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Entreprises et industrie - Fiscalité
L’Allemagne, la France et l’Italie plaident pour une harmonisation fiscale dans l’UE auprès de la Commission européenne, tandis qu’au niveau syndical, une interdiction des "tax rulings" est réclamée
01-12-2014


Les ministres français et allemand des Finances, Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, au Conseil ECOFIN (source: Conseil de l'UE)Le débat en vue d’une plus grande harmonisation fiscale dans l’Union européenne suite aux révélations "Luxleaks" ne semble pas prêt de se terminer. Il s’est ainsi poursuivi, le 1er décembre 2014, avec la publication par les agences de presse AFP et Reuters d’une lettre des ministres des Finances et de l’Economie français, allemand et italien adressée à la Commission réclamant des initiatives rapides de sa part en la matière.

Dans le même temps, le Présidium de l’Union des personnels des Finances en Europe (UFE), une organisation syndicale représentant au niveau européen les intérêts du personnel des administrations fiscales et douanières, demandait par la voie d’un communiqué diffusé le 2 décembre 2014 l’interdiction pure et simple de la pratique des décisions anticipatives en matière fiscale ("tax rulings" ou rescrits fiscaux).

L’Allemagne, la France et l’Italie plaident pour une harmonisation fiscale européenne

Les ministres des Finances français et allemand ainsi que le ministre de l’Economie italien ont écrit au commissaire chargé des Affaires économiques, Pierre Moscovici, afin de réclamer une directive européenne contre l'optimisation fiscale qui pourrait être proposée avant la fin de l'année et adoptée avant la fin 2015.

Dans leur courrier daté du 28 novembre 2014 qu’ont pu consulter les agences de presse AFP, Reuters et Europe, le 1er décembre, les ministres des Finances français et allemand, Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, ainsi que le ministre de l'Economie italien Pier Carlo Padoan, soulignent la nécessité d'une harmonisation fiscale entre les Etats membres de l'Union européenne (UE). Ils plaident ainsi pour que soit proposée avant la fin de l’année une directive "anti-BEPS" (du même nom que le plan d'action de l'OCDE pour lutter contre l'érosion des bases d'imposition et le transfert des profits, dont BEPS est l’acronyme anglais), pour une adoption par les 28 Etats membres d'ici fin 2015.

"Cette initiative forte de l'UE, qui pourrait être proposée d’ici la fin de 2014, donnerait à l'Europe la première place qu'elle mérite au niveau international" et "nous pourrions en tirer avantage pour obtenir des progrès dans le cadre de la discussion en cours à l'OCDE et au G20", écrivent ainsi les trois ministres, qui poursuivent : "Nos citoyens et nos entreprises attendent de nous que nous luttions contre les phénomènes d'évitement de l'impôt et d'optimisation. C'est notre devoir commun d'y répondre en veillant à ce que chacun acquitte ce qu'il doit dans l'État où il réalise des profits", rapportent les deux agences de presse .   

Dans cette missive, les ministres des trois principales économies de la zone euro demandent notamment la mise en place d’un échange obligatoire et automatique d'informations (EAI) sur les décisions fiscales anticipatives "qui devrait également couvrir les décisions relatives aux prix de transfert" et suggèrent de réfléchir "à des conditions plus strictes et des règles pour la prise de tels rescrits fiscaux unilatéraux", précisent encore les deux agences. Les ministres y plaident également pour la mise en place d’un registre facilitant l'identification des bénéficiaires de fiducies, de sociétés-écrans et d’autres entités non transparentes ainsi que de "contre-mesures à l'égard des juridictions dont le comportement favorise la non-transparence et la planification fiscale agressive".

"Depuis que certaines pratiques fiscales des pays et des contribuables sont récemment devenues publiques, les limites de la concurrence fiscale admissible entre les Etats membres ont changé. Ce développement est irréversible", concluent les ministres dans leur courrier. Interrogé par l’AFP, le ministre français Michel Sapin a encore précisé que "nous avons un marché intérieur fait de libertés, mais sans règles suffisantes. C'est par l'harmonisation que nous trouverons une solution commune pour mettre fin à la sous-imposition et à une concurrence fiscale entre États membres, aussi préjudiciable que vaine. L'affaire des 'rulings' montre la nécessité d'agir vite et concrètement".

