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Entreprises et industrie - Concurrence - Fiscalité
Le Luxembourg formalise sa pratique des tax rulings en l’ancrant dans la loi, à l’occasion de l’adoption du "paquet d’avenir" par la Chambre des députés
18-12-2014


Chambre des DéputésMis en cause dans le cadre des révélations journalistiques dites "Luxleaks" et sous pression d’autres Etats membres de l’UE pour sa pratique des "tax rulings" (qui se traduit en "décisions fiscales anticipées" ou encore "rescrits fiscaux") dont ils dénoncent l’opacité, le Luxembourg s’est engagé à une "modernisation du système des décisions anticipées actuelles" applicable dès le 1er janvier 2015, comme l’a confirmé la Chambre des députés, le 18 décembre 2014, en adoptant le projet de loi de mise en œuvre du "Zukunftspak" (le "paquet d’avenir") qui accompagne le projet de budget 2015 et le projet de budget pluriannuel. Les trois textes mis au vote ont été adoptés majorité contre opposition: les 32 députés de la majorité (DP, LSAP, Déi Gréng) ont votés en faveur tandis que les 28 députés de l'opposition (CSV, ADR, Déi Lénk) se sont prononcés contre.

Déposé le 15 octobre 2014, soit près d’un mois avant les révélations, le "paquet d’avenir" comporte certaines mesures qui visent ainsi précisément à formaliser la pratique existante à travers, entre autres, une clarification des règles et la création d’une "base légale explicite". Il s’agira aussi d’avancer vers davantage de transparence via une publication annuelle et sous forme anonyme des décisions anticipées prises par l’administration fiscale. Autre sujet délicat en matière fiscale, les prix de transferts pratiqués par les sociétés d’un même groupe – qui régissent la répartition des bénéfices fiscaux entre les différentes entreprises en faisant partie – feront par ailleurs l’objet d’un encadrement plus strict.

Une modernisation de la pratique du ruling qui "s’impose"

Selon le gouvernement luxembourgeois, la modernisation du système des décisions anticipées actuel "s’impose" en effet "dans un monde des affaires qui devient de plus en plus globalisé et dont la complexité économique, juridique et financière ne cesse de croître", lit-on dans l’exposé des motifs du projet de loi. Dès lors, "l’application traditionnelle du principe de la confiance légitime, qui se concrétise à travers la fourniture par l’Administration des contributions directes de renseignements sollicités par le contribuable en relation avec le traitement fiscal d’un cas spécifique, est considérée comme n’étant plus entièrement adaptée aux besoins de la situation actuelle, notamment en raison de l’absence de base légale explicite", détaille le projet.

Le texte du projet de loi prévoit dès lors d’intégrer dans la loi générale relative aux impôts des dispositions précises en matière de rulings. Ainsi, dans la loi modifiée, le tax ruling sera désormais défini clairement comme une décision "relative à l’application de la loi fiscale à une ou plusieurs opérations précises envisagées par le contribuable ayant pour effet de lier le bureau d’imposition à l’occasion de l’imposition à effectuer ultérieurement" qui pourra être émise "sur demande écrite et motivée" par "le préposé du bureau d’imposition". Autrement dit, un ruling est une "prise de position écrite du préposé du bureau d’imposition concernant l’interprétation de certaines dispositions de la législation fiscale actuellement en vigueur et leur application à une ou plusieurs opérations précises et concrètes que le contribuable envisage de réaliser", est-il par ailleurs expliqué dans le commentaire des articles du projet.

"Par conséquent, aucune décision anticipée ne sera rendue sur des demandes relatives à des situations purement théoriques ou à des opérations illégales", précise  le commentaire, où l’on lit encore que "tout en accordant au contribuable le droit à la sécurité juridique et d’assurer la prédictibilité sur l’interprétation de la loi, la décision anticipée est limitée à la stricte détermination préalable de la correcte application des lois autant nationales qu’internationales de l’impôt à une situation projetée".

Formaliser la pratique existante en l’ancrant dans la loi

Le projet de loi précise encore dans sa définition de la pratique que de telles décisions doivent permettre d’offrir au contribuable "une sécurité juridique par rapport au traitement fiscal d’une ou de plusieurs opérations projetées", cela via "l’interprétation uniforme et égalitaire de la loi fiscale".  

Le système modernisé "reflète" ainsi et "formalise la pratique existante", tout en permettant "d’améliorer le dialogue entre l’administration et le contribuable" et "d’assurer la sécurité juridique dans les affaires économiques internationales", lit-on dans l’exposé des motifs qui accompagne le projet. Ainsi, le contribuable aura la possibilité "de prendre connaissance au préalable avec une certitude accrue des incidences fiscales que l’Administration des contributions directes réservera à des opérations économiques qu’il veut effectuer, mais qui ne sont pas encore réalisées", tandis que le système permettra notamment à l’administration "de garantir encore mieux l’application des lois fiscales", y lit-on.

Quant à la procédure applicable aux décisions anticipées, elle sera déterminée par un règlement grand-ducal, indique encore le projet de loi. S’il n’a pas encore été rendu public, ce projet de règlement était le sujet d’un échange de vues entre les membres de la commission des Finances et du Budget de la Chambre des députés et le ministre des Finances, Pierre Gramegna, le 16 décembre 2014. Selon le service de presse de la Chambre, qui résume les débats sur son site internet, ce texte prévoirait notamment la création d’une Commission des décisions anticipées à l’intérieur de l’administration, dont l’avis serait contraignant. Sur la question soulevée par des députés d’opposition quant à l’instauration d’une possibilité de recours contre les décisions anticipées, c’est l’avis du Conseil d’Etat, attendu pour la fin de la semaine, qui devrait trancher.

