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Entreprises et industrie - Fiscalité
La proposition de la Commission européenne pour une fiscalité plus juste et efficace des entreprises ne manque pas de susciter des réactions, les unes la considérant comme "un premier pas", d’autres comme "très insuffisante"
17-06-2015


illustration de la fraude fiscale (source: Commission européenne)La présentation par la Commission européenne de son plan d’action pour une fiscalité plus juste et efficace des entreprises au sein de l’Union européenne (UE), le 17 juin 2015, n’a pas manqué de susciter des réactions. Les prises de positions ont ainsi été nombreuses, d’abord parmi les groupes politiques au Parlement européen, mais également du côté des organisations socio-professionnelles ou de la société civile.

Les réactions des groupes politiques au Parlement européen

Pour le PPE, l’eurodéputé allemand Burkhard Balz, porte-parole du groupe à la commission spéciale TAXE du Parlement européen sur l'équité fiscale, a salué le plan d'action de la Commission, jugeant que "le seul moyen d’en finir avec l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive de certaines entreprises [était] une action commune de tous les Etats membres", alors que "les disparités entre 28 systèmes fiscaux nationaux créent des échappatoires", rapporte un communiqué diffusé par son groupe le 17 juin 2015.

La "discrimination de facto" qu’induit le phénomène à l’égard des petites et moyennes entreprises (PME) est à ses yeux la première raison d’agir, l’eurodéputé saluant par ailleurs l’approche par étape suggérée par la Commission européenne pour la relance de sa proposition relative à une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS). "Certains États membres ont tellement compliqué la proposition précédente qu'il est sage de viser d'abord une assiette fiscale commune sans consolidation", a-t-il dit.

Pour ce qui est de la consultation publique sur les nouvelles obligations de publication pour les entreprises multinationales en matière d’impôts et de bénéfices (dit aussi "reporting" par pays), Burkhard Balz la juge "nécessaire pour voir ce que seront les prochaines étapes", tout en soulignant que le PPE ne voulait "pas davantage de bureaucratie".

Dans le groupe S&D, la réaction au plan d’action a également été favorable, ses membres le considérant comme "un pas dans la bonne direction, même si beaucoup reste à faire", lit-on dans un communiqué diffusé par le groupe le même jour.

La co-rapporteure de la commission spéciale TAXE du Parlement, l’eurodéputée portugaise Elisa Ferreira, a ainsi noté que la Commission avait fait "un excellent travail en proposant ce plan, mais maintenant nous avons besoin de résultats. Ces propositions ne sont pas suffisantes, elles nécessitent  une action politique correspondante et déterminée au niveau du Conseil" de l’UE, rapporte le communiqué du groupe S&D. Et d’ajouter que "le Conseil ne peut pas se cacher derrière la règle de l'unanimité pour perpétuer une situation de privilège dans certains pays. En outre, à la Commission européenne, il ne peut y avoir aucun doute sur la détermination de ses membres à mettre un terme à l’évasion fiscale déloyale et dommageable actuelle".

Les S&D saluent par ailleurs l’approche par étape choisie par la Commission pour l’ACCIS comme "une solution pragmatique compte tenu de l'opposition actuelle de certains Etats membres", mais ils appellent à ce que la prochaine étape soit franchie rapidement.

Enfin sur le reporting par pays, le groupe S&D estime que la consultation publique lancée par la Commission montre que celle-ci "traîne encore les pieds" sur ce dossier. "La déclaration publique complète des bénéfices est désormais demandée par le Parlement européen, les organisations de la société civile, les entreprises elles-mêmes et des millions de citoyens à travers l'Europe comme l'un des meilleurs moyens de lutter contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale agressive – et la réponse de la Commission n’est rien de plus que de lancer une consultation", regrette le groupe, appelant l’institution à "écouter les voix de toute l’Europe et à prendre une décision maintenant".

Du côté de la GUE/NGL, le rapporteur fictif au sein de la commission TAXE, l’eurodéputé allemand Fabio De Masi, a également regretté "des propositions très insuffisantes", notant la "marche arrière" du commissaire à la Fiscalité, Pierre Moscovici sur l’aspect consolidation de la proposition sur l’ACCIS, alors qu’une "simple harmonisation [de la base fiscale imposable] risque de susciter encore plus la concurrence fiscale puisque les taux deviendront parfaitement comparables". Et d’ajouter, selon des propos rapportés dans un communiqué diffusé par son groupe le même jour, qu’alors que des propositions concrètes ne devront être mises sur la table que dans les 18 mois, "il n'y a aucune raison de croire que les Etats membres réticents deviendront plus coopératifs à l'avenir quand l'attention du public sur la question sera retombée".

L’eurodéputé du groupe de la gauche radicale estime par ailleurs que les propositions soumises en matière de transparence "restent absolument insatisfaisantes". "Même PricewaterhouseCoopers ainsi que de nombreuses entreprises ne voient aucun problème dans le reporting public, pays par pays, pour les multinationales. La Commission traîne toutefois les pieds en annonçant encore une autre consultation publique, suivie d'une évaluation d'impact avant même d'envisager de déposer une proposition concrète", dénonce-t-il.

