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L’auteur indépendant Thomas Fritz met en garde contre l’impact du TTIP sur les communes
26-02-2015


L’auteur indépendant Thomas Fritz a mis en garde contre l’impact du TTIP sur les communes, lors d’une conférence qui s’est tenue le 26 février 2015 à Luxembourg (Source: SECEC)L’auteur indépendant Thomas Fritz a mis en garde contre l’impact du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) sur les communes, lors d’une conférence qui s’est tenue le 26 février 2015 à Luxembourg. Invité par la Plateforme luxembourgeoise Stop TTIP, l’auteur allemand a présenté son étude sur ce sujet, qui a été commandité par l’association campact. Thomas Fritz est membre de l’ONG allemande PowerShift, qui s’engage pour une économie mondiale et une économie d’énergie "plus écologiques et solidiares".

L’auteur a mis en doute les "promesses" de croissance que pourrait générer cet accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Selon une analyse publiée par la Commission, le TTIP pourrait accroître la taille de l’économie de l’UE de près de 120 milliards d’EUR (soit 0,4 % du PIB). L’analyse se base sur l’étude du Center for Economic Policy Research (CEPR) qui table sur une croissance de 0,48 % en dix ans. Pour Thomas Fritz, cela se traduit par une croissance annuelle de 0,048 % –  une estimation qui n’a pas de valeur statistique, selon lui.

Les coûts du TTIP plus importants que les bénéfices

L’étude du CEPR prédit également une hausse des revenus de 545 euros pour chaque famille dans l’UE. Un chiffre arbitraire pour Thomas Fritz, qui estime que ce sont les familles les plus riches qui détiennent des actions qui en seront les gagnantes. Il nomme d’autres études qui sont bien plus alarmantes : selon un document de travail écrit par Jeronim Capaldo de l’université américaine Tufts (Massachusetts), les revenus moyens de travail baisseraient entre 165 et plus de 5 000 euros par travailleur pendant la même période. Le scientifique met d’ailleurs en garde contre des pertes d’emploi de l’ordre de 600 000 dans l’UE qui toucheraient surtout les pays du nord ainsi que contre une diminution du PIB de l’ordre de 0,5 % pour les économies d’Europe du Nord.

Alors que la Commission européenne promet une augmentation du commerce avec les Etats-Unis, Thomas Fritz s’alarme d’une "réorientation des échanges" ("Handelsumlenkung"). Le commerce intra-européen pourrait ainsi diminuer, selon lui, de 30 % puisque les produits américains chasseraient les produits européens du marché.

Thomas Fritz dénonce par ailleurs le fait que la plupart des études ne prendraient pas en compte les coûts de déréglementation causés, selon lui, par une réduction des normes. Il cite l’exemple d’une pollution de l’eau causée par une entreprise à laquelle devrait rémédier les services publics de l’eau.

Le mécanisme de différends entre investisseurs et Etats est un instrument "puissant et dangereux"

Quant au mécanisme de différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS), l’auteur estime qu’il est "très dangereux" en raison des 51 000 firmes américaines établies dans l’UE qui représenteraient des plaignants potentiels. Thomas Fritz critique le fait que ce mécanisme permet uniquement aux multinationales d’y avoir recours, ce qui les privilégie par rapport aux Etats et aux entreprises locales. L’ISDS violerait ainsi le principe de l’égalité devant la loi, estime-t-il. Il dénonce des clauses qui privilégient les investisseurs : le traitement national (National treatment), un traitement "juste et équitable" ou encore la satisfaction de leurs "attentes légitimes". Il donne l’exemple de la société américaine Lone Pine Ressources qui demande 250 millions de dollars américains de compensation au Canada, jugeant que le moratoire sur l’extraction d’huile et gaz de schiste décrété par la province du Québec pour des raisons environnementales était "de révocation arbitraire, capricieuse et illégale".

L’autre problématique que représente l’ISDS serait le manque de neutralité des tribunaux d’arbitrage. Les juges ou arbitres sont souvent des avocats de grands cabinets spécialisés dans ces affaires, critique Thomas Fritz. Ces cabinets mettraient en garde les entreprises contre des projets de loi qui pourraient les concerner et les inciteraient à porter plainte même avant que la loi soit votée, explique-t-il. "Souvent, la menace de porter plainte est suffisante pour empêcher les gouvernements de légiférer", insiste-t-il. Ses propos sont soutenus par un rapport des ONG Transnational Institute et Corporate Europe Observatory (CEO) qui dénonce une "industrie de l’arbitrage" dans laquelle les juristes et les entreprises utilisent la menace de poursuites juridiques pour modifier les politiques ou pour empêcher la mise en place de réglementations qui affecteraient leurs profits.

Dans un autre document publié en octobre 2013, l’ONG CEO fait un bilan des près de 500 litiges déposés à la fin 2012, observant que ceux-ci ont été utilisés "pour contester les politiques d’énergie verte et de santé publique, les législations anti-tabac, les interdictions de produits chimiques dangereux, les restric­tions environnementales sur l’exploitation minière, les po­litiques d’assurance santé, les mesures d’amélioration de la situation économique des minorités et bien plus encore". "Parfois la simple menace d’une plainte ou son dépôt a suffi pour voir des législations abandonnées ou privées de substance", note ce texte.

