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Politique étrangère et de défense
Le volet européen de la déclaration de politique étrangère de Jean Asselborn – Le débat des députés
09-03-2016


Jean Asselborn, lors du débat sur sa déclaration de politique étrangère à la Chambre des députés, le 9 mars 2016Le 9 mars 2016, la Chambre des députés a débattu de la politique étrangère et européenne, au lendemain de la déclaration prononcée par le ministre des Affaires étrangères et européennes, ministre de l'Immigration, Jean Asselborn. Le tableau sombre d'un monde déchiré et d'une Europe en crise dressé par le ministre a donné le ton aux débats.

La position du CSV

Pour le député CSV, Laurent Mosar, l'UE se trouve "dans la plus grave crise de son histoire", avec la situation en Grèce, la menace d'un Brexit et "la flambée de l'extrême-droite dans un nombre toujours plus grand de pays". Elle est entrée également dans une crise d'identité. Si le temps des Etats nationaux n'est pas révolu, seuls aptes à faire avancer l'UE et à protéger la démocratie et l'état de droit, "nous n'avons pas pour autant besoin de moins d'UE, mais de davantage d'UE", a-t-il dit. Or, l'UE menace de s'écrouler à l'intérieur et de ne pas faire face aux défis à l'extérieur. Dans une période marquée par un "retour en force de la géopolitique", l'UE doit être plus active en Syrie. Face à la menace terroriste, les Etats membres de l'UE devraient aussi reconsidérer leur politique envers l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe, "cesser l'hypocrisie consistant à lutter contre le terrorisme et à faire des affaires avec ces Etats-là, en fermant les yeux sur les droits de l'homme", pense le député CSV.

Laurent Mosar s'est longuement attardé sur la crise migratoire, qualifiant de "désastreuse" l'image donnée par l'UE en la matière. Il faut ainsi se confronter aux critiques de l'UNHCR. "Pour nous, l'UE reste avant tout une union de la solidarité. Sans solidarité, il n'y a plus d'Europe, ne reste qu'une zone de libre-échange." Cette crise donne toutefois à l'UE la chance de défendre ses valeurs fondamentales, de liberté, de justice et de solidarité. Les personnes qui cherchent réellement à échapper à la guerre, doivent pouvoir faire une demande d'asile en bonne et due forme, à l'intérieur de l'UE comme à l'extérieur, dans les hotspots, ce qui leur évite de risquer leur vie en mer.

Cependant, cette ouverture ne va pas sans envoyer "un signal clair" de dissuasion aux gens qui veulent quitter leur pays pour des raisons économiques, tandis que Frontex doit désormais détruire l'activité des bandes de passeurs. L'économie de l'UE a besoin de migrants, pour compenser la faible démographie européenne. Mais les Etats membres ont des "moyens finis", trop d'immigration pourrait nuire à la cohésion sociale. La solution à la crise migratoire passe aussi par la redéfinition des politiques de développement, notamment en Afrique. Elles devraient être plus efficaces et traiter plus directement  avec les habitants, afin notamment de freiner davantage "l'exode des compétences". 

Dans la question migratoire, il n'y a certes pas de solution sans la Turquie, concède Laurent Mosar. Mais l'UE n'aurait pas dû se mettre dans une telle relation de dépendance avec ce pays. Le Paquet ficelé lors du sommet du 7 mars 2016 n'est pas la "percée" vantée par des dirigeants européens mais plutôt "un chantage" selon l'analyse de Laurent Mosar. Il pense qu'avec la Turquie, l'UE est dans une situation similaire à celle qu'elle connaît avec le Royaume-Uni, qui brandit la menace d'un Brexit pour obtenir des contreparties. Il est à ses yeux "incompréhensible" que l'UE accepte d'ouvrir cinq nouveaux chapitres pour le processus d'adhésion, avec la Turquie, où la liberté de la presse est désormais "quasiment abolie". Enfin, Laurent Mosar a abordé les négociations en cours des traités TTIP et TISA. Son parti n'acceptera pas de traité comportant des dispositions contraires aux valeurs européennes et aux standards européens, a-t-il fait savoir.

