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Énergie
Union de l’énergie – Le paquet de la Commission européenne sur la sécurité de l’approvisionnement en gaz provoque des insatisfactions
17-02-2016


L'Union de l'énergieLe 16 février 2016, la Commission a présenté un train de mesures sur la sécurité énergétique, visant à préparer l'Union à la transition énergétique mondiale et à d'éventuelles ruptures d'approvisionnement énergétique. Des quatre volets du paquet de la Commission, la décision sur les accords intergouvernementaux dans le secteur de l'énergie n'a suscité que très peu de commentaires. Par contre, aussi bien le règlement pour renforcer la sécurité de l'approvisionnement en gaz, la stratégie destinée à optimiser les systèmes de chauffage et de refroidissement dans les bâtiments et l'industrie que la stratégie relative au gaz naturel liquéfié (GNL) et au stockage de gaz, ont suscité de nombreux commentaires.

L'eurodéputé luxembourgeois Verts-ALE, Claude Turmes, y voit "une provocation"

Dans un commentaire publié sur le site d'Euractiv, l'eurodéputé luxembourgeois du groupe Verts/ALE, Claude Turmes, estime que la stratégie de la Commission européenne constitue "un affront à l'accord de Paris". "La première initiative prise par la Commission européenne après la COP 21 est un paquet sur un combustible fossile, promouvant le gaz en Europe, comme si Paris n'avait jamais existé", constate-t-il. 

 "Le paquet de la Commission repose sur des scénarios de demande en gaz fallacieux, ignorant le contexte de prix bas du gaz et du pétrole, et contradictoires avec nos objectifs climatiques". C'est "rien moins qu'une provocation", dit-il par ailleurs. Claude Turmes renvoie à un rapport publié en 2015 par la Cour des comptes dans lequel cette dernière demande à la Commission de "restaurer la crédibilité des prévisions qu'elle utilise". Il s'agace dans ce contexte des propos que le vice-président de la Commission, Maros Šefčovič, aurait tenus lors d'un événement de l'Agence internationale de l'énergie le 15 février. En réponse à une question sur les raisons d'une telle attention au gaz, il a répondu que les besoins en gaz en 2030 seraient les mêmes qu'aujourd'hui. "C'est une gifle au visage de la Cour des comptes, à l'accord de la COP 21, à la société civile et au climat", commente Claude Turmes.

"Une demande de gaz surestimée ne fait que nourrir les projets des promoteurs de pipeline et de gaz naturel liquéfié, une infrastructure appelée à échouer et dont les contribuables paieront la facture au final", poursuit-il. Claude Turmes estime que le consortium Nord Stream est "le grand vainqueur de ces erreurs de calcul, ce qui permet à Gazprom de resserrer son étreinte sur les économies de l'Europe centrale et du Sud-Est". "Est-ce une tentative délibérée de dérouler le tapis rouge à Gazprom et à Nord Stream? Ou est-ce simplement une feuille de route naïve dictée par les grands gaziers européens ?", se demande-t-il.

L'eurodéputé vert ébauche ensuite ses recommandations. "L'Europe n'a pas besoin de davantage de gaz, elle a besoin d'efficacité énergétique et de sources d'énergie renouvelables", pense-t-il soulignant qu'une stratégie pertinente devrait être basée sur la demande et non sur l'offre, en se concentrant sur l'efficacité énergétique et les économies d'énergie. "La crise du gaz est principalement une crise du chauffage. Des quantités énormes de gaz sont brûlées dans des bâtiments faiblement isolés et dans des réseaux de chauffage obsolètes. La Commission devrait mener des projets pour mettre fin à un tel gaspillage, se préparer pour une rénovation en profondeur des bâtiments existants et accompagner les Etats membres dans le déploiement de nouveaux bâtiments à consommation d'énergie proche de zéro".