Ces demandes interviennent en effet dans le contexte des révélations "Luxleaks" qui ont mis le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales (en raison des "tax rulings" accordés par son administration fiscale) et qui ont ainsi mis en lumière la manière dont certaines entreprises exploitaient la concurrence fiscale entre les Etats membres de l'UE afin de réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois sous la barre de 1 % de leurs bénéfices.

En réponses aux révélations, le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait promis aux députés européens d’œuvrer le plus vite possible à une harmonisation fiscale au niveau européen, lors d’une session plénière le 12 novembre 2014. Il s’y était ainsi engagé à faire avancer "au plus vite" la proposition de directive de mars 2011 pour un système commun destiné à calculer l'assiette de l'impôt des sociétés actives dans l'Union européenne (ACCIS), bloquée au Conseil depuis en raison de l’unanimité requise pour les décisions en matière de fiscalité. En outre, Jean-Claude Juncker avait annoncé le même jour que la Commission européenne proposerait une directive introduisant l’échange automatique d’informations sur les "tax rulings".

Reste qu’une harmonisation fiscale à l’échelle européenne via notamment une réactivation de la proposition de directive ACCIS nécessiterait, comme pour toutes les questions fiscales, l’unanimité au Conseil de l’UE. Or, le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, avait fait connaître son opposition à toute harmonisation en la matière, rappelant que "la fiscalité [était] du ressort des Etats membres" lors d’une interview au quotidien belge L’Echo, le 19 novembre 2014. "Dire que tout le monde à l'intérieur de l'Union européenne doit avancer vers une fiscalité unique et les mêmes taux d'imposition, ça, je suis contre. C'est une compétence qui est du ressort des Etats membres", avait-il assuré.

Interrogée sur le sujet lors du point presse quotidien de la Commission européenne le 2 décembre, une des portes-parole de l'institution, Vanessa Mock, a expliqué que "la Commission va regarder ces propositions [des trois Etats membres] et a l'intention de répondre plus tard dans la semaine". Quant à la proposition sur l'échange automatique d'informations sur les "tax rulings", elle devrait être présentée au premier trimestre de 2015, a-t-elle ajouté.

L’Union des personnels des Finances en Europe veut l’interdiction pure et simple des rulings

Dans un communiqué diffusé le 2 décembre 2014 et rapporté par le site d’information RTL, le Présidium de l’Union des personnels des Finances en Europe (UFE) a pour sa part demandé que la pratique des "tax rulings" soit interdite. L’organisation syndicale représentant au niveau européen les intérêts du personnel des administrations fiscales et douanières – et qui compte notamment parmi ses membres le "Lëtzebuerger Douane’s Gewerkschaft (LDG)", le syndicat luxembourgeois des douanes – se demande ainsi "si les propos des autorités fiscales des pays concernés sur la légalité des 'rulings' sont crédibles".

Au contraire, elle estime "qu’ils ne sont rien d’autre que des instruments de fraude, voire même d’escroquerie fiscale, organisée à grande échelle et de manière sophistiquée par les 'Big Four' et les études d’avocats d’affaires, pour ensuite être approuvés par les administrations fiscales des Etats membres", lit-on dans le communiqué.

"L’UFE se doit de rappeler que chaque 'ruling' accordé dans un pays provoque un manque à gagner d’impôts dans un autre pays. Le vrai problème est le fait qu’il ne s’agit pas de millions, mais de milliards d’impôts manquant dans les budgets des Etats concernés. La conséquence en est qu’en fin de compte tous les Etats sont obligés de mener une politique d’austérité avec toutes les conséquences sur la croissance, le chômage et les budgets sociaux", poursuit le communiqué.

En conséquence, l’UFE "exhorte les gouvernements européens [à] interdire la pratique des 'rulings' dans tous les pays européens" et propose également, pour contrer la pratique du "nomadisme fiscal" en Europe, "d'introduire une part incompressible et inconditionnelle d'impôt sur les bénéfices partout en Europe" qui pourrait ainsi constituer une nouvelle "ressource propre" du budget de l’UE, conclut l’organisation.