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Justice, liberté, sécurité et immigration
Face aux drames de l’immigration, la Commission européenne veut présenter une stratégie sur sa politique de migration à la mi-mai, deux mois plus tôt que prévu
04-03-2015


La Commission européenne va accélérer ses travaux pour un programme européen en matière de migration et présenter à la mi-mai une stratégie, deux mois plus tôt que prévu, a annoncé le 4 mars 2015 le vice-président Frans Timmermans à l'issue d'un premier débat d'orientation au collège des commissaires. Cette annonce intervient alors que les drames de l’immigration et les appels à un renforcements de l’agence de gestion des frontières Frontex se sont multipliés ces derniers mois ; le même jour, les garde-côtes italiens ont rapporté un nouveau naufrage au large de la Sicile ayant causé la mort d’au moins 10 migrants et au cours duquel ils ont pu sauver 121 personnes.

L’afflux de migrants et réfugiés ne cesse d’augmenter, selon l’agence de gestion de frontières Frontex, qui a recensé en 2014 environ 278 000 entrées illégaux des frontières européennes, soit trois fois plus qu’en 2013, quand leur nombre était de 100 000 personnes. Ces tendances sont confortées par le rapport trimestriel de Frontex qui fait état d’une hausse de 150 % des entrées illégaux au troisième trimestre 2014 par rapport à l’année précédente. La grande majorité des passages (220 000) se faisaient via la Méditerranée. Selon l’ONU, plus de 3 400 personnes ont perdu la vie lors de cette traversée en 2014.  

Le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans  avec le commissaire européen chargé des Affaires intérieures et de la migration, Dimitris Avramopoulos (Source : Commission)"Ces événements tragiques en Méditerranée renforcent le sentiment d'urgence", a déclaré Frans Timmermans lors d’une conférence de presse avec le commissaire européen chargé des Affaires intérieures et de la migration, Dimitris Avramopoulos. La nouvelle stratégie sera articulée autour de quatre priorités, indique un communiqué de la Commission :

  • l'amélioration des systèmes d'asile européens ;
  • la facilitation de la migration légale qui inclura un réexamen de la directive carte bleue ;
  • une politique "agressive" contre l'immigration illégale et les réseaux criminels de passeurs via la coopération avec les pays de départ et de transit (des processus connus sous les noms de Rabat, Khartoum ou Budapest ;
  • le renforcement de l'agence Frontex et son budget ainsi que le renforcement des frontières.

Dimitris Avramopoulos a appelé à renforcer les voies d’accès légales à l’UE et à augmenter le nombre de places de réinstallation, dont seulement 36 000 ont été offertes par les Etats membres à des personnes venant de Syrie, d’où partent le plus grand nombre de personnes entrées illégalement dans l’UE, a également évoqué la possibilité de délivrer des visas à des réfugiés depuis le pays de départ. 

Selon lui, l’UE doit coopérer avec les dirigeants, y compris des "régimes dictatoriaux", pour lutter contre les passeurs et "mieux protéger" ses frontières extérieures. "Nous ne devons pas être naïfs. Le fait que nous coopérions dans le cadre des processus de Khartoum et Rabat avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimions. Nous ne donnons aucune légitimité démocratique et politique à ces régimes, mais nous devons coopérer là où nous avons décidé de lutter contre la contrebande et la traite des êtres humains", a-t-il soutenu. "Nous ne pouvons pas ignorer le fait que certains pays, permettez-moi de ne pas les nommer, sont à l'origine de nos problèmes et nous devons les confronter à leurs responsabilités", a-t-il insisté.

Malgré les taux de chômage des États membres, l’UE aura tout de même besoin de main-d'œuvre provenant des pays tiers en raison de ses contraintes démographiques, a soutenu Dimitris Avramopoulos en annonçant une révision de la directive carte bleue ainsi qu’une consultation publique à ce sujet.

Pas de changement du règlement Dublin II prévu

Le commissaire grec s'est dit "ouvert" à discuter du règlement Dublin II avec les États membres, qui stipule que le pays responsable du traitement d’une demande d’asile est celui de la première entrée sur le territoire de l’UE, ce qui implique de nombreux renvois de demandeurs d’asile. Frans Timmermans a pour sa part jugé qu’un changement de Dublin II n’est pas envisagé, plaidant pour une amélioration du cadre existant.

Dimitris Avramopoulos a encore réitéré son appel à plus de solidarité entre les Etats membres et à mettre fin aux "accusations gratuites" contre l’Europe. Il a réitéré le soutien de la Commission à l’Italie, le pays le plus touché par l’immigration méditerranéenne, selon Frontex. Il y a deux semaines, la Commission avait annoncé l’extension de l’opération Triton jusqu’à la fin de l’année 2015 et le renforcement de son soutien à l’Italie.

Pour rappel, cette opération conjointe, coordonnée par Frontex, avait été lancée le 1er novembre 2014 pour prendre le relais de Mare Nostrum, une mission de secours italienne à laquelle l’Italie avait mis fin en raison de ses coûts élevés. Dimitris Avramopoulos a encore précisé que Triton n’avait pas l’intention de remplacer Mare Nostrum. Frontex est censé soutenir les Etats membres dans la protection des frontières extérieures et n’a pas de compténces pour des opérations de recherche et sauvetage au bord des frontières libyiennes, a-t-il ajouté. Frans Timmermans a rappelé que Frontex n’est pas un "système de contrôle des frontières", comme l’avait déjà indiqué la porte-parole de la Commission mi-février.