Il est par ailleurs étonné de ne pas trouver mention du bas prix du pétrole dans la stratégie sur le refroidissement et le chauffage. Ils forment pourtant "une menace pour notre politique de décarbonisation", comme le montrent des difficultés du marché des granulés de bois liées au prix du pétrole. Claude Turmes demande à la Commission et aux Etats membres de débattre d'une plus forte imposition des énergies fossiles, le gain devant être utilisé pour "financer des mesures sociales pour combattre la pauvreté lié à la consommation d'énergie et abaisser les coûts salariaux" du secteur. Il faudrait également soutenir l'investissement dans la transition énergétique : en établissant une forte initiative de "financement intelligent pour bâtiments intelligents”, en incitant à un basculement massif du gaz vers les renouvelables, en développant la cogénération et en récoltant le plein potentiel des réseaux de chauffage urbains. Il faudrait notamment tendre vers 100 % d'énergies renouvelables dans le système de chauffage urbain, par le biais des pompes à chaleur, combiné avec une génération d'électricité renouvelable sur le site, par des panneaux photovoltaïques.

Claude Turmes conclut sa contribution en soulignant que les bas prix du pétrole sont "la marque d'un basculement d'un ordre mondial marqué par le leadership des ressources vers un nouvel ordre, où le leadership en technologie et en innovation est la clé". "Dans cette nouvelle configuration, l'UE peut jouer un rôle, si elle tourne les talons aux énergies fossiles une fois pour toutes et entre avec détermination dans l'époque de la décarbonisation", dit-il.

L'Agence Europe rapporte également les prises de position de trois autres eurodéputés. Du côté du PPE,  l'eurodéputé polonais Jerzy Buzek a salué un paquet de mesures "conforme" au souhait du Parlement européen. Il y voit la "mise en œuvre d'une approche communautaire pour résoudre des défis en matière de sécurité énergétique auxquels les pays ne peuvent répondre seuls". Il s'est notamment félicité que pour la première fois, la possibilité d'achat collectif de gaz soit prévue dans un texte législatif. Il se réjouit aussi que ce texte implique les pays de la Communauté de l'énergie, reflétant la dimension paneuropéenne d'une Union de l'énergie comptant au moins 36 pays membres. Il se réjouit aussi de l'importance donnée à l'approvisionnement en gaz pour introduire davantage d'énergies renouvelables dans les systèmes énergétiques de l'UE et de la reconnaissance de l'importance du GNL comme moyen de diversifier l'approvisionnement de l'UE.

Toujours selon Euractiv, l'eurodéputé bulgare Sergei Stanishev, qui préside le Parti socialiste européen (PSE), "a réservé un accueil chaleureux" à un paquet qui prévoit "une coopération et une solidarité accrues entre les États membres dans des situations de rupture d'approvisionnement, à une transparence accrue des accords intergouvernementaux et à la lutte contre le gaspillage d'énergie". "Cela répond à une priorité clé de l'Union de l'énergie : personne en Europe, et encore moins les personnes les plus vulnérables, ne doit être déconnecté de l'énergie en cas de crise d'approvisionnement", a-t-il dit, en référence au principe de solidarité, selon lequel, en cas de crise, les États membres voisins aideront à garantir pour une période de 30 jours la fourniture de gaz aux ménages et aux services sociaux essentiels.

Il a également mis en avant l'importance d'une stratégie dans le secteur du chauffage et du refroidissement dans les bâtiments et l'industrie,  alimenté aux deux tiers par des combustibles fossiles. "C'est pourquoi prendre des mesures d'efficacité énergétique dans ce secteur est si crucial. La lutte contre le gaspillage dans ce secteur contribuera grandement aux efforts de l'Europe pour protéger le climat, créer des emplois locaux, réduire la facture énergétique des citoyens et de l'industrie et lutter contre la pauvreté énergétique", a-t-il conclu.

Pour le groupe CRE, le Polonais Zdzisaw Krasnodebski a salué un paquet "qui répond à l'idée de solidarité européenne". "Ce paquet trouve le juste équilibre entre les forces du marché et des mécanismes de solidarité qui doivent être lancés lorsque tout pays de l'UE se trouve en difficulté en raison de chocs d'offre. Il permettra de renforcer de manière significative la position de certains pays de l'UE qui ont souffert d'un tel choc dans le passé", a-t-il dit, avant d'ajouter: "L'idée de contraindre les pays de l'UE à faire preuve de solidarité en temps de crise en envoyant du gaz à leurs voisins en difficulté, en particulier ceux qui dépendent d'un fournisseur dominant, est importante car cela rend la solidarité européenne réelle".