Selon Thomas Fritz, l’ISDS constitue donc un "instrument puissant" pour intervenir contre la réglémentation publique. Il donne l’exemple du groupe suédois Vattenfall qui avait déposé plainte en 2009 contre le gouvernement fédéral allemand, réclamant 1,4 milliards d’euros au motif que les les nouvelles exigences environnementales des autorités de Hambourg rendent son projet de centrale au charbon "antiéconomique". Un compromis judiciaire prévoyait finalement l’adoucissement des normes environnementales. Vattenfall a également porté plainte contre l’Allemagne pour avoir opté en 2012 pour la sortie de l’énergie nucléaire à partir de 2022 après l’accident de Fukushima, réclamant 4,7 milliards d’euros. La plainte de Vattenfall a été portée devant la Cour constitutionelle de Karlsruhe ainsi qu’ auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (ICSID en anglais) – l’affaire n’a pas encore été tranchée.

L’auteur insiste sur les sommes exorbitantes réclamées dans ces litiges – l’amende la plus importante jamais demandée étant de 50 milliards de dollars que devait payer la Russie aux actionnaires du groupe pétrolier Ioukos fondé par Mikhaïl Khodorkovski, qui avait été démantelé par le gouvernement russe.

L’ISDS servirait également d’instrument pour empêcher des renationalisations après des privatisations, indique Thomas Fritz, alors que ce sont souvent les autorités locales qui procéderaient à des renationalisations dans des domaines de l’approvisionnement en eau ou de la gestion des déchets. Il cite l’exemple de l’assureur néerlandais Achmea qui avait reçu, fin 2012, 22 millions d’euros de compensation du gouvernement slovaque pour avoir remis en cause, en 2006, la privatisation de la santé engagée par l’administration précédente, et demandé aux assureurs de santé d’opérer sans chercher de profits. En raison de son caractère de traité international, le TTIP rendrait irréversible les privatisations, estime Thomas Fritz.

Thomas Fritz voit un danger pour la souverainté des communes notamment dans la disposition "accès au marché" (article 4) du TTIP, qui interdirait certaines restrictions. Or, les communes utilisent notamment ces restrictions pour limiter le nombre des grandes surfaces commerciales afin de soutenir le commerce de proximité ou pour limiter le nombre des compagnies de taxis afin de garantir un standard minimum.

La problématique de la définition des services publics exclus du TTIP

Les mécanismes de protection des services publics sont "poreux", estime l’auteur. Il cite ainsi le mandat du Conseil du 17 juin 2013 relatif au TTIP, qui a été déclassifié en octobre 2014. Il y est noté que des "services fournis dans l’exercice d’un pouvoir gouvernemental (…) devraient être exclus des négociations" (voir point 20). Pour définir ces services, le document renvoie à l’article 1.3 de l’accord général de l’OMC sur le commerce des services (AGCS ou GATS) : cette définition inclut "tout service qui n'est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services".

Cette définition est problématique, parce qu’elle manque de précision, estime Thomas Fritz. Il souligne que la grande majorité des services publics – la formation professionnelle, les services de santé ou encore la gestion des déchets pour donner quelques exemples – est dans une situation de concurrence et profite, comme les universités, en partie de financements privés.

La Commission européenne écrivait en revanche en juillet 2014 que "les accords commerciaux conclus par l'UE laissent aux pays membres de l'UE la possibilité de réglementer toute activité qu'ils estiment relever des services publics". Elle ajoute que "les activités économiques considérées comme des services d'utilité publique au niveau national ou local peuvent faire l'objet de monopoles publics ou de droits exclusifs octroyés à des opérateurs privés". Autrement dit : "Les pays de l'UE sont libres de décider quelles activités sont considérées comme des services publics", explique la Commission.

Un organe qui viole le principe de démocratie

Thomas Fritz pointe du doigt la création d’un "Conseil de coopération réglementaire" (Regulatory Cooperation Council - RCC), proposé par l’ancien commissaire européen Karel de Gucht en octobre 2013. Cet organe, qui serait composé de représentants des institutions, mais aussi de lobbyistes, a vivement été critiqué par un collectif d’une centaine d’ONG dans une lettre adressée à Karel de Gucht en mai 2014.

Pour Thomas Fritz, cet organe violerait le principe de démocratie puisqu’il pourrait changer des dispositions dans l’accord après sa conclusion, dans l’esprit de la Commission d’en faire un "accord vivant" (living agreement) sans que les parlements aient leur mot à dire. Il estime que cet organe donnerait un droit de regard relatif aux normes européennes au gouvernement des Etats-Unis. L’ONG CEO s’est également montrée très critique vis-à-vis cet organe dans un document. Elle y estime que les représentants de cet organe "auraient une influence énorme puisqu’ils pourraient stopper ou affaiblir des propositions législatives", et cela "avant même qu’une assemblée démocratiquement élue, comme le Parlement européen ou les parlements nationaux, n’ait eu la possibilité d’examiner les propositions".

Quant aux marchés publics, l’auteur allemand critique que la Commission n’a pas évoqué des standards sociaux. Pour rappel, la Commission a publié en janvier 2015 une série de textes juridiques, dont un papier sur les marchés publics (Public Procurement). Les objectifs de la Commission sont des règles évitant la discrimination des entreprises et augmentant la transparence lors d’un appel d’offre d’un marché public.

Thomas Fritz rappelle encore que les Etats-Unis n’ont ratifié que deux des huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), à savoir celle sur l’abolition du travail forcé et celle sur les pires formes du travail des enfants. La convention du droit d’organisation collective et de négociation collective ou celle sur la liberté syndicale n’en font pas partie. Pour Thomas Fritz, le TTIP permettrait l’importation de produits fabriqués par des entreprises marquées par l’absence de syndicats, l’auteur évoquant des "zones sans syndicats".