La position du LSAP

Le député socialiste et président de la commission des affaires étrangères et européennes de la Chambre, Marc Angel a regretté que les décisions prises au cours de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE, notamment celle sur la relocalisation et la réinstallation de réfugiés, n'aient pas été mises en œuvre. Il a par ailleurs évoqué les échos positifs que les initiatives de la Présidence pour faire avancer la dimension sociale de l'UE a suscité, notamment lors du Conseil EPSCO du 7 décembre 2015 qui avait adopté des conclusions sur une gouvernance sociale pour une Europe inclusive qui a pour but un rééquilibrage de la gouvernance économique en intégrant pleinement la dimension sociale.  L'approche que l'approfondissement de l'intégration de l'Union économique et monétaire passe par une meilleure prise en charge des questions liées à la protection sociale et à l'emploi sera reprise lors d'un hearing en mai 2016 à la Chambre des députés sur le futur de l'UE, et ce à partir du rapport des cinq présidents publié le 22 juin 2015.

Marc Angel a mis en avant la manière dont la Chambre des députés a donné une dimension parlementaire à la Présidence du Conseil. Il a mis en exergue comment des représentants des parlements nationaux des Etats membres de l'UE ont discuté du renforcement du dialogue politique, lors de la 54e réunion des présidents de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) qui s'est tenue le 13 juillet 2015 à Luxembourg sur  l'introduction d'un "carton vert" et l'amélioration de la procédure de l'avis motivé ("carton jaune") via l'introduction de lignes directrices non-contraignantes. Mais les parlements nationaux ont également souhaité s'impliquer davantage dans le processus législatif via un "carton vert" qui leur permettrait de faire des suggestions.

Partageant très largement les analyses et les déclarations de Jean Asselborn sur la situation dans l'UE, Marc Angel a réitéré ses propos déjà tenus lors du débat le 23 février à la Chambre sur les résultats du Conseil européen des 18 et 19 février : qu'il préférait parler d'un "Britin" plutôt que d'un "Brexit", mais que les décisions sur les prestations soulevaient de fortes réticences dans les rangs du LSAP. Il a insisté sur le fait que les initiatives législatives liées à ces décisions devront encore être discutées au Parlement européen et dans les parlements nationaux et que si elles devaient aller dans le sens de la régression sociale, il pourrait y avoir des cartons rouges. Il ne faut pas seulement une UEM, mais aussi une Union sociale pour regagner la confiance des citoyens, a de nouveau dit le député socialiste.

La position du DP

Pour le DP, Gusty Graas a rappelé que le Luxembourg, à travers l'UE, peut avoir une influence bien plus grande que celle auquel son petit territoire le prédispose. Il se félicite de la prestation solide de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE. La présidence du Benelux est aussi un défi, car cette union avec les partenaires belges et hollandais permet de jouer "un rôle de pionnier" pour l'UE.

Sur  la crise migratoire, Gusty Graas voit le salut de l'UE dans le maintien de l'esprit de solidarité qui est à ses fondements. Or, l'intérêt national se met sans cesse plus sur le devant de la scène, dit-il, évoquant la trop lente relocalisation des réfugiés, le mini-sommet tenu par Vienne le 24 février contre la politique des frontières ouvertes, ou encore la Pologne qui a fait de la souveraineté nationale "son nouveau mantra". "Nous ne voulons pas de cette Europe", dit Gusty Graas, qui met en garde contre le risque d'une situation similaire à la montée des nationalismes dans les années 30. Selon lui, l'UE ne doit pas douter d'elle. Il faut venir en aide à la Grèce plongée dans une crise économique et qui n'a pas les moyens logistiques et financiers pour canaliser les flux migratoires. "Les frontières grecques sont aussi nos frontières", dit-il, qui sont là pour faire rentrer mais aussi pour repousser. A l'intérieur de l'UE, par contre, si l'actuelle dynamique de fermeture des frontières fait école, si l'espace de Schengen devient caduc, le marché intérieur et le tourisme en souffriraient. Les pertes pour l'UE seraient de 400 milliards d'euros par an tandis que le Luxembourg perdrait 1,5 milliards d'euros dans son commerce extérieur.

La menace d'un Brexit est "une épine supplémentaire dans le cœur de l'Europe". Il risque aussi de susciter des envies d'autres pays. La sortie du Royaume-Uni serait une catastrophe. Gusty Graas suggère que le 60e anniversaire du traité de Rome donnera matière à repenser les traités et à permettre une UE à deux vitesses, avec des Etats membres qui avancent  sans être freinés par les pays aux visées nationales.

Gusty Graas a également évoqué la question climatique, déplorant que la proposition de la Commission du 2 mars 2016, jugée contraire à l'esprit de la COP21 par la ministre luxembourgeoise de l'Environnement, participe à la mauvaise image de l'UE dans l'opinion.

