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Commerce extérieur - Economie, finances et monnaie
TTIP – Aline Fares, coordinatrice de l’expertise et des campagnes pour Finance Watch, a plaidé à Luxembourg pour que les services financiers ne soient pas inclus dans les négociations
18-05-2015


Invitée à Luxembourg par Etika, ATTAC Luxembourg et Altrimenti, Aline Fares, coordinatrice de l’expertise et des campagnes pour Finance Watch, a tenu le 19 mai 2015 une conférence Logo Finance Watchconsacrée à l’accord de libre-échange actuellement négocié entre UE et Etats-Unis (TTIP) et ce notamment du point de vue financier. L’occasion pour cette ancienne banquière de dresser un état des lieux d’un secteur financier qui mériterait d’être réformé en profondeur et de souligner qu’inclure les services financiers dans le TTIP risquerait d’aggraver encore les problèmes qu’elle pointe, cela tant dans le fonctionnement du secteur que dans le déséquilibre très net dans la représentation d’intérêts qu’induit la puissance du lobby financier.

AAline Fares à Luxembourg le 18 mai 2015, coordinatrice de l’expertise et des campagnes pour Finance Watch y était invitée par etika et ATTAC Luxembourg pour évoquer la question des services financiers dans le TTIPncienne employée du groupe Dexia à Luxembourg, puis à Bruxelles, où elle a notamment été conseillère auprès du directeur des activités de banque commerciale, Aline Fares fait partie des nombreuses personnes qui ont fait l’objet d’un plan social dans cet établissement qui fut la première banque européenne à faire les frais de la crise de 2008. Après avoir passé un an à réfléchir à ce qui avait pu arriver, et à se demander comment cela avait pu arriver, Aline Fares a rejoint à l’automne 2012 les rangs de Finance Watch, organisation créée en juin 2011 suite à l’appel de plus de 200 parlementaires affichant la volonté politique de réglementer la finance pour éviter qu’une telle catastrophe ne puisse se reproduire à nouveau. L’ONG, qui compte entre temps 13 salariés provenant pour la plupart du secteur financier, a donc pour fonction principale de faire un contrepoids au lobbying privé en offrant une expertise motivée par l’intérêt général, quand la plupart des experts sollicités aux différents niveaux des procédures législatives représentent en général exclusivement les intérêts du secteur.

Le TTIP s’inscrit dans le renforcement d’un discours prônant une plus grande ouverture à l’investissement privé de la part de la Commission Juncker

L’accord de libre-échange avec les Etats-Unis qui est en cours de négociations, le TTIP, forme, avec le CETA ou le TiSA, un ensemble cohérent avec la série de politiques et d’initiatives politiques lancées par la Commission Juncker, a assuré d’emblée la coordinatrice de l’expertise auprès des membres de Finance Watch. En effet, elle note avec l’arrivée de cette nouvelle Commission un renforcement d’un discours prônant une plus grande ouverture à l’investissement privé et, partant, favorisant une tendance à moins de réglementation et à un souci important en faveur de la protection des investissements privés. Un discours qui est nourri par l’espoir annoncé que l’Union des marchés des capitaux et les autres initiatives en question ramèneront la prospérité dans un contexte de profonde crise économique et sociale.

Comme l’a rappelé Aline Fares, la Commission s’est vu donner un mandat de négociations par le Conseil. Et elle ne manque pas de souligner que le TTIP n’est pas seulement un accord de libre-échange. En effet, les barrières douanières ne sont plus très nombreuses, et l’enjeu des négociations est de réduire les autres types de barrières au commerce transatlantique. La volonté de "réduire des barrières réglementaires plus contraignantes que nécessaires" est d’ailleurs explicite.

Le TTIP est vendu à coup d’annonces de bénéfices calculés sur des prévisions très incertaines, relève par ailleurs Aline Fares qui juge que les risques liés à cet accord sont en revanche, eux, très probables. Parmi ces risques, la représentante de Finance Watch évoque l’éloignement des décisions du processus démocratique, et, plus spécifiquement, le risque d’une plus grande libéralisation, ce qui, dans le secteur des services financiers, lui semble de mauvais augure dans la mesure où c’est l’excès de libéralisation qui a conduit à la crise.

