopter sa position" pour pouvoir négocier avec le Conseil. Pour rappel, la Commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures au Parlement européen avait rejeté en avril 2013 la proposition de directive sur le PNR, en estimant qu’une collecte systématique des données des passagers portait atteinte aux principes européens de protection des données à caractère personnel.

Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, avec le ministre allemand de l'Intérieur, Thomas de Maizière lors du Conseil JAI du 9 octobre 2014Le ministre luxembourgeois Jean Asselborn a proposé de traiter l’espace Schengen comme un "espace européen" et de l’administrer en commun, tout en refusant de "mettre en danger" Schengen et la libre circulation, un des "plus importants acquis de l’UE". Il s’est exprimé en faveur d’un contrôle des frontières extérieures de l’UE qui ne mettrait pas en cause, selon lui, l’esprit Schengen. Le ministre juge que le blocage du PNR par le Parlement européen est "juste" dans la mesure où il faut "veiller au respect de la Charte des droits fondamentaux". Il plaide pour un système "préventif" donnant accès à des données de passagers "s’il y a besoin", sans pour autant collecter systématiquement les données de tous les passagers. Il a ajouté que la crainte que des djihadistes s’infiltrent parmi les réfugiés ne doit pas compromettre la volonté des Etats membres d’accueillir des réfugiés. "Si on agissait ainsi, on donnerait raison aux djihadistes", conclut-il.

Le coordinateur de l'UE pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, a insisté sur l'urgence à agir. "Nous avons connaissance de beaucoup de retours de Syrie et d'Irak prochainement, et il faut être prêts à les détecter", a-t-il dit. L'ampleur du risque impose "d'ajuster le curseur entre libertés et sécurité", a souligné un responsable européen, ajoutant que le PNR est "le seul mécanisme qui permet de détecter des voyageurs susceptibles de partir en Irak ou en Syrie". Il a souligné l’importance d’optimisation de l’utilisation des outils européens existants, tels que le Système Information Schengen (SIS).

La France et l'Allemagne veulent une adaptation des règles de l'espace Schengen

Le problème est que le code des frontières de Schengen interdit les contrôles systématiques. Selon Gilles de Kerchove, "la définition d'indicateurs communs comme le mode opératoire, les routes empruntées et le profil des djihadistes peuvent permettre de mener des contrôles sur certains vols sans qu'il s'agisse de contrôles systématiques".

La France et l'Allemagne ont pour leur part plaidé pour une adaptation des règles de l'espace Schengen. Le code des frontières de "Schengen, s'il est capable de s'adapter, est la solution aux problèmes auxquels nous sommes confrontés à travers l'augmentation du nombre de combattants étrangers, et non le problème", a soutenu le ministre français Bernard Cazeneuve, qui s’est également exprimé en faveur du PNR, permettant "d'avoir des contrôles plus efficaces des passagers dans les aéroports". Son homologue allemand, Thomas de Maiziere, lui a fait écho. "3 000 combattants ont quitté l'Europe pour le Jihad et nous ne voulons pas que l'Europe devienne un exportateur du terrorisme", a-t-il dit.

"Nous devons faire en sorte que dans le Système d'Information de Schengen (SIS), chaque policier aux frontières extérieures de l'UE puisse savoir si la personne qui part va rejoindre les djihadistes. Pour cela, nous avons besoin d'apporter des changements" au SIS, a poursuivi le ministre allemand. "La France demande que le signalement ‘combattant étranger’ soit introduit dans le SIS afin de faciliter la coopération entre les services de police", a pour sa part expliqué Bernard Cazeneuve. Le SIS a déjà plusieurs signalements: "délinquant, criminel, recherché".

Un dîner informel avec les géants de l’informatique

Lors d’un dîner informel, les ministres ont rencontré les dirigeants de grandes entreprises comme Microsoft, Facebook, Twitter et Google. "Il n'est pas question de bloquer l'internet. Ce n'était pas le propos de la rencontre", a assuré jeudi matin Cecilia Malmström, ajoutant qu’il s’agissait d'un "dîner informel pour discuter des moyens de coopérer" puisque internet permettrait de localiser les djihadistes. Les organisations djihadistes utilisent les réseaux sociaux et les plateformes de l'internet pour diffuser photographies et films de leurs actions et pour recruter. "Ce sont de puissants véhicules de radicalisation", a déploré le ministre italien, Angelino Alfano.

Jean Asselborn rencontre un groupe d’ONG

Le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn lors d'une rencontre avec des ONGs en marge du Conseil JAI (Source: Commission)A midi, Jean Asselborn avait rencontré des représentants de neuf organisations, dont Amnesty, le CLAE et Caritas, qui s’étaient réunis à l’appel de l’Asti devant le bâtiment du Conseil à Luxembourg. Ils dénonçaient une politique européenne de migration qui donne la priorité "à la protection de nos frontières de la forteresse Europe plutôt qu'à la protection des femmes, hommes et enfants migrants", selon le communiqué commun. "L'UE doit utiliser les moyens concrets dont elle dispose pour mettre fin à ces situations inhumaines dont elle est complice", affirme l’Asti en référence aux "drames répétitifs et effroyables" de naufrages en Méditerranée. Elle appelle à œuvrer pour une politique cohérente et concertée, un partage des responsabilités dans l'accueil des réfugiés entre tous les Etats membres de l’UE selon des critères clairs et équitables bien définis, une politique de développement plus généreuse et l’affirmation des valeurs humanistes de l’UE.