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Parlement européen - Fiscalité
Motion de censure au Parlement européen contre la Commission Juncker – Echange de propos virulents, mais pas de majorité en vue
24-11-2014


Marco ZanniLe 24 novembre 2014, le Parlement européen a débattu de la motion de censure de la Commission Juncker, déposée par 76 eurodéputés du groupe eurosceptique EFDD et non-inscrits, suite au débat du 12 novembre 2014 consacré aux révélations sur les pratiques luxembourgeoises de ruling fiscal, dites "Luxleaks". Lors du vote prévu le jeudi 27 novembre 2014, la motion n’a toutefois aucune chance de réunir les deux-tiers des suffrages exprimés et une majorité de l'ensemble des députés (soit 376 voix) nécessaires pour renverser la Commission.

L’auteur de la motion de censure, Marco Zanni, membre du parti italien Movimento Cinque Stelle (M5S) et du Groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD), a d’ailleurs commencé son intervention en dénonçant le manque de soutien des autres groupes politiques, accusés de défendre "seulement les intérêts des amis de Juncker, du capital". Cela montrerait que le Parlement européen est le "temple de l’hypocrisie européenne". Il a rejeté les "leçons de démocratie" du groupe GUE-NGL, qui n’a pas souhaité soutenir une motion de censure venant de l’extrême-droite de l’hémicycle, alors qu’il souhaite la démission de Juncker. Il a reproché aux Verts de ne pas choisir leur camp et aux libéraux d’être "asservis" aux socialistes et au PPE. Or, Luxleaks aurait démontré que Jean-Claude Juncker est l’"antithèse de l’idéal européen". S’il avait "une once de dignité, il devrait s’en aller", a-t-il jugé.

Entouré par 26 des 27 commissaires, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a d’abord déclaré que les explications qu’il avait données le 12 novembre 2014 à Bruxelles étaient toujours valables. "L’interaction de dispositions nationales divergentes" peut conduire "dans des  cas extrêmes à des sous-impositions de sociétés européennes et autres, qui ne reflètent pas le consensus éthique et morale qui est de convenance",a-t-il dit.

Jean-Claude JunckerEstimant qu’il s’agissait d’un "problème économique européen", le président a rappelé qu’il avait déjà manifesté lors de ses discours du 15 juillet 2014 et du 22 octobre, son intention de relancer les discussions sur une base d’assiette commune en Europe pour la fiscalité des entreprises, proposée par la Commission en mars 2011. De même, il a déclaré que sa Commission allait proposer une directive pour l’échange automatique de déclarations fiscales anticipées. Il entend également demander à la présidence italienne de reprendre l’idée, proposée en 2005 sous présidence luxembourgeoise, d’établir un comité fiscal, qui occuperait le même rang que le comité économique et financier et veillerait à l’application du "code de bon conduite contre la concurrence fiscale déloyale" adopté en 1997, lui aussi sous présidence luxembourgeoise. Concernant la motion de censure, il a estimé que lui seul devrait partir si le Parlement le souhaitait et non l’ensemble de la Commission.

Manfred Weber (PPE) a déclaré que sa fraction est en faveur de la justice fiscale et se satisfait des propositions faites par Jean-Claude Juncker. Il a dénoncé le "travail destructif" du groupe de Nigel Farage (EFDD) et des non-inscrits qui entourent l’eurodéputée française Marine Le Pen. Il a souligné à leur adresse que sur ces questions fiscales, ce ne sont pas des "bureaucrates européens", mais des Etats souverains qui ont décidé.  Or, c’est idée d’une Europe des Etats qui décident sur les questions fiscales qui correspond selon Manfred Weber le mieux à l’image idéale de l’Europe des députés "de la droite" qui ont déposé la motion de censure.  

Gianni Pitella (S&D) s’en est pris principalement à son compatriote Marco Zanni, auquel il a reproché un manque d’éducation et de respect pour le Parlement européen. L’urgence serait de se mettre au travail. "Si on renvoie tout le monde à la maison, le paquet de 300 milliards est supprimé, et avec lui la dernière chance pour défendre l’emploi et la croissance", a-t-il dit, ajoutant qu’il faudrait des mois pour reconstituer une Commission, que "le chômage exploserait, la déflation viendrait sur l’Europe". Or, le groupe S&D a été convaincu par les propositions du président de la Commission pour lutter contre l’évasion fiscal.

