Principaux portails publics  |     | 

Entreprises et industrie - Audiovisuel et médias - Recherche et société de l'information
La 8e journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelle a été largement consacrée aux enjeux de la réforme du droit d’auteur à l’heure du développement croissant des nouvelles technologies et du futur marché unique numérique
27-04-2015


La 8ème journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelle qui s'est tenue le 27 avril 2015 à Esch-sur-AlzetteLe 27 avril 2015, la 8e journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelle s’est tenue à la Rockhal d’Esch-sur-Alzette. Cet événement coïncidait avec la journée mondiale de la propriété intellectuelle, qui a lieu chaque année le 26 avril, et avec le lancement du site internet du nouvel Institut de la Propriété Intellectuelle Luxembourg (IPIL). Cinq intervenants venus d’horizons différents, Commission européenne, secteur public et privé, milieu artistique et monde de la presse, ont présenté les enjeux du droit d’auteur et de sa réforme dans le contexte du développement croissant des nouvelles technologies.

Dans son discours d’ouverture, la secrétaire d’Etat à l’Economie, Francine Closener, a insisté sur la "nécessité absolue de trouver des solutions pour pouvoir proposer des contenus légaux au utilisateurs et garantir les droits d’auteur", et a rappelé "l’urgence d’en finir avec le morcellement du marché européen en "28 mini-marchés" nationaux" qu’Etienne Schneider, Ministre de l’Economie du Luxembourg, avait déjà défendue lors du Conseil Compétitivité du 2 mars 2015 largement consacré au marché unique numérique. A ce titre, elle a rappelé qu’il reviendra à la future Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE de faire avancer les travaux relatifs au paquet de mesures sur le "marché unique numérique" que la Commission européenne prévoit de publier au mois de mai.

Le droit d’auteur à l’heure du Marché unique numérique, par Maria Martin-Prat

Maria Martin-Prat à la 8ème journée luxembourgeoise de la propriété intellectuellePremière conférencière à prendre la parole, Maria Martin-Prat, chef de l’unité en charge du droit d’auteur à la Direction générale CNECT de la Commission européenne, a présenté les enjeux de la réforme en cours du droit d’auteur dans le contexte de la création du marché unique numérique. Après avoir rappelé que cela constituait l’un des principaux objectifs de la nouvelle Commission, Maria Martin-Prat a indiqué qu’aujourd’hui, on assiste à une "dématérialisation des droits d’auteur". En effet, auparavant les droits d’auteur étaient surtout fondés sur l’achat (d’un livre, d’un film, etc.), alors qu’aujourd’hui on a accès à tous ces contenus et ces œuvres en ligne. "Cela change énormément la façon dont le marché, les ayant-droits, les consommateurs perçoivent la protection du contenu", a-t-elle souligné. De plus, les droits d’auteur sont confrontés à des "obstacles transfrontaliers", certains contenus n’étant pas disponibles selon les pays de résidence. Dans ce contexte, un certain nombre de questions se pose par rapport au cadre juridique existant en matière de droits d’auteur qui repose sur la directive 2001/29/CE, a indiqué Maria Martin-Prat.

 

Ce cadre juridique est "assez harmonisé mais n’arrive pas toujours au niveau d’harmonisation nécessaire pour faire fonctionner un marché numérique sans frontières", a ajouté Maria Martin-Prat. Ainsi, le nouveau cadre juridique devra surtout se concentrer sur les questions de la territorialité. "Il ne faut pas tant regarder comment les droits sont définis mais la façon dont le droit est exercé quand il y a des frontières au milieu", a souligné Maria Martin-Prat. Il y aura donc un équilibrage à faire entre le droit d’auteur et l’autre liberté fondamentale que constitue la libre prestation de service. En matière d’exceptions au droit d’auteur, il va également falloir arriver à un niveau plus élevé d’harmonisation et s’attaquer à la question complexe de la mise en œuvre des droits selon les Etats membres.

Présentation du nouvel Institut de la Propriété Intellectuelle Luxembourg

Serge Quazzotti à la 8ème journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelleSerge Quazzotti, directeur de l’Institut de la Propriété Intellectuelle Luxembourg (IPIL) a ensuite pris la parole pour décrire les missions de ce nouvel instrument, dont la création a été décidée lors du Conseil de gouvernement du 1er août 2014.

L’IPIL se voit investi de plusieurs missions : coordonner la mise en œuvre de la politique publique et fédérer les acteurs impliqués, conduire des projets et des études afin de conseiller le gouvernement, développer et offrir des services d’accompagnement aux entreprises, acteurs de la recherche, institutions publiques et tout autre public intéressé, et enfin offrir des formations ainsi que des activités de promotion et de sensibilisation, a fait savoir Serge Quazzotti.

