Principaux portails publics  |     | 

Justice, liberté, sécurité et immigration
Le Conseil européen extraordinaire décide de tripler les moyens de l’opération de surveillance des frontières maritimes Triton et envisage une action pour détruire préventivement les embarcations utilisées par les passeurs en Libye
23-04-2015


De gauche à droite:  Alexis Tsipras, le Premier ministre grec et Xavier Bettel, le Premier ministre luxembourgeois, lors du Conseil européen du 23 avril 2015 (source: Conseil)Convoqués en urgence pour un Conseil européen extraordinaire suite aux tragédies à répétition en Méditerranée, les chefs d’Etat et de gouvernement des 28 Etats membres de l’Union européenne (UE) ont réaffirmé, le 23 avril 2015,  que l’UE "mettra en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour éviter toute nouvelle perte de vies humaines en mer", notamment via le renforcement de la présence européenne en mer, de la lutte contre les trafiquants et la prévention des flux migratoires illégaux.

Concrètement, les dirigeants européens ont ainsi décidé de tripler les moyens alloués à l’opération de surveillance maritime Triton, qui avec 9 millions d’euros mensuels disposera désormais d’un budget similaire à celui de l’opération italienne de sauvetage en mer "Mare Nostrum" menée entre octobre 2013 et novembre 2014. Ils se sont par ailleurs accordés sur la préparation d’"une éventuelle mission" en vue de détruire les embarcations utilisées par les passeurs, dont les travaux ont été confiés à la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini.

Le contexte

Dès le lendemain de la disparition de près de 800 migrants lors du naufrage d’un chalutier en mer Méditerranée dans la nuit du 18 au 19 avril 2015, dernière tragédie du genre au large des côtes de l’UE, la question d’un renforcement de l’action de l’UE en la matière s’est une nouvelle fois invitée à la table des responsables européens. Le sujet a ainsi été mis à l’ordre du jour du Conseil Affaires étrangères du 20 avril 2015, lors duquel une réunion extraordinaire conjointe avec les ministres de l’Intérieur des Etats membres a notamment permis de s’accorder  sur un plan en dix points pour lutter contre les trafiquants de migrants en Méditerranée. Celui-ci prévoyait notamment le doublement du budget mensuel des opérations Triton et Poséidon.

A l’issue de cette réunion, le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait de son côté annoncé la convocation d’une réunion extraordinaire du Conseil européen, le 23 avril 2015. Dans sa lettre d’invitation, il soulignait que l'objectif était "de débattre, au plus haut niveau, des mesures que nous, États membres et institutions de l'UE, pouvons prendre pour remédier dès à présent" à une situation assimilée à "une tragédie", la "priorité absolue" étant "de faire en sorte que plus personne ne meure en mer". Si dans cette lettre, le sommet était alors simplement qualifié de "réunion extraordinaire", dans la déclaration diffusée par les dirigeants européens à son issue, son intitulé a été revu pour devenir une "réunion extraordinaire du Conseil européen consacrée aux pressions migratoires en Méditerranée", mettant donc plus l’accent sur le phénomène migratoire dans son ensemble que sur le seul sauvetage des personnes en détresse lors de leur traversée vers les côtes européennes.

La déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement

Dans leur déclaration diffusée à l’issue du sommet, les dirigeants européens soulignent que l’UE "agissant en coopération avec les pays d'origine et de transit, mettra en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour éviter toute nouvelle perte de vies humaines en mer et s'attaquer aux causes profondes de la détresse humaine à laquelle nous sommes confrontés". "Notre priorité immédiate est de faire en sorte que plus personne ne meure en mer", poursuivent-ils.

Renforcer la présence européenne en mer

Concrètement, les chefs d’Etat et de gouvernement des 28 s’engagent à renforcer "rapidement" la présence européenne en mer en augmentant les moyens des opérations Triton et Poséidon menées par l'UE, dont les ressources financières seront "au moins" triplées à cette fin en 2015 et 2016, "ce qui permettra de renforcer les possibilités de recherche et de sauvetage dans le cadre du mandat de Frontex", précise la déclaration. Ainsi, l’opération Triton, dont le budget atteignait 3 millions d’euros par mois, disposera désormais d’un budget similaire à celui de l’opération italienne de sauvetage en mer "Mare Nostrum" menée entre octobre 2013 et novembre 2014, s’est félicité le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, lors de la conférence qui a suivi la réunion. S’il a indiqué qu’il aurait préféré davantage d’ambition, il a reconnu que les conclusions du Conseil européen permettront à la Commission de "poursuivre nos réflexions", notamment en matière de quotas et d’immigration légale, dans le cadre de la stratégie pour les migrations qu’elle présentera le 13 mai 2015.