Enfin, concernant le TTIP, Gusty Graas a prévenu que son parti était opposé à toute dilution des normes européennes et n'apportera pas son soutien à un texte qui contiendrait une instance de règlement des différends hors de la sphère publique.

La position de Déi Gréng

Claude Adam des Verts a exprimé ses réserves quant à l'accord du 7 mars avec la Turquie et dit partager les doutes à ce sujet de Jean Asselborn. Pour lui, il ne faudrait surtout pas faire de cadeaux dans le cadre du processus d'adhésion d'un pays dont il estime qu'il doit encore respecter les principes de la démocratie, de l'Etat de droit, d'une justice indépendante, de la liberté de la presse et d'opinion. Le député vert s'est aussi demandé combien de temps la Grèce sera encore capable de supporter les charges qu'elle doit assumer avec tous les réfugiés sur son territoire, et ce dans une UE qui lui semble être à bien des égards "arrivée au bout de ses valeurs pour vouloir que des images insupportables à la frontière grecque servent de dissuasion aux futurs réfugiés".

L'UE est devenue pour Claude Adam un corps où celui qui ne fait pas ce qu'il est censé faire - et il a cité ici la Hongrie et le Royaume-Uni - est récompensé, et ceux qui remplissent leurs obligations sont punis. Il a exprimé son incompréhension pour la connivence entre le Premier ministre slovaque, affilié aux sociaux-démocrates européens, et les conservateurs et l'extrême droite slovaques dans ses attaques contre les musulmans et sa politique du zéro  réfugié, tout comme il a dit ne pas comprendre l'attitude du gouvernement polonais sur la question alors que la Pologne compte presque 3 millions de ses concitoyens à l'étranger.

Malgré tout, Claude Adam reste convaincu que le "modèle d'affaires politique" basé sur l'anti-américanisme, l'anti-européisme, l'islamophobie et la mise en avant de l'Etat national, le modèle dont il estime qu'il se vend actuellement le mieux, est voué à éclater comme une bulle d'air.  La meilleure option continue à être l'UE, dont le Parlement fonctionne selon lui de mieux en mieux, tout comme la subsidiarité. La grande erreur des partisans de l'UE a été de croire que l'UE se développerait presqu'automatiquement en "une union sans cesse plus étroite", comme cela est écrit dans  les traités. La crise migratoire et l'accueil d'étrangers ont finalement fait exploser les divergences entre pays riches et pauvres, entre Nord et Sud et enterrent l'Ouest et l'Est, où les attentes vis-à-vis de l'UE ne sont selon le député "apparemment pas les mêmes".

La position de l'ADR

Fernand Kartheiser de l'ADR a mis en avant ses désaccords avec le ministre des Affaires étrangères. Il ne nie pas qu'il y ait des problèmes sur les questions de l'Etat de droit en Hongrie et en Pologne, mais ne partage pas l'analyse du ministre, estimant qu'il faudrait respecter le fait que dans une Union à 28, des Etats prennent des positions inattendues. Comme le ministre, il juge que l'UE est en grande difficulté à cause de la crise migratoire et celle de l'euro. Mais pour ce qui est de l'euro, il soutient que la monnaie unique a été conçue comme un instrument pour accélérer la fédéralisation de l'Union, et ses difficultés ont pour effet qu'il est devenu un des facteurs qui font que l'opinion publique se détourne de l'UE. Le risque existe pour lui qu'en cas de Brexit, l'on se retrouve avec une UE sans le Royaume-Uni mais avec la Turquie qui, de par l'ampleur de son territoire et sa croissance démographique, deviendrait rapidement l'Etat le plus fort au sein de l'UE, une Turquie aussi qui n'a selon lui jamais respecté les accords signés avec l'UE.

L'ancien diplomate a reproché au ministre et aux autres orateurs de souhaiter "le retour d'une UE qui n'existe plus", chose pour lui absconse. De même, déclarer que l'UE est la seule solution ne lui semble pas plausible, l'UE ayant été selon lui "un déclencheur de situations difficiles" - il a cité la Libye, l'Afghanistan, la Syrie et l'Ukraine, mais aussi "la décision unilatérale de la chancelière Merkel  -  et donc une partie du problème. Pour lui néanmoins, la solidarité européenne d'accueillir les réfugiés qui fuient ces guerres "est un choix auquel l'UE n'est pas tenu". Quant aux relocalisations, Fernand Kartheiser a estimé que la décision du Conseil a été prise contre la volonté de certains Etats membres, dont les pays de Višegrad, avec une majorité qualifiée qu'il estime obsolète, les Etats alignés sur la ligne allemande étant entretemps une minorité.

