Principaux portails publics  |     | 

Commerce extérieur
TTIP – En visite au Luxembourg, la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, fait la promotion des avantages économiques de l’accord de libre-échange négocié entre l’UE et les USA
26-02-2015


La commissaire européenne en charge du Commerce, Cecilia Malmström, lors de sa viste à la Chambre des députés le 26 février 2015 (source: chd)La commissaire européenne en charge du Commerce, Cecilia Malmström, était en visite officielle à Luxembourg, le 26 février 2015, afin de promouvoir les avantages économiques d’un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ou TTIP en anglais) actuellement négocié entre l’Union européenne et les USA qui suscite nombre de questions quant à ses implications.

Dans ce contexte, alors que le 8e round des négociations s’est achevé début février, Cecilia Malmström a mené plusieurs discussions avec les autorités grand-ducales et la société civile. Ainsi, elle s’est notamment rendue à la Chambre des députés pour y rencontrer des parlementaires, des représentants de la plateforme Stop  TTIP – qui regroupe parmi les ONG les plus importantes du pays –, du patronat et des syndicats, avant de tenir un discours devant les étudiants de l’Université du Luxembourg. Elle a enfin été reçue par le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, avant de rencontrer plusieurs autres membres du gouvernement, et enfin, le Premier ministre, Xavier Bettel.

"Il est très important pour chaque commissaire de visiter et de discuter avec les Etats membres", a indiqué Cecilia Malmström lors d’un point de presse à l’issue de la journée, celle-ci évoquant un agenda commercial européen chargé même si ses rencontres auront bien été dominées par le TTIP. D’autant plus que, si les sondages montrent qu’une majorité des citoyens de l’UE soutiennent les négociations de l’accord de libre-échange avec les USA, trois pays se montrent plus sceptiques, à savoir l’Allemagne – où elle s’était rendue en début de semaine –, l’Autriche et le Luxembourg. "C’est important pour moi d’écouter les inquiétudes et d’avoir un dialogue pour voir comment clarifier ce que nous négocions", a-t-elle expliqué.

Une coopération réglementaire "uniquement" là où les règles sont similaires et qui ne "diluera pas" les normes européennes

L’objectif de la Commission, mandatée "unanimement" par les 28 Etats membres, est la négociation d’un accord "ambitieux" pour éliminer d’une part les barrières tarifaires (droits de douanes, quotas, etc.) et d’autre part, les obstacles non tarifaires en développant une "coopération en matière réglementaire" avec les USA, a rappelé la commissaire. A ce sujet, qui suscite les craintes de la société civile et des syndicats quant à une potentielle dilution des normes et des standards élevés appliqués dans l’UE, la commissaire se veut rassurante : "Le TTIP ne risque pas de diluer la règlementation européenne régissant la santé, la sécurité et l'environnement", a-t-elle notamment appuyé.

Selon la commissaire, les "efforts" en matière de coopération réglementaire sont concentrés "uniquement" dans des domaines où les réglementations américaines et européennes sont déjà similaires en vue "peut-être pas d’harmoniser mais de favoriser une reconnaissance mutuelle". "Nous travaillons dans une dizaine de secteurs dans lesquels nous identifions, au cas par cas, comment reconnaître mutuellement les standards pour éviter la bureaucratie et une multiplication des coûts", poursuit-elle, citant les domaines du textile, de l’automobile, de la chimie, des cosmétiques et certaines parties du secteur alimentaire. "Aujourd’hui nous parlons de reconnaissance, mais pour l’avenir nous voulons mettre en place un forum de coopération entre les régulateurs des deux côtés pour réfléchir à la possibilité de standards communs", a expliqué Cecilia Malmström.

Pour le reste, "nous maintenons à l'écart les domaines dans lesquels l'Europe et les Etats-Unis ont des vues divergentes", dit-elle. Ainsi, le TTIP "ne changera pas nos lois en matière de bœuf aux hormones ou d'OGM", assure la commissaire.

Le sujet a d’ailleurs été évoqué lors de ses discussions avec les membres du gouvernement, à l’occasion desquelles le ministre des affaires étrangères, Jean Asselborn a rappelé que ces accords "ne devraient pas empiéter sur les acquis de l’UE dans les domaines sociaux et environnementaux", lit-on dans un communiqué diffusé par son Ministère à l’issue de la visite.

