Principaux portails publics  |     | 

Migration et asile - Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
La Grèce néglige gravement ses obligations dans la gestion de ses frontières extérieures, selon la Commission européenne
27-01-2016


La Commission européenne a affirmé, le 27 janvier 2016, que la Grèce était responsable de "graves manquements dans la gestion de ses frontières extérieures" et que ce pays "néglige[ait] gravement ses obligations" dans le contexte de la crise migratoire et des réfugiés.

Il s’agit là des conclusions du projet de rapport établit suite à une mission réalisée en novembre 2015 en Grèce dans le cadre du mécanisme d’évaluation de Schengen et qui a fait l’objet d’un examen par le collège des commissaires le même jour, comme l’a indiqué le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, devant la presse à l’issue de la réunion. Un projet de rapport qui, s’il devait être adopté en l’état, pourrait mener à une série de décisions permettant de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen jusqu'à deux ans.

L’espace Schengen sous pression

Pour rappel, l’espace Schengen est sous pression dans le contexte de la réintroduction temporaire, par certains Etats membres, de leurs contrôles aux frontières intérieures ces derniers mois en raison de l’afflux massif de migrants vers l’UE. Alors que de telles réintroductions sur base de décisions nationales ne peuvent être prolongées de trente jours en trente jours que pour une période maximale de six mois, échéance qui arrivera à terme pour les premiers Etats membres (Allemagne et Autriche) en mars 2016, plusieurs pays ont manifesté leur inquiétude dans l’éventualité où la situation ne devait pas être maîtrisée d’ici là.

En décembre 2015, la possibilité de prolonger le contrôle aux frontières intérieures avait été évoquée par les ministres européens de l’Intérieur réunis en Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) à Bruxelles. "Les ministres sont d’accord sur le fait que si des déficiences sérieuses, qui mettent en péril le fonctionnement de l’espace Schengen, sont constatées sur base de faits objectifs dans le cadre d’évaluations, alors il faudrait un cadre européen commun pour pouvoir continuer des contrôles à certains tronçons au-delà des 6 mois", avait alors déclaré Jean Asselborn, notant que cela nécessiterait une recommandation de la Commission.

Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et ministre de l’Immigration et de l’Asile faisait référence à la possibilité pour la Commission de déclencher l’application des mesures spécifiques prévues à l’article 19 bis et à l’article 26 du code frontières Schengen. Celles-ci permettent de recommander à un pays des mesures correctives à mettre en œuvre dans un certain délai, et, en cas de manquements graves persistants, aux Etats membres de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures pour une durée de six mois renouvelable pour une durée maximale de deux ans.

La Commission elle-même, dans le huitième rapport semestriel sur le fonctionnement de l’espace Schengen diffusé 15 décembre 2015, annonçait d’ailleurs qu’en fonction des résultats des évaluations Schengen en Grèce, des mesures spécifiques prévues à l’article 19 bis et à l’article 26 du code frontières Schengen pourraient être recommandées.

La question a été une nouvelle fois abordée lors de la réunion informelle des ministres de la Justice et des Affaires intérieures à Amsterdam le 25 janvier 2016, un grand nombre d’Etats membres, dont le Luxembourg, s’exprimant à nouveau en faveur de l’activation de l’article 26 du code afin de remédier aux déficiences actuelles du contrôle des frontières extérieures. A cet effet, les ministres avaient confié à la Commission le soin de réaliser une analyse légale.

La Grèce néglige gravement ses obligations, selon le projet de rapport

Comme l’explique la Commission européenne dans un communiqué de presse diffusé le 27 janvier 2016, le mécanisme d’évaluation de Schengen, institué en octobre 2013, prévoit que des équipes dirigées par la Commission et composées d’experts nommés par les États membres et Frontex, vérifient l’application des règles de Schengen en effectuant des inspections de contrôle dans un État membre donné. Les évaluations Schengen sont menées dans les Etats membres en vertu d’un programme d’évaluation pluriannuel et d'un programme d’évaluation annuel. Les inspections sur place peuvent être annoncées ou inopinées.

À la suite de chaque inspection, un rapport qui recense toute lacune est établi. Dans le cas grec, le projet de rapport est le fruit d’inspections sur place inopinées, réalisées du 10 au 13 novembre 2015, à la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie et sur les îles de Chios et Samos, a expliqué la Commission. A cette occasion, les inspecteurs ont notamment vérifié la présence de policiers et de garde-côtes sur les sites inspectés, l’efficacité de la procédure d’identification et d’enregistrement, la surveillance de la frontière maritime et la coopération avec les pays voisins.