Etat des lieux du système financier : depuis la crise, rien n’a changé…

Aline Fares a tenu à revenir sur le choc qu’avait été la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, avec toutes les réactions en chaîne qui s’en sont ensuivies et son lot de sauvetages aux montants exorbitants, avec l’impact que cela pu avoir sur les finances publiques et sur l’économie. Dans la foulée, le sommet du G20 de Pittsburgh a pu donner l’espoir que la réponse réglementaire serait assez forte pour qu’une telle crise ne puisse éclater à nouveau. Or, si le mot d’ordre était alors "We will never return to banking as usual", Aline Fares constate qu’aujourd’hui, rien n’a changé ni dans la structure, ni dans le fonctionnement du système financier, même si certains mécanismes mis en place font croire que nous sommes à l’abri. La prochaine bulle pourrait même être en train de se former à en croire certains analystes.

Parmi les problèmes du secteur financier qui subsistent, Aline Fares a notamment pointé que ce secteur est beaucoup trop grand. Ainsi, en 2012, le secteur bancaire européen représentait-il 350 % du PIB de l’UE, un volume énorme quand on pense que les sauvetages qui ont suivi la crise de 2008 ont représenté 13 % du PIB européen !

Autre objet d’inquiétude pour la coordinatrice de Finance Watch, le fait que le secteur bancaire n’est pas au service de l’économie réelle. Seuls 28 % du bilan des banques est consacré à des crédits octroyés aux ménages et aux entreprises non financières. Le reste correspond essentiellement à des activités de marché, dont la part qui est placée au service de l’économie réelle est évaluée par Finance Watch aux alentours de 10 %. Aline Fares donne pour premier exemple le marché des taux de change : le volume lié au soutien des échanges commerciaux entre différentes zones monétaires n’en représente que 4 %. Si les produits dérivés peuvent servir à couvrir les risques de change dans une transaction commerciale, ce type de produits dérivés, qui concerne une entreprise commerciale non financière, ne représente que 7 % d’un marché des produits dérivés qui connaît encore une croissance exponentielle. Dernier exemple cité, le marché des titres des émissions obligataires, lui aussi en expansion continue, dans lequel les titres émis par les entreprises non financières représentent une toute petite partie, tandis que ceux des Etats et des sociétés financières sont en forte hausse. Résultat, ce sont en tout et pour tout à peine 40 % des activités des banques et des marchés financiers qui sont dédiés à l’économie réelle.

Or, l’inflation de ces activités des marchés financiers non liées à l’économie réelle a conduit à l’émergence de très grandes banques qui dominent les marchés, signale Aline Fares en observant que la "structure bilantaire" de ces établissements financiers a évolué, les titres financiers représentant désormais la majorité de l’actif, quand c’étaient autrefois les prêts accordés, tandis que, côté passif, la dette dépasse désormais de très loin les dépôts et le capital. Les quatorze plus grandes banques européennes détiennent à elles seules plus de 80 % des titres de marchés dérivés, et ces acteurs majeurs des marchés financiers menacent en permanence la stabilité du système financier, s’inquiète Aline Fares. Et ce d’autant plus que ce qui est de l’actif chez l’une est du passif chez l’autre, le degré d’interconnexion étant tel que le moindre accident risque de se diffuser à l’ensemble du secteur.

Ce qui préoccupe encore Aline Fares, c’est l’impression de sécurité que donnent les mesures prises au niveau européen depuis l’éclatement de la crise financière alors que le système n’est pas stabilisé et n’est pas au service de l’économie réelle. Certes, le projet d’Union bancaire est plein de bonnes intentions et de mécanismes intéressants, et Aline Fares cite à ce titre le Mécanisme  unique de supervision (SSM) et le Mécanisme unique de résolution (SRM), qui aident à prévenir les crises et à protéger les finances publiques en cas de problèmes, ainsi que la directive CRD IV, qui vient renforcer la capacité d’absorption d’éventuelles pertes du secteur privé. Mais cet ensemble doit être fondé sur une révision des structures des banques. Et sur ce point, les ambitions ne cessent d’être revues "au plancher", déplore la coordinatrice de Finance Watch qui fait remarquer qu’en cas de grosse crise, ce qui a été mis en place ne saurait suffire si la structure des banques n’est pas revue. Le fonds de résolution, ce sont 55 milliards d’euros, quand une grande banque représente à elle seule 1 000 milliards…

Le TTIP risque d’exacerber encore les problèmes existants, craint Aline Fares

Dans ce contexte de système financier en mal de réforme du fait notamment des pressions constantes des lobbies financiers sur le processus réglementaire, le TTIP risque d’être un pas de plus dans la mauvaise direction, estime Aline Fares.