"En aucune manière cet accord n’obligera les autorités nationales ou locales à privatiser des services publics ou à les ouvrir à la concurrence"

Un autre point important selon Cecilia Malmström, et qui suscite également nombre d’inquiétudes, repose sur l'idée que le TTIP risque de réduire la capacité de l'UE et des gouvernements nationaux à fournir des services publics de haute qualité, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation ou de la distribution d'eau.

Or, dit la commissaire, "c’est le contraire". Selon elle, le TTIP permettra justement de clarifier le fait que "les autorités n'ont pas à ouvrir, contre leur gré, les services publics à la concurrence de fournisseurs privés" et qu’elles "n'ont pas à privatiser des services publics". Par ailleurs, "les autorités peuvent conserver leurs monopoles dans le domaine des services publics si elles en font le choix" et enfin, "elles peuvent, quand elles le souhaitent, changer leurs politiques publiques et réintégrer dans le secteur public des services externalisés auparavant, à condition de respecter les droits de propriété".

RDIE : "Nous travaillons sur une nouvelle approche européenne qui prenne en compte les critiques de la société civile" en vue de mettre en place un système "réformé", très "limité" et "de haute qualité"

Dans le même contexte, le système de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS en anglais) prévu par l’accord est une autre source d’inquiétude, Cecilia Malmström le qualifiant de "point le plus sensible dans ces négociations". Pour les opposants à l’accord de libre-échange, ce système donnerait en effet carte blanche aux entreprises pour poursuivre les Etats devant des cours arbitrales privées pour toute  réglementation qui affecterait leurs profits actuels ou futurs, comme l’avaient mis en évidence les ONG Transnational Institute (TNI) et Corporate Europe Observatory (CEO) dans un rapport publié en mars 2014. Dès lors, ces derniers pourraient hésiter à mettre en place de nouvelles réglementations.

Le sujet, gelé dans les négociations au début de l’année 2014 par la Commission européenne suite à l’inquiétude croissante qu’il suscitait, a fait entre temps l’objet d’une consultation publique qui a révélé selon les conclusions de la Commission un "énorme scepticisme" quant au mécanisme prévu. "Nous continuons à travailler activement sur une nouvelle approche européenne qui prenne en compte les critiques de la société civile" en vue de mettre en place un système "réformé", très "limité" et "de haute qualité", a dit la commissaire.

La commissaire européenne en charge du Commerce, Cecilia Malmström, lors de sa rencontre avec le Premier ministre, Xavier Bettel le 26 février 2015 (source: SIP, Zineb Ruppert)"L’Europe est le premier investisseur étranger au monde et nous avons donc un intérêt à avoir des règles qui garantissent aux investisseurs un traitement équitable", a-t-elle poursuivi, notant notamment que les discriminations face aux entreprises étrangères ne sont pas interdites aux USA. "Cependant nous avons besoin de nous assurer que notre droit de réglementer dans l'intérêt général soit garanti", a expliqué Cecilia Malmström qui s’est dite "convaincue" d’arriver à trouver un "bon équilibre".

Quant aux craintes du gouvernement allemand qui avait expliqué ne pas voir l’utilité d’un tel mécanisme entre deux Etats qui assurent un niveau de protection juridique suffisant par des tribunaux nationaux indépendants dans le contexte de l’accord de libre-échange avec le Canada (CETA), Cecilia Malmström répond que plusieurs centaines d’accords incluant un ISDS sont en vigueur entre Etats membres "qui sont tous des Etats de droit". "Je pense que le gouvernement allemand réalise peu à peu l’intérêt d’un ISDS limité dans des cas très particulier", dit-elle.

De son côté, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a souligné l’importance de réfléchir sur une réforme du système proposé, permettant, tout en garantissant le droit des Etats de légiférer, de trouver le juste équilibre entre l’intérêt public et la protection des investissements, lit-on dans le communiqué de son Ministère diffusé à l’issue de la rencontre.

"Juridiquement, nous ne pouvons le dire qu’une fois le traité existe, mais politiquement je peux dire que c’est presque sûr et certain qu’il s’agira d’un accord mixte"

Enfin, la commissaire n’a pas clarifié si le futur accord de libre-échange serait bien un accord mixte, nécessitant donc l’approbation, outre des gouvernements, des parlements nationaux. "Juridiquement, nous ne pouvons le dire qu’une fois le traité existe, mais politiquement je peux dire que c’est presque sûr et certain qu’il s’agira d’un accord mixte", a-t-elle indiqué.