Interrogé lors de la même conférence sur la question du changement de mandat de l’opération Triton pour qu’elle puisse "sauver des vies dans les eaux internationales" (Triton n’intervient que jusqu’à 30 miles au large des côtes italiennes), le président Tusk a répondu que selon le droit de la mer, on était "obligés d’intervenir en cas de tragédie" et que "le triplement des aides à Frontex servira aussi à faire face à ce genre de cas de figure". Selon lui, il n’est donc "pas nécessaire de changer le mandat" de Triton. De plus, cela "prend[rait] des mois , or nous voulons pouvoir agir et réagir dans l’immédiat". "Face à une catastrophe, il est clair qu’il n’y a pas de limite qui joue, qu’elle soit géographique, ou d’ordre juridique, il y a une véritable obligation d’action", a-t-il ajouté.

Lutter contre les trafiquants dans le respect du droit international

La lutte contre les trafiquants, dans le respect du droit international, est une autre priorité des dirigeants de l’UE qui veulent "démanteler les réseaux de trafiquants, traduire les responsables en justice et saisir leurs biens", grâce à une coopération entre les États membres et les agences de l’UE (Frontex, Eurojust, etc.), ainsi que par "un renforcement de la coopération avec les pays tiers dans le domaine du renseignement et en matière policière". Les chefs d’Etat et de gouvernement ajoutent "qu’étant donné que l'instabilité qui règne en Libye crée un environnement idéal pour les activités criminelles des trafiquants, nous soutiendrons activement tous les efforts menés sous l'égide des Nations unies pour rétablir l'autorité de l'État en Libye".

Dans ce contexte, les dirigeants se sont par ailleurs accordés sur la préparation d’"une éventuelle mission" relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) en vue de détruire les embarcations utilisées par les passeurs, dont les travaux ont été confiés à la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini. Pour cette mission, dont il n’est pas précisé si elle aura un caractère civil ou militaire, il s’agira d’"entreprendre des efforts systématiques en vue d'identifier, de capturer et de détruire les embarcations avant qu'elles ne soient utilisées par les trafiquants". "Naturellement, cela se fera en conformité avec le droit international et dans le respect des droits de l'homme", a encore précisé Donald Tusk dans une déclaration à la presse à l’issue du sommet.

Prévenir les flux migratoires illégaux

La prévention des flux migratoires illégaux est la troisième priorité mise en avant par les dirigeants européens qui veulent "accroître le soutien accordé notamment à la Tunisie, à l'Égypte, au Soudan, au Mali et au Niger, en vue d'assurer la surveillance et le contrôle des frontières" et "renforcer le dialogue mené avec l'Union africaine (UA) à tous les niveaux sur l'ensemble de ces questions". Le renforcement de "la coopération politique avec les partenaires africains à tous les niveaux" est ainsi mis en avant, l’UE prévoyant d’aborder  ces questions avec l'UA et les pays clés concernés lors d'un sommet à Malte dans les prochains mois, lit-on.

Pour le Conseil européen, il s’agira par ailleurs de déployer dans des pays clés des officiers de liaison "Immigration" européens chargés de recueillir des informations sur les flux migratoires, d'assurer la coordination avec les officiers de liaison nationaux et de coopérer directement avec les autorités des pays concernés. En outre, les chefs d’Etat et de gouvernement invitent la Commission et la haute représentante à mobiliser tous les instruments "pour favoriser la réadmission des migrants économiques en situation irrégulière dans les pays d'origine et de transit". Dans ce contexte, il s’agira, "tout en respectant le droit de demander l'asile, [de] mettre en place un nouveau programme de retour, coordonné par Frontex, en vue d'assurer le retour rapide des migrants clandestins qui se trouvent dans des États membres situés en première ligne", précise la déclaration du Conseil européen.