Au contraire, Ryszard Antoni Legutko, pour le groupe ECR,  a estimé qu’il y a "un problème Juncker". C’est au détriment des citoyens européens, y compris luxembourgeois, que les accords de ruling ont été faits. "Quoique vous fassiez en tant que président de la Commission, vous serez poursuivi par ce scandale", a-t-il pronostiqué.  Ryszard Antoni Legutko pense par ailleurs que l’enquête doit être menée par "les autorités luxembourgeoises, l’OCDE, des organisations internationales indépendantes" mais que la Commission européenne  ne devrait pas être "juge et partie à la fois". "Il était essentiel que nous saisissions cette occasion pour avancer en matière d’harmonisation fiscale", a-t-il dit.

Guy Verhofstadt (ADLE) n’a pas voulu épiloguer dans la mesure où il n’y a pas lieu de "juger Luxleaks avant que Parlement et Commission n’aient mené leur enquête". "La seule chose qui m’intéresse dans cette motion, c’est que M. Farage  et Madame Le Pen montrent clairement qu’ils ont des liens entre eux, qu’ils mènent la même stratégie démagogique", a-t-il dit. Aucun de ces deux leaders soutenant la motion ne chercherait à résoudre l'évasion fiscale internationale. Marine Le Pen "croit au nationalisme fiscal" et "refuse davantage de coopération européenne", a-t-il fait remarquer.

Gabriele  Zimmer (GUE/NGL) a souligné que son groupe n’a pas pu présenter de motion de censure parce qu’il refusait l’appui de députés d’extrême-droite. Elle a souligné qu’avant l’investiture de Jean-Claude Juncker, son groupe avait déjà eu l’occasion de parler de l’évasion fiscale et de demander de lutter contre cette situation. Le groupe a été déçu par la prestation du président de la Commission le 12 novembre. "Nous attendions une reconnaissance claire de vos responsabilités", a-t-elle déclaré. De même, le GUE/NGL n’a pas apprécié que les Verts-ALE et le groupe S & D, n’aient pas saisi l’occasion ainsi offerte d’engager de discussion publique sur la question fiscale en Europe.

Rebecca Harms (Verts/ALE) a dit que "cette affaire relance un malaise sur certains aspects du fonctionnement de l’Europe" et qu’ "on se demande si c’est vraiment la solidarité qui est appliquée dans l’UE ou si, au contraire, les uns ne jouent pas contre les autres"». Débattre du sujet serait inévitable, et c’est la question de l’assiette fiscale commune qui doit en être le centre des discussions. "Soit vous allez réussir à régler cette question avec l’esprit européen qui vous caractérise et que vous voulez insuffler à ces institutions contrairement à vos prédécesseurs ou alors les choses se présenteront mal", a-t-elle prévenu.

Steven  Woolfe (EFDD) a mis en garde Jean-Claude Juncker qu’il s’agissait d’un "scandale fiscal qui ne va pas s’en aller". "Vous avez dit que vous étiez solidaires des Européens, qui sont au chômage, vivent dans  la pauvreté, et vous faisiez en sorte que les habitants de votre pays bénéficient de ce système. (…) Où était la solidarité quand avec la Troïka, vous preniez des décisions pour la Grèce endettée alors que vous aviez ces accords fiscaux pour remplir vos caisses ?", a-t-il demandé.  

Marine Le Pen (non-inscrit) a souligné que le public dispose d’ "une preuve supplémentaire que le Luxembourg organise une évasion fiscale de grande ampleur dans l’UE". "Ce petit jeu a siphonné les recettes fiscales des pays de l’UE", a-t-elle dit. Egalement par ses législations sur les prix de transferts ou sur la propriété intellectuelle, le Luxembourg constitue "une boîte à outils fiscale". "Le matin, il nous fait la leçon, et l’après-midi, il nous fait les poches", a-t-elle ajouté en citant le député centriste français, Jean Arthuis. "Vous n’êtes pas le seul responsable mais vous êtes le symbole d’une Europe de la magouille de la cupidité, du cynisme, qui abandonnent les petits aux profits des plus gros", a  lancé l’eurodéputée à l’attention du président de la Commission.

En conclusion, Jean-Claude Juncker a formulé le vœu que, pour sa proposition d’échange automatique des décisions fiscales anticipés, les députés développent "des trésors d’imagination" pour trouver le soutien de leur pays à cette idée. "Il ne suffit pas de me lancer des appels pathétiques", a-t-il dit. "Je plaide pour l'harmonisation fiscale, ce qui n'est pas un plaidoyer contre la concurrence fiscale qui est en soi saine, mais malsaine lorsqu'elle est déloyale", a-t-il aussi précisé