Le gouvernement luxembourgeois estime pour sa part qu’une fois négociés, ces accords devront être validés par les parlements nationaux, a souligné Jean Asselborn auprès de la commissaire.

Le TTIP "va bénéficier à tous les Européens"

La commissaire européenne en charge du Commerce est par ailleurs revenue sur les avantages économiques que susciterait le TTIP, des avantages qui "dépendent bien évidemment de la structure économique de chaque pays". Pour le Luxembourg, pays exportateur dont le premier partenaire commercial direct hors UE, après la Suisse, sont les USA, les bénéfices en termes commercial devraient être concrets. "Le TTIP aidera à créer davantage d’emplois liés aux exportations en créant de nouvelles opportunités vers les Etats-Unis pour les entreprises européennes", a dit Cecilia Malmström qui a rappelé que 115 000 emplois au Luxembourg dépendent des exportations à destination de territoires en dehors de l'UE. "Par conséquent, plusieurs secteurs importants de l'économie luxembourgeoise seront dynamisés".

Ainsi, le Luxembourg est notamment un grand exportateur de matière plastique utilisée dans la fabrication de bouteilles à usage alimentaire, avec pour quelque 4,5 millions d'euros de plastique exportés vers les Etats-Unis en 2013. Or, les USA imposent des droits de douane d'environ 5 % sur ces produits, ce qui représente "un coût important pour une industrie dont les marges sont restreintes" qui pourrait être "supprimé" par le  TTIP.

Dans le domaine de la santé, pour lequel le Luxembourg dispose déjà d'un important pôle d'innovation, le TTIP soutiendrait le développement du secteur et "aiderait à rendre compatibles les standards élevés des Etats-Unis et de l'UE dans le domaine sans nuire à la sécurité des patients", assure-t-elle. Cela en évitant de recourir à des inspections par les autorités américaines des usines déjà inspectées par les autorités européennes afin de vérifier le respect des mêmes normes ou en garantissant que les systèmes utilisés pour assurer la traçabilité et éventuellement le retrait du marché d’appareils médicaux, soient compatibles.

Selon la commissaire, les services, et la finance en particulier, "composante essentielle de l'économie luxembourgeoise", bénéficieront aussi d'un marché transatlantique plus intégré. "Davantage de coopération entre l'UE et les Etats-Unis en matière de réglementation financière aiderait à garantir davantage de stabilité financière", a-t-elle dit. Dans un discours devant le Brookings Institution à Washington le 25 février, le commissaire en charge des Services financiers, Jonathan Hill, avait justement plaidé pour que le TTIP soit l’occasion d’approfondir la coopération réglementaire dans le secteur. En revanche, au Luxembourg, le sujet fait débat, alors que l’Association des Banques et Banquiers au Luxembourg (ABBL) a émis une certaine "réserve" à l’intégration des services financiers dans le TTIP, jugeant que les exigences réglementaires sont plus élevées dans l’UE qu’aux Etats-Unis.

Une alliance pour influer sur le monde du 21e siècle

La commissaire européenne en charge du Commerce, Cecilia Malmström, lors de sa viste à l'Université du Luxembourg le 26 février 2015 (source: Europaforum)Pour la commissaire européenne, le TTIP est également essentiel dans un monde qui a fortement évolué avec l’émergence de nouveaux acteurs et où le poids relatif de l’UE va en s’amenuisant. "Dans un monde où on n'est pas l'acteur le plus grand, on a tout intérêt à développer des alliances fortes et des règles fermes", dit-elle, car "si notre économie est relativement plus petite, notre influence dans les affaires mondiales risque de l’être également".

Dans un monde qui devient plus connecté économiquement, technologiquement et sur le plan environnemental et fait en conséquence naître le besoin de nouvelles règles du jeu à dimension globale, "la question est de savoir comment ces règles vont être écrites" et "quelles sont les valeurs qui leurs seront sous-jacentes", s’interroge-t-elle.

Selon la commissaire, afin que les valeurs de l’UE – démocratie, droits de l'Homme, Etat de droit, ouverture des marchés –, soient prises en compte lorsque la communauté internationale écrit les règles mondiales, il s’agit donc de faire des alliances. "Malgré toutes leurs différences, les Etats-Unis et l'UE sont fondés sur un socle commun de valeurs partagées qui trouvent leur origine au siècle des Lumières", dit-elle. "Si nous souhaitons toujours promouvoir nos valeurs communes, un partenariat transatlantique est essentiel. Et c'est ce que nous offre le partenariat TTIP".