Si le projet de rapport n’est pas public, la Commission, dont les membres ont "pris acte" de son contenu, en a néanmoins présenté les grandes lignes. Ainsi, tout en reconnaissant la pression subie par les autorités grecques, le rapport constate que les migrants en situation irrégulière ne sont pas identifiés et enregistrés efficacement, que leurs empreintes digitales ne sont pas systématiquement saisies dans le système et que la vérification de l’authenticité des documents de voyage et leur vérification par rapport à des bases de données de sécurité essentielles telles que le SIS, une base de données Interpol et des bases de données nationales, ne sont pas systématiques.

Se fondant sur ces constatations, le projet de rapport conclut donc que la Grèce néglige gravement ses obligations et qu’il existe des manquements graves dans l’exécution des contrôles aux frontières extérieures que les autorités grecques doivent surmonter et résoudre. "Depuis novembre, la Grèce a commencé à travailler en vue de respecter les règles de Schengen, mais davantage reste à faire pour assurer la bonne gestion de nos frontières extérieures", a commenté le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis.

Un propos appuyé par Dimitris Avramopoulos, commissaire en charge de la Migration et des Affaires intérieures, qui a souligné que la Commission savait que "cet État membre a à présent engagé des efforts en vue de rectifier cette situation et de se mettre en conformité avec les règles de Schengen" rapporte le communiqué de la Commission. Mais d’ajouter que "d'importantes améliorations sont, en effet, nécessaires afin d'assurer correctement l'accueil, l'enregistrement, la réinstallation ou le retour des migrants, de sorte à rétablir le fonctionnement normal de l'espace Schengen, sans contrôles aux frontières intérieures".

Pour sa part, Athènes a jugé dans la soirée "non constructive" cette mise en cause, fondée sur des observations réalisées en novembre, alors que la réalité est aujourd'hui "bien différente", a assuré la porte-parole du gouvernement, Olga Gerovassili, selon des propos rapportés par l’Agence France Presse (AFP). "La tactique de se renvoyer les responsabilités ne constitue pas une gestion efficace d'un problème de dimension historique, qui réclame une action commune", a-t-elle ajouté, assurant que la Grèce "se dépasse pour respecter ses obligations" et que "nous attendons de tous qu'ils fassent de même".

Prochaines étapes

Le projet de rapport d’évaluation Schengen pour la Grèce, rédigé conjointement par des experts des États membres et des représentants de la Commission, sera à présent transmis au comité d’évaluation de Schengen des Etats membres, qui discutera le rapport et adoptera sa position à la majorité qualifiée, a expliqué Valdis Dombrovskis. La Commission adoptera ensuite le rapport par voie d’acte d’exécution.

Si le rapport conclut finalement que l’État membre évalué "néglige gravement ses obligations au titre des règles Schengen" et s’il existe "des manquements graves dans l’exécution du contrôle aux frontières extérieures", la Commission pourra formuler des recommandations en vertu de l’article 19 bis du code frontières Schengen quant aux mesures correctives destinées à remédier à tout manquement constaté lors de l'évaluation.

En vertu de cet article, la Commission peut ainsi recommander à l’État membre évalué de prendre certaines mesures spécifiques, lesquelles peuvent comprendre le déploiement d’équipes européennes de garde-frontières ou la présentation d’un plan stratégique définissant les modalités de déploiement, par cet État membre, de son personnel et de ses équipements propres pour répondre à ces préoccupations. Les propositions de la Commission devront être adoptées au Conseil, statuant à la majorité qualifiée.

L’État membre évalué dispose alors d'un délai de trois mois pour exécuter les mesures correctives. Si, après ce délai, de graves manquements subsistent et si les mesures prises s’avèrent insuffisantes pour y remédier correctement, la Commission peut déclencher l’application de la procédure prévue à l’article 26 du code frontières Schengen.

En vertu de cette disposition, le Conseil peut en dernier recours, sur la base d’une proposition de la Commission, recommander à un ou plusieurs États membres de réintroduire les contrôles frontaliers à toutes leurs frontières intérieures ou sur des tronçons spécifiques de celles-ci, afin de protéger l’intérêt commun de l’espace Schengen. L’article 26 prévoit que, dans les circonstances exceptionnelles décrites précédemment, les contrôles peuvent être réintroduits pour une durée n'excédant pas six mois, mesure qui peut être prolongée par période supplémentaire de six mois, pour une durée maximale de deux ans. La recommandation du Conseil doit ici aussi être adoptée à la majorité qualifiée.