L’institut va pouvoir "s’appuyer sur des acquis existants", notamment le Centre de veille technologique (CVT), développé en coopération avec l’Office de la propriété intellectuelle et le Centre de Recherche Public (CRP) Henri Tudor, et les nombreux contacts et réseaux au niveau international noués depuis la mise en place du CVT en 1994.

En matière de coopération internationale, l’IPIL est impliqué dans des initiatives lancées par la Commission européenne, a fait savoir Serge Quazzotti, dont notamment le projet "European IPR Helpdesk" qui a vocation à offrir gratuitement aux chercheurs et PME participant à des projets européens, des conseils et de l’information de premier niveau en propriété intellectuelle en en droit de la propriété intellectuelle.

"Affaiblir le droit d’auteur serait un acte politique hautement irresponsable", met en garde Alvin Sold

Alvin Sold lors de la 8ème journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelleAlvin Sold, président d’honneur de l’ENPA (European Newspaper Publishers Association), membre de son comité exécutif, et président de l’Association Luxembourgeoise des Editeurs de Journaux (ALEJ) a plaidé pour un renforcement des droits d’auteur et des droits voisins. "Dans notre métier, qui est un métier honnête, on ne vole pas, on ne plagie pas, sous peine d’être lourdement pénalisé", a-t-il indiqué tout en ajoutant qu’il n’était "pas envisageable d’abandonner le fruit de nos efforts au pillage". Cela est d’autant plus important dans un contexte de "dépolitisation rampante" de la société, où la presse est un "quatrième pouvoir indispensable" a-t-il ajouté. "Une opinion publique souveraine ne peut être formée sans une presse libre et pluraliste, or la presse ne peut remplir sa mission sociétale que si certaines conditions sont réunies. Parmi ces conditions, le renforcement du droit d’auteur est d’une importance vitale". Et d’évoquer l’eurodéputée Julia Reda (Verts/ALE), rapporteur sur le dossier des droits d’auteur et des droits voisins, qui "plaide pour des réformes visant à affaiblir le droit d’auteur en ajoutant des exceptions du type ‘fair use’ à l’américaine et ’text and data mining’". Cela serait une "erreur monumentale" et reviendrait à "un acte politique hautement irresponsable".

Ainsi, les des éditeurs de médias européens qui, comme le rappelle Alvin Sold, réalisent dans l’UE un chiffre d’affaire annuel de 76 milliards d’euros et emploient un million de personnes, "recommandent aux autorités politiques de soumettre le contenu courant ou archivé de la presse à un système de licence d’utilisation selon des modalités adaptées aux besoins spécifiques". Dans le cadre de "notre lutte contre le parasitisme", les éditeurs de médias souhaitent également le statut d’éditeur de presse soit aligné à celui d’éditeur de média audiovisuel en termes de droits voisin et de présomption de session. Enfin, ils exigent que toutes les communications électroniques qui transitent sur internet doivent faire l’objet d’un traitement équivalent, autrement dit, ils soutiennent le projet de neutralité du net, sujet actuellement en cours de négociation au Parlement européen.

Enfin, Alvin Sold a plaidé pour une harmonisation au niveau européen des taux de TVA affectés aux abonnements à la presse, taux qui varie selon les pays et s’élève à 3 % au Luxembourg. "L’information générale du citoyen ne devrait pas être taxée", a-t-il indiqué. De plus, le conférencier a déploré que les éditions numériques, qui sont "déjà plus exposées au vol de leur contenu que les éditions imprimées", se voient appliquer, au Luxembourg, le taux de TVA standard de 17 %. Celles-ci ne sont aux yeux de l’UE "qu’un simple service numérique" alors que les journalistes y travaillent dans les mêmes conditions que leurs collègues affectés à l’édition imprimée, a-t-il rappelé. Aussi, Alvin Sold en appelle au gouvernement luxembourgeois de soutenir les éditeurs de presse européens dans leur démarche d’uniformisation des taux de TVA appliqués au secteur de la presse, "quelle que soit la plate-forme de distribution, et en préservant la possibilité d’appliquer des taux réduits, super-réduits ou nuls".

"Ce qui est dans l’intérêt des créateurs l’est aussi dans l’intérêt du public", selon Jake Beaumont-Nesbitt

Jake Beaumont-Nesbitt lors de la 8ème journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelleJake Beaumont-Nesbitt, Policy director à l’International Music Managers Forum (IMMF), une association qui regroupe les dirigeants du secteur de la musique dans 15 pays, et dont le siège est à Luxembourg, est revenu sur l’importance des droits d’auteur dans le domaine musical, et plus particulièrement du point de vue des créateurs.

