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Justice, liberté, sécurité et immigration
Le Parlement européen adopte son deuxième rapport intérimaire sur le projet de Parquet européen à l’issue d’un débat où les critiques ont été vives au sujet des discussions en cours au Conseil
29-04-2015


Parquet européen - Source de l'illustration : Commission européenneLe 29 avril 2015, le Parlement européen a voté en faveur du deuxième rapport intérimaire sur le projet de Parquet européen sur les fraudes au budget de l’UE. Ce rapport vient compléter une résolution adoptée le 12 mars 2014 en plénière dans laquelle les eurodéputés ont demandé au Conseil de l'associer étroitement à ses travaux et donné des recommandations quant à la nature de ce Parquet. La Commission européenne avait présenté en juillet 2013 ce projet de Parquet européen afin d'améliorer, à l’échelle de l’Union, les procédures permettant de poursuivre les auteurs de fraudes préjudiciables aux contribuables de l’UE. Le projet intéresse tout particulièrement le Luxembourg qui devrait accueillir le siège de ce futur Parquet. Vu qu’il s’agit d’un domaine qui relève de la compétence des Etats membres, le Parlement européen pourra seulement approuver ou non le projet ("procédure d’approbation").

Le rapport a été adopté par 487 voix pour, 135 contre et 33 abstentions. Cinq eurodéputés luxembourgeois (Georges Bach (PPE), Viviane Reding (PPE), Mady Delvaux (S&D), Charles Goerens (ADLE) et Claude Turmes (Verts/ALE)) ont voté en faveur du texte, tandis que Frank Engel (PPE) n’a pas participé au vote.

Les recommandations du rapport intérimaire

Dans le rapport intérimaire, adopté le 19 mars 2015 par la commission des  libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), le Parlement européen appelle encore le Conseil à le tenir pleinement informé et à le consulter régulièrement. Il se prononce en faveur de l'établissement d'un Parquet européen unique, fort et indépendant. Les députés rappellent que les infractions pénales concernées devraient être définies dans la proposition de directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union au moyen du droit pénal (dite "directive PIF"). Ils appellent le Conseil à "redoubler d'efforts pour trouver un accord sur cette directive en tant que condition préalable à la création du Parquet européen".

Les eurodéputés insistent notamment sur l’indépendance vis-à-vis des gouvernements nationaux et des institutions européennes et la transparence en ce qui concerne les procédures de sélection et de nomination du procureur général européen et des procureurs européens. Ces personnes devraient être présélectionnées par la Commission européenne, "à la suite d'une évaluation par un groupe d'experts indépendant composé de juges, de procureurs et de juristes". Ils appellent à une répartition claire des compétences entre le Parquet européen et les autorités nationales, et estiment que les compétences du Parquet européen devraient "s'étendre aux infractions autres que celles portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, sous certaines conditions".

Les eurodéputés appellent à une structure rationnelle du Parquet et déplorent que les États membres "examinent la possibilité d'une structure collégiale, au lieu de la structure hiérarchique initialement proposée par la Commission". Quant aux affaires transfrontalières, le rapport appelle le législateur à veiller à une "harmonisation des procédures devant être engagées par le Parquet européen en vue d'obtenir l'autorisation de mettre en œuvre des mesures d'enquête". Finalement, le rapport insiste sur une protection juridictionnelle cohérente des suspects et des personnes poursuivies.

Le débat en séance plénière

Lors d’un débat en plénière qui s’est tenu le 28 avril 2015 en amont du vote, la rapporteure Monica Macovei (PPE) a déploré qu’il "n’existe pas, au niveau de l’UE, un mécanisme efficace de lutte contre la fraude contre les intérêts financiers de l’UE". Elle a souligné que les enquêtes fonctionnent dans certains Etats, mais qu’elles sont inefficaces voire inexistantes dans d’autres. A cause de ces différences dans les Etats membres, il est "nécessaire et vital" d’avoir un procureur européen pour que les enquêtes soient menées de manière plus rapide et plus efficace, notamment si des groupes organisés opèrent dans plusieurs Etats membres. "C’est de l’argent volé destiné aux jeunes et à la recherche, alors que la pauvreté augmente", a-t-elle insisté, en évoquant un montant de fraude de 5 milliards d’euros par an. Elle a encore mis en garde contre le fait que "le terrorisme se finance à partir de cette fraude".

Věra Jourová, commissaire européenne en charge de la Justice, s’est engagée à mettre en œuvre le Parquet européen en 2016, tout en reconnaissant des "négociations complexes". Elle s’est aussi engagée à assurer l’indépendance et l’efficacité d’un futur Parquet européen, s’exprimant en faveur d’une division et de règles claires en matière des compétences. "Il faut rappeler qu’il n’existe aucun modèle ou solution toute faite pour ce Parquet", a-t-elle insisté. Pour la Commission, le mode de fonctionnement du Parquet devrait être inspiré par les instruments de coopération intergouvernementale. Quant au contrôle judiciaire, ce n’est pas la Cour de justice de l’UE qui devrait en être chargé,  a estimé la commissaire, car cela conduirait à une surcharge de l’institution. "On ne parle pas d’une douzaine de cas par an, mais plutôt d’une centaine, voire d’un millier", a-t-elle fait savoir. Elle s’est encore félicitée du fait que le rapport intérimaire "soutient" l’objectif global de la Commission européenne, à savoir la lutte contre la corruption. Elle a évoqué des estimations selon lesquelles 1 à 2 milliards d’euros pourraient être restitués au budget de l’UE grâce à des enquêtes contre la fraude.