Les réactions des organisations professionnelles et des ONG environnementales

Du côté des producteurs, Eurogas, représentant de l'industrie du gaz, a dénoncé dans un communiqué "l'approche sélective" de la Commission européenne sur les bénéfices à tirer du recours au gaz dans le chauffage. "Il est dur de comprendre comment la Commission limite à deux technologies le vaste potentiel qui existe dans le fait de rendre le chauffage plus propre et plus efficace", pense Eurogas. De plus, ce choix serait en contradiction avec les déclarations de la Commission dans le document de travail qui accompagne le paquet, selon lesquelles le gaz devrait "continuer à jouer un rôle vital dans le système énergétique européen pendant les décennies à venir".

Ainsi, Eurogas déplore la préférence pour "une pleine électrification en recourant aux pompes à chaleur et au chauffage urbain", incapable de répondre aux "demandes fluctuantes, saisonnières" de chauffage à travers l'UE. "Avec une série de technologies modernes hybrides ou basées sur le gaz, et l'augmentation de la production de gaz renouvelable, le gaz peut continuer à améliorer l'efficacité énergétique, à réduire les émissions de CO2 et à faciliter la hausse des renouvelables dans le secteur", a déclaré sa représentante Beate Raabe. 

Eurogas salue par contre le règlement sur la sécurité de l'approvisionnement, qui propose une approche "équilibrée, axée sur le marché". L'organisation est satisfaite de la proposition d'une coopération régionale renforcée comme un moyen d'optimiser l'usage des pipelines, terminaux et capacité de stockages afin diversifier les approvisionnements, principalement pour les Etats membres actuellement les plus vulnérables.

L'association internationale des producteurs de gaz (IOGP) appelle elle aussi la Commission à "clarifier la contradiction apparente entre les efforts pour utiliser plus d'électricité et moins de gaz dans le chauffage bien que le gaz soit moins cher et plus efficient". Considérant toutefois le paquet comme "un pas positif dans la prise en compte du gaz naturel pour atteindre les objectifs de l'Union de l'énergie", elle souligne que "la reconnaissance du rôle fondamental du marché est important et bienvenu".

Central Europe Energy Partners (CEEP), qui représente les intérêts de compagnies énergétiques de l'Europe centrale, voit dans ce paquet "une chance pour renforcer l'infrastructure de l'énergie et augmenter l'approvisionnement en GNL en Europe". "Le point-clé reconnu par ces documents est le rôle de l'infrastructure (…) dans le processus de création d'un marché commun. C'est particulièrement important pour la nouvelle stratégie pour le GNL et le stockage", dit le CEEP.

La sécurité d'approvisionnement passe aussi par la connexion des systèmes énergétiques sur le continent, encore défaillante dans les Etats membres qui ont rejoint l'UE après 2004, vers l'Ouest, mais aussi sur l'axe Nord-Sud.  Une "composante importante de ce plan devrait être le corridor Nord-Sud, dont la tâche est d'intégrer des projets-clés d'infrastructures, y inclus les terminaux GNL existants et en projet, de la Baltique à l'Adriatique, et au final jusqu'à la Mer noire”, a dit le représentant de CEEP, Marcin Bodio.

Le groupement d'entreprises de biens et services pour l'économie d'énergie des bâtiments EuroACE, a pour sa part appelé à "une action plus concrète". Certes, la stratégie de la Commission pour le chauffage et le refroidissement est à ses yeux un document intéressant pour les données sur la consommation de chauffage et de refroidissement qu'il présente. Mais EuroACE espérait y voir "mieux reconnu" le rôle des bâtiments au sein de l'Union de l'Energie, dans la mesure où ils représentent 40 % de la consommation d'énergie dans l'UE.