Enfin, les décisions anticipées feront désormais l’objet d’une publication sous forme anonyme. Le texte devrait par ailleurs préciser que les particuliers peuvent eux aussi obtenir une décision anticipée, qui ne sera pas soumise à l’avis de la Commission à mettre en place ni à la redevance prévue pour les entreprises.

Prix de transferts : veiller à ce que les bases imposables déclarées dans sa juridiction reflètent l’activité économique y exercée 

Le projet de loi relatif au "paquet d’avenir" prévoit également d’encadrer plus strictement les prix de transferts, qui sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels ou incorporels ou rend des services à des entreprises associées. "Alors qu’entre entreprises indépendantes les prix des transactions sont déterminés par les mécanismes du marché libre, ceci n’est pas nécessairement le cas des prix fixés entre entreprises associées", est-il notamment expliqué dans l’exposé des motifs du projet.

Or, dans le contexte de la mondialisation des transactions, les prix de transfert "revêtent un rôle primordial dans le domaine de la fiscalité en ce qu’ils régissent la répartition des bénéfices fiscaux entre les différentes entreprises faisant partie d’un groupe multinational", alors que "chaque Etat doit veiller à ce que les bases imposables déclarées dans sa juridiction reflètent l’activité économique y exercée" et "que les bénéfices imposables ne soient pas transférés artificiellement hors de cette juridiction", y lit-on encore.

Cette dernière exigence reflète d’ailleurs les travaux en cours sur le sujet au sein de l’OCDE ainsi qu’une prescription similaire de la directive amendée sur les sociétés dites "mères-filiales" qui a fait l’objet d’un accord au Conseil ECOFIN du 9 décembre en vue d’y introduire une "clause générale anti-abus". Cette disposition vise justement à exiger des Etats membres qu’ils ignorent des montages artificiels réalisés à des fins de contournement des règles fiscales et de veiller à ce que l'imposition s'effectue sur la base de la réalité économique des activités.

Précision du principe de "pleine concurrence", selon le modèle de l’OCDE

Dans ce contexte, le gouvernement luxembourgeois a prévu la mise en place d’un dispositif similaire visant à empêcher les abus en matière de prix de transfert et qui reposera sur le principe de pleine concurrence, exposé notamment dans le Modèle de convention fiscale de l’OCDE. Selon ce principe "les prix de transfert doivent correspondre aux prix qui auraient été fixés entre entreprises indépendantes dans des circonstances comparables pour des transactions comparables", car, lorsqu’il n’est pas appliqué, "la rémunération d’une des parties à la transaction, et partant son bénéfice, est diminuée au profit de l’autre partie tandis que la rémunération de l’autre partie, et partant son bénéfice, est augmentée au détriment de la première", lit-on dans l’exposé des motifs du projet.

Jusqu’à présent, ce principe était ancré dans la loi "de manière plutôt indirecte", poursuit le gouvernement dans l’exposé des motifs. Or. A ses yeux "cette situation n’est plus appropriée à une époque où les prix de transfert sont davantage mis en exergue". Dès lors, afin de "renforcer la visibilité de la législation luxembourgeoise dans le domaine des prix de transfert", le projet de loi introduit un nouvel article (56) dans la loi sur l’impôt sur le revenu (LIR) consacré entièrement au principe de pleine concurrence et qui précise la définition de prix de transferts considérés indus.

Ce nouvel article permet d’ajuster les bénéfices déclarés si les prix de transfert diffèrent des prix qui auraient été convenus entre entreprises indépendantes ne faisant pas partie du même groupe pour des transactions comparables sur le marché libre, lit-on par ailleurs dans les commentaires des articles du projet de loi, qui précisent que "cette approche s’impose afin de pouvoir traiter sur un pied d’égalité les entreprises multinationales et les entreprises indépendantes". L’analyse de comparabilité, qui consiste à comparer des transactions contrôlées (entre deux entreprises qui sont associées l’une à l’autre) et des transactions sur le marché libre (entre des entreprises qui sont indépendantes les unes par rapport aux autres) constitue "l’élément clé pour l’application du principe de pleine concurrence" car il permet de déterminer l’ajustement à opérer pour arriver à un résultat de pleine concurrence, note encore le gouvernement dans le commentaire des articles.

Obligation d’information et renversement de la charge de la preuve

Le projet de loi défini par ailleurs les obligations d’information et de documentation en matière de prix de transfert (la législation fiscale luxembourgeoise ne contenant pas de disposition spécifique expresse à ce sujet), et introduit le principe d’un renversement de la charge de la preuve en faveur de l’administration fiscale.

En effet, explique le gouvernement dans l’exposé des motifs du projet, "lorsque l’administration peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent un transfert de bénéfice au profit d’une entreprise associée probable et que ces faits n’ont pas été éclairés ou documentés par le contribuable, l’administration peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement". Dans un tel cas de figure, il y a alors "renversement de la charge de la preuve et le contribuable doit prouver qu’il n’y a pas eu diminution indue des bénéfices".

Le traitement des demandes fiscales auprès de l’administration devient payant

Enfin, le projet de loi relatif au "paquet d’avenir" prévoit désormais de rendre payant "le traitement de demandes tendant à l’obtention de renseignements et d’autres prestations […] en relation avec l’application de la loi fiscale à une ou plusieurs opérations précises futures" auprès de l’Administration des contributions directes. L’administration pourra ainsi solliciter des taxes d’un montant  maximum de 10 000 euros par demande.