Le TTIP s’articule autour de trois piliers.

Le premier, concerne l’ouverture des marchés, et signifie donc une libéralisation accrue. Ce pilier concerne peu les services financiers, où il reste très peu à libéraliser. Finance Watch demande un moratoire sur la libéralisation des services financiers.

Le second pilier est celui de la coopération réglementaire, dont le principe est de mettre en place un mécanisme de coopération entre régulateurs dans tous les secteurs afin d’éviter les divergences réglementaires. Dans le cas des services financiers, les standards réglementaires coûtent en général cher aux opérateurs, même s’ils devraient garantir la stabilité du système. UE et Etats-Unis ont des réglementations différentes, qui émanent de processus démocratiques différents, et qui reflètent les désirs et les craintes de sociétés qui sont elles aussi différentes. S’agira-t-il ici de mettre à plat les décisions prises dans des contextes différents ? Les Etats-Unis eux-mêmes ne sont pas en faveur d’une inclusion des services financiers dans les négociations, une de leur crainte étant de devoir subir la lenteur du processus législatif européen. Côté européen, la Commission est en faveur de l’introduction des services financiers dans le futur accord, mais Finance Watch craint que la convergence réglementaire ne mine la capacité des Etats membres à réglementer.

Le troisième pilier, qui fait l’objet de vives contestations, c’est le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS). Pourquoi donner des droits supplémentaires aux investisseurs privés, avec les problèmes d’équité de traitement que cela cause ? C’est une des questions que se pose Aline Fares au sujet des cours d’arbitrage qui seraient sollicitées alors qu’UE et USA offrent deux systèmes judiciaires parmi les plus aboutis. Dans le cas du secteur financier, Aline Fares s’inquiète aussi à l’idée que la seule éventualité d’une attaque en justice suffise à dissuader les Etats de prendre le risque de subir un grand dommage. Ce qui minerait aussi, craint-elle, la volonté des Etats membres à réglementer.

Aline Fares estime par ailleurs que le TTIP risque d’aggraver encore le problème de déséquilibre qui existe dans la représentation des intérêts privés par rapport à l’intérêt général dans le processus réglementaire lorsqu’il concerne des sujets aussi techniques que la réglementation financière. La représentante de Finance Watch a ainsi rappelé les différentes étapes du processus législatif au cours desquelles les lobbyistes peuvent influer. Avant même que la Commission ne fasse une proposition législative, des comités d’experts dans lesquels le lobbying est surreprésenté sont sollicités, tandis que les consultations qui suivent suscitent en général beaucoup plus de réponses de leur part. Ensuite, les deux co-législateurs, le Parlement européen et le Conseil, ont eux aussi des discussions avec des représentants de la société civile et du secteur financier, et ce jusqu’aux négociations en trilogue qui permettent d’aboutir à un accord. Reste ensuite à définir des standards techniques, une phase tout aussi déterminante du processus législatif au cours de laquelle les parties prenantes continuent d’influer.

Influer tout au long de ce processus coûte beaucoup de temps et d’énergie, et la puissance du lobbying financier est telle que ses arguments prévalent en général. A titre d’exemple, le lobby financier emploierait 1 700 personnes à Bruxelles, contre environ 17 personnes tentant de défendre l’intérêt général sur ces questions très techniques. Or, avec la coopération réglementaire prévue dans le TTIP, on ajouterait là une nouvelle étape en amont pour laquelle les organisations de la société civile devraient se mobiliser, sachant que le lobby financier saura dans tous les cas être actif à ce moment-là.

Le TTIP risque d’exacerber les problèmes mis en exergue par Finance Watch, et cette organisation plaide donc pour exclure les services financiers du TTIP.