Certes, des mesures d'efficacité énergétique sont au centre du document, mais ce dernier devrait établir la réduction de la consommation d'énergie par les bâtiments comme une "priorité", puisque "c'est technologiquement faisable, économiquement accessible et apporte de nombreux bénéfices." EuroACE demande par ailleurs une révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments et appelle la Commission à s'attaquer au problème de la dispersion des incitations au financement des projets de rénovation énergétique, pour renforcer les compétences et la fiabilité des certificats de performance énergétiques. "La stratégie donne les premières grandes lignes mais il faut faire plus si l'intention est d'atteindre un parc de bâtiments à la consommation proche de zéro pour 2050", a rappelé Susanne Dyrboel, présidente d'EuroACE.

Dans une prise de position commune, un groupement de représentants de producteurs d'énergie renouvelable (biomasse, biogaz, énergie thermique solaire, pompe à chaleur) et d'autorités locales réunies au sein d'Energy Cities, affirment que l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables et des infrastructures intelligentes locales, sont "la seule voie vers un système énergétique sûr, accessible et décarbonisé".

Ces producteurs ajoutent que "les autorités locales et régionales sont des acteurs clés pour traduire les objectifs politiques en actions concrètes", et qu'un nouveau système de gouvernance doit leur permettre de "participer comme des partenaires égaux au processus de décision".

Afin d'attirer les citoyens, consommateurs et investisseurs, ils réclament des mesures pour le secteur du chauffage dont l'entraînement et la qualification des installateurs, ainsi qu'une information plus comparable et transparente aux consommateurs.  Ils déplorent que les mesures pour la rénovation des bâtiments existants sont jusqu'alors "insuffisantes" et plaident pour un cycle de rénovation complète jusqu'à 2050. Enfin, les signataires demandent également une approche européenne sur le refroidissement dont "la demande de refroidissement est en augmentation partout en Europe", alors que de nombreux Etats membres ne considèrent pas les technologies efficaces et renouvelables en la matière.

Du côté des ONG environnementales, la WWF Europe avait dénoncé, dès la veille de la présentation du paquet de la Commission, l'importance donnée à l'importation de gaz, alors que "l'énergie renouvelable et l'efficacité énergétique sont les moyens les plus efficaces pour le faire". Cela sape l'ambition de l'UE d'être "un leader sur le climat" et sa crédibilité dans la diplomatie climatique international, ainsi que l'ambition du président de la Commission de faire de l'UE "le numéro un mondial dans les énergies renouvelables". "La Commission mise sur le mauvais cheval : à la différence du gaz, l'énergie renouvelable n'a pas besoin d'être importée, et apporte de grands bénéfices économiques et climatiques, par la création d'emplois et la réductions des émissions de gaz à effet de serre", a déclaré Imke Lübbeke.

WWF appelle la Commission à définir une feuille de route montrant des "étapes claires" et un calendrier pour l'abandon des énergies fossiles – gaz inclus. L'UE doit aussi renforcer la confiance des investisseurs dans les renouvelables en renforçant ses objectifs pour 2030 et en mettant en place des mesures solides pour les atteindre, dit-elle. 

Greenpeace Europe déplore la cécité de la Commission européenne, qui par son paquet, "manque de reconnaître que les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique peuvent sécuriser l'approvisionnement en énergie de l'UE". "C'est comme si l'accord de Paris n'avait jamais existé”, avec un paquet qui parie sur le gaz et gardera l'Europe aux crochets des importations d'énergie", dit l'ONG écologiste. Greenpeace évoque également le rapport de la Cour des comptes cité par Claude Turmes et rappelle son analyse de 2014, selon laquelle par des efforts importants pour déployer l'énergie renouvelable et l'efficacité énergétique, l'UE pourrait porter à 45 % sa part d'énergies renouvelables d'ici 2030 et ainsi s'épargner des importations de l'ordre de 90 milliards de mètres cubes de gaz.   

Le gaz naturel continuera à jouer un rôle dans le système énergétique", concède Greenpeace. "Mais il doit être strictement limité, pour l'empêcher de bloquer le développement des renouvelables. Dans la mise en œuvre de son paquet gaz, la Commission doit prendre en compte le fait que la demande en gaz diminue et que les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique sont la priorité pour augmenter la sécurité d'approvisionnement de l'Europe et combattre le réchauffement climatique", dit l'ONG.