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Entreprises et industrie - Fiscalité
Droits des actionnaires – En incluant une obligation de reporting fiscal par pays dans leur position, les eurodéputés de la commission JURI inscrivent le débat sur la transparence des rescrits fiscaux au programme des futures négociations en trilogue
07-05-2015


Les eurodéputés de la commission des Affaires juridiques (JURI) ont adopté le 7 mai 2015 leur position sur le projet de révision de la directive sur les droits des actionnaires. Ce projet vise à accroître la transparence et à favoriser l'engagement à long terme des actionnaires envers les entreprises, ce qui, en retour, devrait augmenter leur compétitivité et leur durabilité.

La Commission avait mis sur la table un projet de réforme de cette directive en avril 2014. Un projet législatif s’inscrivant plus largement dans un paquet législatif sur la gouvernance des entreprises qui prévoyait notamment des dispositions pour veiller à ce que les entreprises cotées en bourse puissent identifier leurs actionnaires ainsi que des clauses relatives à la transparence pour les conseillers en vote (qui font des recommandations de vote), les gestionnaires d'actifs, et les investisseurs institutionnels, comme les fonds de pension et les compagnies d’assurance. Le projet de réforme de la Commission incluait aussi des dispositions visant à accroître la transparence et l’influence des actionnaires quant aux opérations des "parties liées" (à savoir entre une entreprise et son administration, ses directeurs, ses actionnaires de contrôle ou les autres sociétés appartenant au même groupe).

Depuis que ce texte est sur la table, le Conseil n’a pas encore eu l’occasion d’en discuter, ainsi que l’indique la fiche de procédure du projet législatif.

"Nous aimerions débuter les négociations avec le Conseil dès que possible", assure le rapporteur, Sergio Gaetano Cofferati (S&D)

"Il est nécessaire de renforcer la transparence dans les activités des entreprises européennes. Sergio Gaetano Cofferati (S&D), rapporteur sur la réforme de la directive relative au droit des actionnaires, lors d'une réunion de la commission JURI de décembre 2014 (c) Parlement européenLe rapport adopté contient des mesures importantes pour accroître la transparence vis-à-vis des politiques d’engagement des investisseurs institutionnels et des gestionnaires d’actifs, de la rémunération des directeurs dans les entreprises cotées en bourse et de la stratégie fiscale des grandes entreprises et des sociétés cotées", a déclaré le rapporteur, Sergio Gaetano Cofferati (S&D). "Nous aimerions débuter les négociations avec le Conseil dès que possible et j’espère que les groupes PPE, ADLE et ECR ne s’opposeront pas aux mesures visant à soutenir la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale", a-t-il ajouté.

Au Parlement européen, ce texte a en effet fait l’objet d’une importante bataille ainsi qu’en témoigne le vote très serré – 13 voix pour, 10 contre – qui a permis l’adoption de la position de la commission des Affaires juridiques et du mandat pour commencer les négociations informelles avec le Conseil en vue de conclure un accord de première lecture. Le rapport, préparé par l’eurodéputé italien Sergio Gaetano Cofferati (S&D), a ainsi fait l’objet de quelque 600 amendements.

Droit de regard des actionnaires sur la rémunération des directeurs

Les députés ont adopté une clause permettant aux actionnaires de voter, au moins tous les trois ans, sur la politique de rémunération des directeurs d'une entreprise. Selon le texte tel que veulent l’amender les eurodéputés de la commission JURI, la politique de rémunération des directeurs devrait énoncer des critères clairs concernant le versement des rémunérations fixes et variables, incluant l'ensemble des bonus et des bénéfices, ainsi que les principales clauses contractuelles, dont les détails des systèmes de pension complémentaire ou de retraite anticipée.

Cependant, les députés ont annulé l’obligation de préciser la rémunération maximale dans la politique en la matière. Pour rappel, la Commission proposait que chaque entreprise soit tenue de prévoir dans sa politique de rémunération soumise à un vote contraignant des actionnaires un plafond de rémunération pour les dirigeants.

Par ailleurs, les eurodéputés sont d’avis que la politique de rémunération soumis au vote des actionnaires devrait expliquer comment les conditions salariales et d'emploi des travailleurs sont prises en compte et comment elle contribue aux intérêts à long terme de l'entreprise, et ils rejoignent en cela la proposition de la Commission.

Toutes les "parties prenantes", en particulier les employés, devraient être autorisées à exprimer leurs opinions, par le biais de représentants, sur la politique de rémunération, affirment par ailleurs les députés.