La position de Déi Lénk

Pour Serge Urbany de Déi Lénk, les décisions du Conseil européen des 18 et 19 février sur le compromis avec le Royaume-Uni tout comme celles du Sommet UE-Turquie du 7 mars "ont bafoué le droit européen". Il a apporté son soutien à la position de Jean Asselborn de demander encore des éclaircissements. Pour le député de gauche, un réfugié sur le sol européen doit être entendu sur sa demande selon les règles en vigueur – Convention de Genève et Dublin II - et toute décision sur son sort ne peut être qu'individuelle. Pour lui, la Turquie ne peut pas non plus apporter toutes les garanties qui doivent être remplies avant que l'Etat membre qui traite le cas permette une réadmission dans un pays tiers ou de l'UE même. Il s'agit pour lui d'un fait "que les gouvernements de l'UE ne peuvent ignorer".

Alors que l'UE voit selon lui se constituer en son sein de nouvelles constellations entre Etats nationaux comme Višegrad ou des alliances entre pays de l'ancien Empire austro-hongrois, il est d'avis "que la chancelière a agi correctement quand elle a ouvert les frontières à des centaines de milliers de réfugiés qui ont imposé leur droit par les pieds sur les routes de l'Europe". La solidarité  des populations avec les réfugiés est pour lui une donne importante, de sorte que ce n'est qu'en cédant sur les valeurs que le populisme gagnera plus de terrain. Reste que l'UE est de son point de vue minée par le fait que la concurrence économique entre les Etats soit un de ses principes constitutifs, ce qui attise les réflexes nationalistes. Pour contrer ces tendances, l'UE devrait se doter d'un budget conséquent, mener des politiques sociales et structurelles contre les inégalités, aller effectivement vers cette Union de transferts qui pour les uns est un chiffon rouge mais pour d'autres la seule solution.

Les conclusions de Jean Asselborn

Répondant aux interventions des députés, le ministre Jean Asselborn a plaidé pour une ouverture, dans le cadre des négociations d'adhésion avec la Turquie, des chapitres 23 et 24 qui traitent de la justice et de l'Etat de droit, pour engager ce pays à respecter et mettre en œuvre les principes et valeurs de l'UE. Il s'est  exprimé contre des quotas maximaux de réfugiés et les fermetures des frontières. Il a réitéré ses propos prévenant que l'anarchie règnera si les décisions de l'UE ne sont pas mises en œuvre par les pays concernés. 

Jean Asselborn a encore évoqué le fait que le système de relocalisation des réfugiés ne fonctionnait pas. Cela est dû, selon lui, au manque de structures pour discuter de leur cas avec les personnes en question. Il a cité en exemple le cas des 30 personnes relocalisées de la Grèce au Luxembourg en novembre 2015, pour lesquelles il a fallu trois semaines de pourparlers pour toute une équipe sur place.

Quant à l'Etat de droit dans les Etats membres, il a estimé qu'aucun Etat membre ne pouvait s'émanciper des règles de l'UE et se dresser contre les acquis de l'UE. Dans ce sens, la Pologne par exemple, devrait tenir compte de l'avis de la commission de Venise - divulgué avant son adoption - sur les amendements à la loi sur le Tribunal constitutionnel de la Pologne.

Jean Asselborn a admis que le TTIP était un dossier difficile. Le 12e round a été consacré au développement durable et aux droits sociaux. Si les questions de développement durable ne soulèvent pas d'opposition fondamentale de la part des USA, la question des droits sociaux est plus difficile avec un pays qui n'a signé que trois des huit conventions de base de l'Organisation internationale du travail (OIT). La position de la Commission est que les droits sociaux en vigueur dans l'UE ne doivent pas être lésés. Quant à la protection de l'investissement, un autre mécanisme que celui des tribunaux arbitraux a pu être négocié pour les accords avec le Canada (CETA) et le Vietnam, mais avec les USA, il n'y a pas encore d'accord sur cette question. Autre sujet : l'accès des entreprises de l'UE aux marchés publics des USA, est difficile, alors que de nombreuses entreprises américaines ont accès aux marchés publics européens. S'il n'y a pas de solution, ce sera également difficile de conclure un accord qui ne pourra probablement plus être signé avec l'administration Obama, a déclaré le ministre.