Au nom de la commission des affaires juridiques (JURI), Victor Negrescu (S&D) a regretté le fait que trois propositions formulées dans l’avis de la commission JURI n’ont pas été retenues dans le rapport intérimaire. Il s’agissait entre autres de la nécessite de garantir l'indépendance du Parquet européen "vis-à-vis de toute influence injustifiée de la part d'un parti politique, des autorités politiques, administratives ou judiciaires nationales ou des institutions européennes". Une autre proposition rejetée concernait l’élargissement de la mission du Parquet afin de conduire des enquêtes transfrontalières, "comme la criminalité organisée et le terrorisme". Le groupe S&D a néanmoins soutenu ce rapport intérimaire parce qu’il "nous aide à combattre la corruption de manière plus effective", a souligné Victor Negrescu.

Ingeborg Grässle (PPE), présidente de la commission du contrôle budgétaire, a dénoncé l’absence au débat de la présidence lettone du Conseil de l’UE, alors qu’il s’agit d’une "rare occasion". "Ce qui est sur la table n’est pas suffisant, je suis déçue", a-t-elle insisté. "Nous sommes condamnés à réussir. Il faut rappeler au Conseil que l’on a besoin d’une autorité efficace et non pas d’une autorité qui n’arrive pas à faire ce qu’elle doit faire". Elle a rappelé qu’il y a eu déjà cinq trilogues, mais qu’il est "très difficile de faire avancer le dossier au Conseil", car les Etats membres s’opposeraient à transférer des compétences au niveau européen où il en faut le plus, à savoir la lutte contre les crimes transfrontaliers. Elle a appelé le Parlement européen à s’opposer à une législation qui n’inclut pas la lutte contre les fraudes transfrontalières à la TVA. Le Parquet européen "doit avoir la compétence d’enquêter contre ces fraudes", a-t-elle insisté. "Nous avons besoin d’un procureur européen. Le dossier se trouve à un stade dramatique. Il faut inciter le Conseil à parler avec nous", a-t-elle dit.

Pour Sylvia-Yvonne Kaufmann (S&D), les fraudes au budget de l’UE ne sont pas une "peccadille". Vu que ces fraudes dépassent les frontières, l’UE doit agir "dans son propre intérêt". Le groupe S&D soutient la création d’un Parquet européen pour protéger les intérêts financiers de l’UE et créer un espace de droit commun, a-t-elle dit. Le rapport intérimaire est, selon elle, un "message clair" à l’adresse des négociateurs du Conseil que le Parlement européen "ne donnera pas de chèque en blanc". Il faut assurer l’indépendance du Parquet européen vis-à-vis des Etats membres, a-t-elle insisté en demandant que le Parlement européen soit associé au processus de sélection du personnel. Elle a également souligné l’importance du droit de la protection des données.

Timothy Kirkhope (ECR) a pour sa part appelé à se concentrer sur le "nombre considérable" d’agences existantes comme l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), Europol ou Eurojust. Il ne faut pas investir plus de ressources et plus de souveraineté nationale dans une "nouvelle agence qui ne fera pas de différence", a-t-il estimé, en appelant à un contrôle renforcé du budget de l’UE.

Pour Louis Michel (ALDE), le Parlement européen envoie un message fort en adoptant ce rapport, car il dit "oui au Parquet européen, mais non à une structure bureaucratique coûteuse, inefficace et dépendante des Etats membres qui se réfugient derrière le principe de souveraineté pour ne rien faire". Il a accusé "nombre d’Etats" de jouer un double-jeu : "en public, ils font l’éloge du Parquet européen, mais dans l’arrière-cour ils le vident de sa substance en maintenant un contrôle total sur son exercice", a-t-il insisté. Pour lui, c’est à l’UE de défendre ses intérêts financiers et de ne pas dépendre de la volonté des Etats membres.

Rina Ronja Kari (GUE/NGL) a pour sa part rappelé que 14 chambres parlementaires nationales de 11 Etats membres ont sanctionné la proposition de la Commission par un "carton jaune" contre une prétendue violation du principe de subsidiarité. Ils ont présenté des avis motivés dont la Commission a fait une analyse. "Les critiques des parlements nationaux sont justifiées", a déclaré l’eurodéputée qui plaide pour que le Parlement européen "rejette le projet en entier". Un Parquet européen qui aurait des pouvoirs exclusifs pourrait aller au-delà des prérogatives des Etats membres et contourner les prérogatives nationales, met-elle en garde.

A ce sujet, la commissaire Věra Jourová a expliqué qu’il ne s’agit pas pour elle d’un "dossier clos". Elle a souligné avoir des entrevues avec plusieurs membres de parlements nationaux et avoir eu des "réactions positives", en assurant que "la juridiction des parlements nationaux sera maintenue".

Jan Philipp Albrecht (Verts) a appelé le Conseil à prendre en compte les demandes du Parlement européen, faute de quoi ce dernier s’opposera au projet. Il a rappelé que la plupart des eurodéputés soutient la création d’un Parquet européen doté de normes procédures élevées. L’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes a pour sa part déclaré dans un communiqué que le travail du procureur européen devrait se faire avec un maximum de transparence. "Vu que le Luxembourg est devenue ces dernières années la capitale du droit européen, il est utile d’établir le Parquet européen au Luxembourg, où se trouve déjà la Cour de justice de l’UE", a-t-il ajouté.

Laura Ferrara (EFDD), membre du mouvement italien Cinq étoiles, a plaidé pour des bases juridiques solides, en appelant à une adoption rapide de la directive PIF. Elle a estimé qu’il faut élargir le champ d’application du Parquet européen à la lutte contre la mafia ou la lutte contre les fraudes à la TVA.