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En marge du Conseil européen - Le Luxembourg annonce qu’il va fournir la liste de ses tax rulings à la Commission européenne
18-12-2014


Lors du Conseil européen du 18 décembre 2014:  Federica Mogherini, Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères, Helle Thorning-Schmidt, Premier ministre du  Danemark et Xavier Bettel, Premier ministre du Luxembourg (Source SIP)Le Luxembourg va fournir à la Commission européenne la liste des décisions fiscales anticipées ("tax rulings" ou rescrits fiscaux) émises par son administration ainsi que celle des bénéficiaires du régime d’imposition des revenus de la propriété intellectuelle (dit des "patent boxes"), tel que le demandait l’institution depuis plusieurs mois.

Annoncée par le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE lors du Conseil européen du 18 décembre 2014, cette décision a été actée à la lumière de celle prise la veille par la Commission "d’examiner la pratique en matière de rescrits fiscaux de l’ensemble des Etats membres, et en vue de la future directive européenne sur l'échange automatique des informations relatives aux rulings", lit-on dans un communiqué diffusé par le Ministère d’Etat luxembourgeois.

Le Luxembourg abandonne ses recours devant les juridictions de l'UE, tandis que la Commission devrait abandonner les procédures d'infractions engagées à l'encontre du Grand-Duché

Elle implique dès lors que le Luxembourg se désistera de ses deux recours en annulation introduits dans ce contexte devant les juridictions européennes à l’encontre des décisions d’injonction de la Commission (le Grand-Duché ayant estimé à l’époque ces demandes trop générales et discriminatoires par rapport aux autres Etats membres), a précisé Xavier Bettel lors d’une conférence de presse en marge de la réunion.

Cette décision "illustre clairement la volonté du Grand-Duché de contribuer activement à trouver des solutions communes au niveau européen" ainsi que son "esprit constructif", s’est notamment félicité Xavier Bettel, qui a rappelé que "la grande majorité des Etats Membres de l’Union émet des rulings" et qu’en la matière, le Luxembourg "plaide fermement en faveur de la création de règles communes", autrement dit un "level playing field".

"La décision de la Commission d’examiner la pratique de l’ensemble des Etats Membres, ainsi que la future directive européenne sur l'échange automatique des informations relatives aux rulings, constituent des étapes décisives en cette direction", a-t-il poursuivi, notant que le gouvernement luxembourgeois "approuve le choix de la commissaire Vestager de se mettre en position de dresser un inventaire exhaustif des pratiques administratives qui existent dans un grand nombre de pays européens". "Nous avons insisté sur le fait qu'il fallait des règles communes, et nous sommes très satisfaits qu'elles soient en place", a-t-il encore dit.

Le Premier ministre s’est par ailleurs félicité du "langage équilibré" des conclusions du Conseil européen en matière de fiscalité, ces dernières rappelant l’"urgen[ce] de redoubler d'efforts dans la lutte contre l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive, à la fois au niveau mondial et au niveau de l'UE". Le Conseil européen, "soulignant l'importance que revêt la transparence […] attend avec intérêt la proposition de la Commission sur l'échange automatique d'informations concernant les rescrits fiscaux ("tax rulings") dans l'UE. Le Conseil examinera les moyens de progresser sur toutes ces questions et rendra compte de ses travaux au Conseil européen de juin 2015", y lit-on. Pour rappel, Xavier Bettel s’est au cours des dernières semaines prononcés en faveur de plus de transparence fiscale, tout s’opposant à une harmonisation générale en la matière, comme il l’avait dit dans un entretien avec le quotidien L’Echo puis dans un autre avec Le Monde.

La commissaire en charge de la politique de Concurrence, Margrethe Vestager, a de son côté salué la décision luxembourgeoise "de se conformer pleinement aux demandes de la Commission" en fournissant "toutes les informations demandées", ce qui devrait lui permettre d’abandonner les procédures d’infractions qu’elle a engagées contre le Luxembourg, lit-on dans un communiqué diffusé le 18 décembre 2014 par le service de presse de la Commission.

Dans ce contexte, la commissaire se réjouit par ailleurs du fait que l'annonce du Luxembourg traduise dans les faits une "reconnaissance des pouvoirs de la Commission d'enquêter sur leurs pratiques générales en matière fiscale en vertu des règles de l’UE relatives aux aides d'État". "J’espère et j’ai toutes les raisons de supposer qu’à l'avenir mon équipe et moi verrons une bonne coopération de la part des autorités luxembourgeoises et de tous les autres États membres dans nos efforts pour lutter contre l'évasion fiscale déloyale", a-t-elle conclu.

Le contexte

Pour mémoire, la pratique du ruling fiscal, qui permet aux entreprises de s’adresser directement à l’administration fiscale pour obtenir de cette dernière une "décision anticipée" concernant l’impôt auquel elles seront soumises, a été largement mise en lumière par les révélations du Luxembourg Leaks (dites "Luxleaks"). Cette enquête journalistique publiée le 6 novembre 2014, a mis le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales et surtout, elle a révélé la manière dont certaines entreprises exploitaient la concurrence fiscale entre les Etats membres de l'UE afin de réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois sous la barre de 1 % de leurs bénéfices.

En amont, la question était pourtant déjà un sujet important de l’actualité européenne, particulièrement pour le Luxembourg. La Commission examine en effet depuis plus d’un an la compatibilité avec les règles de l'UE en matière d’aides d’État de certaines pratiques fiscales en vigueur dans certains États membres dans le cadre de la planification fiscale agressive pratiquée par certaines multinationales, afin de garantir des conditions de concurrence équitables. Depuis juin 2013, l’institution a ainsi enquêté, en vertu des règles relatives aux aides d'État, sur les pratiques de sept États membres en matière de rulings fiscaux. Elle a demandé un aperçu des rulings fiscaux accordés par six États membres (Chypre, l'Irlande, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas et le Royaume-Uni) ainsi que certains renseignements à la Belgique, notamment sur des dossiers précis de ruling fiscal.

La Commission a en outre sollicité des informations sur des régimes fiscaux favorables en matière de propriété intellectuelle, les "patent boxes", auprès des dix États membres disposant d'un tel régime (la Belgique, Chypre, l'Espagne, la France, la Hongrie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni).

Dans ce contexte, le Luxembourg faisait l’objet de deux procédures d’infraction. S'estimant insatisfaite de n’avoir reçu, dans le cadre de ses échanges informels avec le gouvernement luxembourgeois, que "des indications générales" tant en matière de ruling fiscal que concernant le recours au régime dit des "patent boxes", la Commission avait en effet enjoint au Luxembourg en mars 2014 de lui fournir des informations détaillées, ce que le Grand-Duché avait refusé, le pays estimant avoir "fourni les données pertinentes", d’où l’ouverture des procédures en cause. Le Luxembourg avait de son côté saisi les juridictions de l’UE d’un recours en annulation des injonctions de la Commission. Toutes ces procédures devraient désormais être abandonnées.

La Commission a par ailleurs ouvert dans le même contexte, dès juin 2014, des enquêtes formelles visant trois Etats membres afin de déterminer si ceux-ci accordent à certaines entreprises un avantage sélectif dans le cadre du ruling fiscal. Dans le cas du Luxembourg, la Commission se penche ainsi plus particulièrement sur les cas des accords fiscaux anticipatifs conclus à l’égard de Fiat Finance and Trade et d’Amazon, tandis qu’elle examine des accords similaires en Irlande (visant Apple) et aux Pays-Bas (vis-à-vis de Starbucks).