Cecilia Malmström a encore assuré que le TTIP aurait des impacts positifs clefs pour les pays en développement, "notamment en aboutissant à une meilleure coopération réglementaire pour tous". Une étude d’impact a été réalisé par la Commission pour estimer les conséquences sur ces pays et ses résultats préliminaires montrent par ailleurs "peu d’effets", a-t-elle indiqué.

Les représentants de la Plateforme Stop TTIP regrettent des réponses "floues" à leurs interrogations

A l’issue de la visite, une conférence de presse a été donnée par la plateforme Stop TTIP qui regroupe parmi les ONG et les syndicats les plus importants du pays. Christophe Knebeler, secrétaire général adjoint du LCGB, a notamment expliqué que les réponses obtenues à leurs questions avaient été "floues". "Un des exemples les plus saillants, c’est la question de savoir si le TTIP consistera en un accord mixte, si bien qu’il ne serait pas ratifié uniquement par le Parlement européen, mais également par les parlements nationaux : on nous indique qu’une réponse juridique à cette question ne peut être obtenue que dès lors que le texte sera achevé, mais en même temps, on nous dit avoir de bons espoirs que cet accord sera mixte", a-t-il souligné. "Si nous ne l’apprenons qu’au dernier moment, et qu’en plus, à ce moment-là, ce n’est pas un accord-mixte, nous aurons un problème", a averti Christophe Knebeler.

Le secrétaire général adjoint du LCGB a par ailleurs soulevé le fait qu’au cours de la réunion certains députés ont soulevé la question de savoir s’il était possible que les parlements nationaux soient d’ores et déjà mieux intégrés dans les négociations du TTIP, via notamment le dépôt d’un avis formel sur certains sujets. "Mais même sur ce point, on ne nous a pas donné de réponse réelle", a-t-il indiqué.

Martina Holbach de Greenpeace Luxembourg a quant à elle indiqué qu’après cette réunion, "les craintes que nous avions par rapport au fait que la protection de l’environnement, des consommateurs, des valeurs que nous avons en Europe soient mises en danger, sont confirmées". Elle cite l’exemple du principe de précaution, "cher aux européens" et qui "est remis en question", car "Cecilia Malmström nous a indiqué qu’à l’avenir, toutes les mesures que nous adopterons en Europe devront être argumentés sur une base scientifique".

Elle souligne que jusqu’à présent, dans l’UE, "quand il y a des doutes quant à des OGM, des pesticides, des hormones dans la production animale, etc., nous appliquons le principe de précaution pour éviter que les produits en question ne soient autorisés". "Dorénavant, les Etats devront prouver scientifiquement qu’un produit est nocif", a-t-elle précisé. A ses yeux, ce changement constituerait un "danger" pour la protection de l’environnement et celle des consommateurs et produirait "un nivellement vers le bas des standards".

Véronique Eischen de l’OGBL a pour sa part évoqué le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS). "Cette réunion ne nous a pas donné davantage de certitudes", a-t-elle révélé. "Nous n’avons obtenu aucune garantie que l’on tiendra compte de nos points de vues sur l’ISDS dans les négociations et qu’il y aurait plus de protection pour les Etats", a-t-elle encore déclaré. Selon la collaboratrice de l’OGBL, des listes d’arbitres pourraient être établies "sans que l’on ne sache qui sont les arbitres, qui pourraient être issus de grandes multinationales, et qui trancheraient en conséquence au nom de ces dernières, et non en celui du consommateur". 

Par ailleurs, Véronique Eischen a relevé le fait que les Etats-Unis ont ratifié uniquement deux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les huit dont l’UE est signataire, "et nous n’avons aucune garantie que dans le cadre des négociations du TTIP, des dispositions seront prises pour que les Etats-Unis ratifient davantage de conventions".

Norry Schneider de Caritas Luxembourg a quant à lui insisté sur les conséquences de l’accord TTIP sur les "pays du Sud", c’est-à-dire les pays en voie de développement. "Nous n’avons pas obtenu de réponse claire relative à la question de savoir quand ce sujet sera discuté". "Cecilia Malmström a indiqué que ces pays pourraient bénéficier d’un soutien à travers l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce)", a-t-il relevé. "Pourtant, nous savons très bien que les négociations à l’OMC sont au point mort depuis des années, ce qui nous fait penser que tout ceci est une farce", a souligné Norry Schneider.