Jake Beaumont-Nesbitt a souligné le fait que de nombreux créateurs sont très intéressés par les questions qui touchent à la propriété intellectuelle, et notamment par l’impact des droits d’auteur sur la créativité, car souvent, ils font face à un manque d’information sur le sujet. Mais, a-t-il objecté, "il est très difficile pour les créateurs, qui sont souvent très occupés, de participer à la définition du nouveau concept de copyright". "Nous en sommes actuellement à une phase de compréhension du droit d’auteur, où nous rencontrons des avocats, des intellectuels, et discutons des interactions que peuvent avoir les artistes avec leur public", a t-il fait savoir, avant d’ajouter qu’il existe aussi sur internet de nombreux "fans pro-actifs" qui souhaitent contribuer au droit d’auteur. Cela est notamment possible avec le système américain du "fair use", système qui apporte des limitations et des exceptions au droit d’auteur afin de prendre en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des droits d'auteur et l'intérêt public. Dans ce contexte, Jake Beaumont-Nesbitt a souligné le fait que de nombreux utilisateurs européens se trouvent bloqués, car ils n’ont pas payé pour écouter un morceau, et a contrario, de nombreux artistes ont l’impression que leurs interactions avec leur public sont restreintes.

L’intervenant a ensuite rappelé que pour lui, à l’heure du numérique, les créateurs "doivent accepter que l’ancien modèle relatif à la rémunération des artistes n’est plus valable, et qu’on ne peut demander aux consommateurs de payer une taxe supplémentaire". Et de louer les grandes entreprises comme Google ou Spotify qui offrent aux artistes des dispositifs de se faire connaître. "Cela est particulièrement intéressant pour les artistes issus de petits marchés", a-t-il ajouté.

En guise de conclusion, Jake Beaumont-Nesbitt a rappelé que, si de nombreuses avancées avaient été faites en matière du côté des consommateurs, "nous voulons voir des progrès du côté des artistes, et nous assurer qu’ils ont accès aux informations sur le droit d’auteur et comprennent comment cela fonctionne".

"Ce qui est dans l’intérêt des créateurs l’est aussi dans l’intérêt du public. Les deux choses sont indivisibles", a conclu Jake Beaumont-Nesbitt.

"Il faut un cadre juridique accueillant pour les créateurs", a indiqué Cédric Manara de Google

En dernier lieu, Cédric Manara, spécialiste des questions juridiques touchant à internet et à la propriété intellectuelle et actuellement conseiller juridique auprès de Google, a parlé de la réforme du droit d’auteur sous l’angle de l’Internet. Rappelant que le domaine que couvre le droit d’auteur est immense, le conférencier a démontré que le champ de gravité du droit d’auteur a changé. "Là où le droit d’auteur ne concernait que quelques lettrés au 19e siècle, le phénomène s’est aujourd’hui complètement démocratisé".

En effet, à l’heure où 758 millions de photos sont partagées chaque jour sur Internet (août 2013), 99 % des créations et des copies qui circulent sur Internet concernent tout un chacun". Et il existe d’autres exemples illustrant le fait que le droit d’auteur s’est démocratisé : les ‘fanfiction’, phénomène en vogue sur Internet à l’heure actuelle, qui permettent à des fans de prolonger, voire de réécrire des histoires existant déjà et de les publier sur Internet. On peut parler aujourd’hui de "génération spontanée de création", a ajouté Cédric Manara.

Dans ce contexte, en tant qu’utilisateur, on s’attend à avoir les mêmes droits, les mêmes possibilités pour accéder à du contenu en ligne qu’on avait auparavant, a indiqué Cédric Manara avant d’ajouter que "dès que le centre de gravité du droit d’auteur change et qu’un nombre important d’entre nous accède à ce monde de la création, il y a d’autres questions difficilement solubles qui se posent", notamment en termes de droit.

Justement, la directive "droit d’auteur" a été mise en place à une époque où l’Internet était encore bas débit, où l’activité de création en ligne concernait surtout des forums de discussion, a indiqué le conférencier. "C’est une directive complexe mais qui s’adresse au plus grand nombre. Dès lors qu’on est tous auteurs, comment fait-on alors pour comprendre le droit d’auteur ?", a-t-il demandé. La directive liste également 20 exceptions optionnelles, mais comment fait-on pour savoir si quelque chose est légal dès qu’on franchit une frontière ? "Le droit d’auteur est devenu extrêmement complexe, à l’opposé des attentes de ceux qui sont concernés", a noté Cédric Manara, soulignant que la législation européenne en matière de droit d’auteur était dans un "état dramatique".

Enfin, le conférencier a déploré le fait que de nombreux créateurs d’entreprises et de start-ups émigrent vers les Etats-Unis car "il suffit aujourd’hui d’un ordinateur pour pouvoir démarrer une activité de nouvelle technologie". L’enjeu réside donc dans l’introduction d’une flexibilité qui permettrait d’accompagner la création de richesse nouvelle dans notre droit d’auteur. "Si le droit est trop strict, trop rigoureux, on va fixer un cadre trop étroit et étriqué pour l’innovation", ce qui serait préjudiciable à la création d’entreprises et de start-ups en Europe, a estimé en conclusion le conseiller de Google.