Des droits de vote supplémentaires pour récompenser les actionnaires de longue durée

Pour encourager l'actionnariat "à long terme", les députés entendent proposer des dispositions qui contraindraient les États membres à introduire des mécanismes spécifiques pour récompenser les actionnaires de longue durée.

Parmi ces mécanismes devraient figurer au moins l’un des éléments suivants : des droits de vote supplémentaires, des encouragements fiscaux, des primes de fidélité ou des actions à bons de fidélisation, précisent les députés. Il reviendrait à chaque État membre de préciser la définition de "à long terme", mais cette période ne devrait pas être inférieure à deux ans.

Les eurodéputés incluent une obligation de communiquer les informations fiscales pays par pays, inscrivant le débat sur la transparence des rescrits fiscaux au programme des futures négociations en trilogue

La question qui a le plus fait débat, et qui risque de faire l’objet de vives discussions au cours des négociations en trilogue, est toutefois la question d’un reporting fiscal pays par pays que les eurodéputés ont ajoutée au projet législatif.

Afin d'accroître la transparence fiscale, les députés ont en effet inclus l'obligation pour certaines "grandes entreprises et entités d'intérêt public" de publier un rapport par pays contenant les informations relatives aux recettes et aux dépenses nettes avant impôt, à l'imposition des bénéfices ou aux pertes, ainsi qu'aux subventions publiques perçues. Les entreprises de plus de 500 employés et d'un bilan annuel de 86 millions d'euros ou d'un chiffre d'affaires net de 100 millions d'euros seraient également tenues de dévoiler les informations relatives aux rescrits fiscaux, selon les parlementaires.

En proposant d’introduire une telle disposition dans ce projet législatif, le Parlement européen met la pression sur la Commission européenne en matière de transparence des rescrits fiscaux, un dossier sous les feux de l’actualité depuis les révélations de l’affaire Luxleaks. La Commission  a en effet annoncé en mars dernier, lorsqu’elle a mis sur la table sa proposition visant à introduire un échange automatique d’informations entre Etats membres sur les rescrits fiscaux (ou tax rulings), qu’elle entendait "évaluer la nécessité d’étendre l’obligation de publication de certaines informations fiscales par les multinationales sous la forme d’information pays par pays – telle qu’elle existe pour les banques ou les entreprises d’exploitation forestière – et permettant l’accès du public à un ensemble restreint d’informations fiscales concernant les entreprises multinationales". "Il est toutefois nécessaire d'examiner avec beaucoup d'attention les objectifs, les avantages et les risques d'une initiative de ce type. La Commission évaluera donc l’impact d'éventuelles exigences supplémentaires en matière de transparence afin qu'une décision puisse être prise ultérieurement en connaissance de cause", précisait alors le communiqué de la Commission.

Le groupe des Verts/ALE, qui est à l’origine des amendements en question, se félicite de cette "victoire" dans la lutte contre l’évasion fiscale. "Le "reporting" est une "simple" mesure de transparence qui ne requiert pas l'accord unanime des États et un outil immédiatement efficace contre l'évasion fiscale et la corruption", a expliqué l’eurodéputé Pascal Durand, rapporteur fictif sur un dossier qu’il suit pour le groupe des Verts/ALE.

"En suivant la demande du groupe Verts-ALE de rendre obligatoire la transparence sur les impôts payés par les grands groupes dans chacun des pays où ils opèrent, les parlementaires viennent d'envoyer un signal très clair à la Commission européenne qui présentera, le mois prochain, son second paquet sur la justice fiscale", a souligné l’eurodéputé écologiste. "Le signal est donc clair pour Jean-Claude Juncker qui aura rapidement l'occasion de prouver la solidité de son engagement à lutter contre l'évasion fiscale suite au scandale du Luxleaks. Il a, à cet égard, beaucoup à se faire pardonner", a-t-il commenté.

Le rapporteur, Sergio Gaetano Cofferati (S&D), a expliqué pour sa part que la proposition avait fait l’objet d’une forte opposition de la part des membres des groupes PPE, ALDE et ECR, et ces groupes ont d’ailleurs demandé que le sujet soit porté en Conférence des présidents, laquelle pourrait exiger que le sujet soit soumis au vote en plénière. L’Agence Europe précise dans son Bulletin quotidien daté du 8 mai 2015 que "le groupe ADLE ne serait pas contre le reporting en soi mais contre la directive elle-même".