Renforcer la solidarité et la responsabilité internes

Enfin, les chefs d’Etat et de gouvernement insistent sur la nécessité de renforcer la solidarité et la responsabilité internes. Il est ainsi question d’assurer rapidement la transposition intégrale et la mise en œuvre effective du régime d'asile européen commun ainsi que d’accroître l'aide d'urgence destinée aux États membres qui se trouvent en première ligne. Il s’agira par ailleurs d’"examiner les possibilités d'organiser une répartition d'urgence entre tous les États membres sur une base volontaire" et de "mettre en place un premier projet pilote volontaire en matière de réinstallation dans toute l'UE, proposant des places à des personnes ayant droit à une protection", lit-on encore dans la déclaration. "Pour ceux qui ne sont pas admissibles en tant que réfugiés, nous allons mener une politique de retour efficace", a précisé Donald Tusk à l’issue du sommet.

Interrogé lors de la conférence de presse de clôture du sommet sur l’ "engagement concret" des pays européens en matière d’accueil des demandeurs d’asile, Jean-Claude Juncker a précisé que la base volontaire avait été retenue car "pour le moment, nous n’avons pas les textes juridiques qui nous permettent de faire autrement, de manière obligatoire". Cependant, il n’y a pas eu "d’engagement concret de la part des pays européen", a fait savoir le président de la Commission, tout en ajoutant qu’"ils interviendront dans les semaines à venir".

Toute intervention devra respecter le droit international, selon Xavier Bettel

A l’issue du Conseil européen extraordinaire, le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel a de son côté souligné la nécessité "d’intervenir sur place" en respectant le droit international, soit avec un mandat de l’ONU, soit avec un gouvernement d’unité nationale en Libye. Quant aux moyens financiers pour les missions en mer dont le montant a été triplé, Xavier Bettel a estimé qu’on "ne pouvait pas offrir moins que Mare Nostrum", ni "laisser seuls les Italiens". Selon le Premier ministre, les discussions sur une contribution luxembourgeoise, comme par exemple une participation de Luxemburg Air Rescue (LAR),  sont encore en cours.

En amont du Conseil, le Premier ministre avait souligné, à l’instar du chef de la diplomatie luxembourgeoise, qu’il ne s’agissait "pas seulement d’un problème européen, mais d’un problème international" et que l’UE avait besoin des pays arabes et africains. Il avait également souligné l’importance de la politique de coopération en matière de prévention et l’engagement du Luxembourg dans ce sens. Interrogé sur un "Mare Nostrum européen", il avait encore indiqué qu’il fallait faire "attention au message" et ne pas donner aux passeurs l’impression qu’ils pourraient abandonner les personnes en mer, puisqu’elles seraient sauvées de toute façon.

Selon la chancelière allemande Angela Merkel, le sauvetage de vies humaines était au centre des discussions lors d’une conférence de presse. Elle a souligné l’importance d’agir rapidement : "Je le dis clairement pour l’Allemagne. S’il s’avère que l’argent ne suffit pas, il faudra en discuter de nouveau. L’argent ne doit pas jouer aucun rôle ici". Elle a insisté sur le fait que trois quarts des demandeurs d’asile sont répartis sur cinq pays (Suède, Allemagne, Hongrie, Italie et France) et plaidé pour un "allègement" de la charge de ces pays, qui se fera sur un mode volontaire. "Nous attendons que tous les Etats membres y participent", a-t-elle dit.

Le Premier ministre britannique David Cameron s’est félicité du fait que d’autres Etats membres se sont "joint au Royaume-Uni et vont offrir des capacités militaires" dans le but de sauver des vies. Il a appelé à une "stratégie globale" pour lutter contre les réseaux criminels de passeurs et stabiliser les pays dont viennent les réfugiés.

Le Premier ministre Matteo Renzi, qui avait réclamé ce sommet et demandé plus d’argent pour le sauvetage en mer, a déclaré que "pour la première fois nous avons une approche systématique". "Beaucoup se sont dits prêts à aider, mais personne ne peut obliger un Etat à le faire", a-t-il ajouté. "Nous verrons dans les prochaines semaines et dans les prochains mois si nous sommes capables de passer des paroles aux actes", a-t-il conclu.