Les groupe des Verts/ALE a pour sa part dénoncé les propositions de la Commission européenne comme "un pied de nez effronté" de la part de l’institution. Dans un communiqué diffusé par le groupe le 17 juin, l’eurodéputée française Eva Joly, vice-présidente de la commission spéciale TAXE du Parlement, a ainsi jugé que la décision de ne pas s'engager sur le reporting financier public pays par pays marquait "le peu de détermination de Pierre Moscovici". "Alors que ce projet ne nécessite pas d’unanimité au Conseil et qu’il a franchi une première étape au Parlement européen, le commissaire Moscovici avait la possibilité d'appuyer cette avancée. En ne le faisant pas, il encourage tout simplement son report. C'est un acte manqué, pour ne pas dire un torpillage", dit-elle, notant que "la mesure s’applique déjà aux banques européennes".

Pour rappel, dans le cadre de la révision de la directive sur le droit des actionnaires, les eurodéputés de la commission des Affaires juridiques (JURI) du Parlement européen ont inclus dans la position du Parlement l'obligation pour certaines "grandes entreprises et entités d'intérêt public" d’un "reporting" fiscal pays par pays. Cette obligation, introduite par des amendements des Verts/ALE justement, avait cependant suscité une forte opposition de la part des membres des groupes PPE, ALDE et ECR et le vote de cette position en plénière, prévu le 10 juin 2015, a finalement été repoussé à la plénière du mois de juillet lors d’un vote le 8 juin.

"Cette transparence, indispensable, met déjà en lumière les transferts de profits et l’érosion d’imposition qui en découle. Il était simple de proposer l’extension d’une mesure déjà existante. L’absence de proposition allant dans ce sens est un marqueur de la faible volonté du président Juncker et du commissaire Moscovici", a encore estimé la députée européenne.

Son collègue belge Philippe Lamberts, co-président du groupe, a de son côté jugé que si la réouverture des discussions sur une assiette commune était "un point important", le report "sine die" de la consolidation était "dommageable". "Face à la menace de veto de certains États membres, dont le Royaume-Uni et l’Irlande, la Commission marque le pas. D’autant que pour être pleinement efficace, une base consolidée doit être accompagnée d'un taux minimum", a-t-il encore dit.

En revanche, aucune réaction officielle n’avait été diffusée à l’heure de la rédaction de cet article par les groupes politiques ECR, ALDE, EFDD ainsi que par le groupe nouvellement créé autour du parti français d’extrême-droite Front national baptisé "Europe des Nations et des Libertés" (ENL).

Les réactions des organisations socio-professionnelles et de la société civile

L’organisation patronale BusinessEurope avait de son côté réagi en amont de la proposition pour exprimer ses craintes sur le caractère obligatoire de la nouvelle ACCIS notamment, appelant à un régime volontaire. Dans un communiqué diffusé le 16 juin, l’organisation se dit ainsi  "inquiète que la nouvelle proposition attendue sur l'ACCIS soit obligatoire pour les entreprises", et qu’elle "ne permettra pas une consolidation complète".

BusinessEurope ajoute s’être toujours "montrée claire" sur le fait que "pour maintenir le soutien de la communauté des affaires, l'ACCIS doit à la fois être facultative pour les entreprises et les encourager à développer de nouveaux marchés au sein de l'UE en permettant la consolidation des profits et des pertes dans les différents États membres de l'UE". Et d’ajouter que "les entreprises américaines pouvant consolider leurs profits et pertes entres États fédérés, l'ACCIS doit offrir cette possibilité pour les entreprises UE".

La Confédération européenne des syndicats (CES), par la voix de sa secrétaire générale, Bernadette Ségol, a pour sa part estimé dans un communiqué publié par la CES le 17 juin 2015 que "le plan présent[ait] une bonne analyse et un diagnostic clair mais ne propos[ait] aucun remède immédiat pour traiter le problème". "Pourquoi repousser à la fin 2016 une version révisée de l’ACCIS qui devrait être obligatoire pour les multinationales avec aussi un taux minimum d’imposition d’au moins 25 % ? La commission ne fait-elle pas confiance à son propre jugement sur une question aussi cruciale d’intérêt public ?", lit-on par ailleurs dans le communiqué.

"La seule mesure concrète sur la table est une liste commune de 30 paradis fiscaux, liste créée dans le but d’éviter la concurrence entre les listes nationales, mais la proposition n’inclut pas de sanctions dissuasives et ne fait pas mention des régimes fiscaux favorables aux entreprises qui se trouvent au cœur de l’Europe. L’accumulation de milliards d’euros cachés va donc continuer", conclut Bernadette Ségol.

Par ailleurs, plusieurs ONG, notamment ONE et Oxfam, ont de leur côté déploré l'absence d'engagement sur les déclarations fiscales pays par pays.