Une hausse de 150 % d’entrées clandestines au troisième trimestre, selon un rapport de Frontex

Une route vers l'Europe: de la Turquie, les réfugisés vont en avion en Algérie pour rejoindre ensuite la Libye (Source : rapport de Frontex)Entre juillet et septembre 2014, le rapport trimestriel de Frontex a enregistré un nombre d’entrées clandestines de 110 581 personnes, soit le nombre le plus élevé depuis le début de la collecte de ces données par Frontex en 2007. Il s’agit d’une hausse de 60 % par rapport au trimestre précédent (qui comptait 68 589 entrées). Comparé à la même période l’année précédente, les entrées clandestines ont même augmenté de 150 %, ce qui contredit la thèse que la hausse est seulement due à la période estivale qui facilite les passages. Le rapport explique cette hausse entre autres par le fait que les 140 000 Syriens enregistrés en Egypte ont décidé de quitter ce pays pour l’Europe via la Libye : "leur situation est devenue plus difficile, principalement à cause d’une nouvelle obligation de visa et de la révocation du séjour régulier pour les nationaux syriens et aussi pour des raisons économiques". 

"Il y a plusieurs raisons à cette hausse spectaculaire - une situation dramatique en Syrie, en Erythrée, au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo, en Irak combinée au fait que la Libye est de facto un État défaillant où la loi n'est pas appliquée. Cela a créé des conditions idéales pour les trafiquants de personnes qui opèrent en Libye en toute impunité", a pour sa part expliqué Ewa Moncure, porte-parole de Frontex, à l’Agence AFP.

Entre octobre 2013 et septembre 2014, plus de 230 000 immigrés ont pénétré illégalement dans l'UE, dont 190 000 par la mer, indique le rapport. Près de 100 000 des passages recensés pendant le troisième trimestre ont été effectués par la mer, soit trois fois plus que l’année précédente, note Frontex. Deux tiers de ces clandestins ont été enregistrés en Italie et 27 % de tous les migrants recensés sur cette frontière étaient des Syriens. Deux tiers des Syriens partaient de Libye, où le nombre de départs a augmenté de 50 %.

Les Syriens sont la plus importante nationalité, la plupart partent de Libye

Parmi ces personnes entrées illégalement, les Syriens représentent la plus importante nationalité : ils étaient 37 533 au troisième trimestre de 2014, contre 16 429 au trimestre précédent et 4 714 sur les trois premiers mois de 2014. Le nombre des fugitifs venus d'Erythrée, le deuxième groupe le plus important, a en revanche baissé, passant de 16 994 au second trimestre à 13 672 au troisième trimestre de l'année.

Au total, 164 000 immigrés ont demandé l'asile dans l'UE au troisième trimestre de 2014, soit une hausse de 69 % sur un an. Là aussi, les Syriens ont été les plus nombreux (40 752), devant les Erythréens (18 900). Au troisième trimestre, l’Italie a connu une explosion des demandes d’asile (+ 474 %), suivi du Danemark (+ 262 %). En Allemagne, l’augmentation était de 67 %, tandis qu’elle reculait en France (- 6 %). Au Luxembourg, la hausse était de 4 %.

Sur l'ensemble de 2014, plus de 170 000 immigrés clandestins sont arrivés par la mer en Italie, et plus de 50 000 en Grèce, indique Frontex qui ajoute que ces deux pays ont vu le nombre d’entrées illégales tripler en un an.

Quant à l’opération de sauvetage italienne Mare Nostrum, Frontex indique que "les réseaux criminels ont exploité la présence des vaisseaux italiens déployés à proximité des côtes libyennes".

Le rapport pointe les pratiques douteuses des passeurs

Quant aux pratiques des groupes criminels, le rapport relate un article du International Businness Times du 18 septembre 2014, selon lequel un gang de passeurs de nationalité libyenne et érythréenne auraient prévu d’utiliser des clandestins qui ne peuvent pas payer la traversée "comme main-d’œuvre ou donneurs d’organes".  Frontex indique par ailleurs que, puisque les passeurs "disposent de peu de navires, ils récupèrent souvent les bateaux des précédentes traversées laissés à la dérive, après le secours des passagers, pour ramener ces embarcations en Libye et les réemployer".

Le conflit ukrainien a provoqué une hausse des entrées illégales d’Ukrainiens, note Frontex, notamment en Pologne (+ 91 % entre le premier et le troisième trimestre). "Les Ukrainiens continuent d’être la principale nationalité à se voir refouler aux frontières de l’UE", indique le rapport, à savoir 5 198 refus, une hausse de 35 % par rapport au trimestre précédent.

Quant à l’exode des Kosovars observé notamment au début de l’année 2015, Frontex note déjà une explosion des demandes d’asile de Kosovors en Hongrie au troisième trimestre 2014  (+ 736 %).