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Emploi et politique sociale
La Commission européenne a présenté une réforme de la directive concernant le détachement de travailleurs qui suscite les critiques des partenaires sociaux
08-03-2016


Commission européenneLa Commission européenne a présenté le 8 mars 2016 un projet de révision qu’elle qualifie de "ciblée" des règles relatives au détachement de travailleurs. Le Luxembourgfait partie avec la France, l'Allemagne, l'Autriche et la Suède, des Etats membres qui étaient demandeurs de cette révision.

Le projet présenté "traduit l’engagement pris par l’actuelle Commission, dans ses orientations politiques, de promouvoir le principe d’une rémunération identique pour un même travail effectué au même endroit". Il vise à faciliter le détachement de travailleurs dans un environnement de concurrence loyale et de respect des droits des travailleurs, qui sont employés dans un État membre et que leur employeur envoie travailler temporairement dans un autre État membre. Plus spécifiquement, l’initiative a pour but de garantir des conditions de rémunération équitables et des conditions de concurrence égales tant pour les entreprises détachant des travailleurs que pour les entreprises locales dans le pays d’accueil.

La Commission veut introduire des changements dans trois grands domaines:

  • la rémunération des travailleurs détachés, y compris dans les situations de sous-traitance,
  • les règles sur les travailleurs intérimaires et
  • le détachement à long terme.

La proposition prévoit que les travailleurs détachés bénéficieront de manière générale des mêmes règles en matière de conditions de rémunération et de travail que les travailleurs locaux. Cela se fera dans le plein respect du principe de subsidiarité et de la manière dont ces conditions sont fixées par les autorités publiques et/ou les partenaires sociaux dans l’État membre en question.

Actuellement, les travailleurs détachés sont déjà soumis aux mêmes règles que les travailleurs de l’État membre d’accueil dans certains domaines, tels que la santé et la sécurité. Toutefois, l’employeur n’est pas tenu de verser à un travailleur détaché plus que le salaire minimum fixé par le pays d’accueil. Cette situation peut créer des écarts salariaux entre travailleurs détachés et travailleurs locaux et se traduire par une concurrence déloyale entre entreprises. Cela signifie que les travailleurs détachés sont souvent moins rémunérés que les autres travailleurs pour un même travail.

La Commission souhaite que toutes les règles relatives à la rémunération qui sont d’application générale aux travailleurs locaux soient également appliquées aux travailleurs détachés. Pour elle, la rémunération devrait comprendre non seulement les taux de salaire minimal, mais aussi d’autres éléments, tels que les primes ou les indemnités le cas échéant.

La Commission voudrait que les États membres précisent de façon transparente les différents éléments constitutifs de la rémunération sur leur territoire. Les règles fixées par la loi ou par des conventions collectives d’application générale deviendraient ainsi obligatoires pour les travailleurs détachés dans tous les secteurs économiques. La proposition veut également donner la possibilité aux États membres de prévoir que les sous-traitants accordent à leurs travailleurs la même rémunération que le contractant principal. Néanmoins, cela ne pourrait se faire que de manière non discriminatoire, la même règle devant alors s’appliquer aux sous-traitants nationaux et transfrontières.

La proposition veut en outre garantir que la réglementation nationale concernant le travail intérimaire s’applique lorsque des entreprises de travail intérimaire établies à l’étranger détachent des travailleurs.

Enfin, si la durée du détachement dépasse 24 mois, les conditions prévues par la législation du travail des États membres d’accueil devraient être appliquées, lorsqu’elles sont favorables au travailleur détaché.

La Commission dit être convaincue que " ces changements permettront de mieux protéger les travailleurs, d’améliorer la transparence et la sécurité juridique et de garantir des conditions égales aux entreprises nationales et aux entreprises détachant des travailleurs, tout en assurant le plein respect des systèmes de négociations salariales des États membres".

Dans un mémo, la Commission détaille les changements qu’elle vise et livre de nombreux exemples qui fondent son option.

Contexte

Il y a détachement de travailleurs lorsqu’il y a prestation transfrontière de services au sein du marché unique. Un travailleur détaché est employé dans un État membre de l’Union, mais son employeur l’envoie temporairement réaliser son travail dans un autre État membre.

Entre 2010 et 2014, le nombre de détachements a augmenté de presque  45 %. En 2014, environ 1,9 million de travailleurs européens ont été détachés dans d’autres États membres.

Le détachement de travailleurs est particulièrement fréquent dans le secteur de la construction, dans l’industrie manufacturière et dans le secteur des services tels que les services à la personne (éducation, santé et action sociale) et les services aux entreprises (services administratifs, professionnels et financiers).

Cette réforme de la directive de 1996 relative au détachement de travailleurs complétera la directive d’exécution correspondante de 2014, très contestée, qui doit être transposée en droit national d’ici au mois de juin 2016, une procédure en cours au Luxembourg.

Combien y a-t-il de travailleurs détachés dans l’Union européenne et au Luxembourg et où travaillent-ils?

Selon les statistiques de l’Union, le nombre de travailleurs détachés a augmenté de près de 45 % entre 2010 et 2014. On dénombrait 1,9 million de détachements dans l’Union en 2014, contre 1,3 million en 2010 et 1,7 million en 2013. Un détachement dure en moyenne quatre mois.

En tout, les travailleurs détachés ne représentent que 0,7 % du nombre total d’emplois dans l’Union. Certains secteurs et certains États membres présentent toutefois une forte concentration de détachements.

Le secteur de la construction regroupe à lui seul 43,7 % du nombre total de détachements, bien que le recours au détachement soit également important dans l’industrie manufacturière (21,8 %), les services liés à l’éducation, à la santé et à l’action sociale (13,5 %) et les services aux entreprises (10,3 %)

L’Allemagne, la France et la Belgique, les trois pays limitrophes du Luxembourg, sont les trois États membres qui attirent le plus de travailleurs détachés, puisqu’ils reçoivent à eux tous environ 50 % de l’ensemble des travailleurs accueillis dans le cadre d’un détachement. Parallèlement, la Pologne, l’Allemagne et la France sont les trois États membres qui détachent le plus de travailleurs.

Le Luxembourg est, si l’on se base sur une fiche d’information de la Commission qui décrit la situation en 2014, le 10e pays de l’UE par nombre de travailleurs détachés reçus sur son territoire, avec 21 793 personnes qui représentent 1,5 % de tous les travailleurs détachés dans l’UE. Le Luxembourg détache quant à lui 62 141 travailleurs dans d’autres pays, 4, 2% des travailleurs détachés de toute l’UE, le 12e pays de l’UE en nombre de travailleurs détachés.

Les travailleurs détachés au Luxembourg viennent à 47,2 % d’Allemagne, à 27,8 % de Belgique, à 13 % de France, donc 88 % des pays limitrophes, et 2,7 %de Pologne et 2,2 % de Slovénie. Pour 63, 4% de ces personnes, il n’est pas possible de savoir dans quel secteur ils travaillent, pour 18,4 %, l’on sait qu’ils travaillent dans la construction, et pour 6,3 % dans l’industrie.

Les travailleurs détachés par des entreprises luxembourgeoises sont envoyés à 40 % en Belgique, à 34 % en France et à 18 % en Allemagne, donc à concurrence de 92 % ans les pays limitrophes. Entre 1,1 et 1,3 % sont envoyés respectivement aux Pays-Bas, en Suisse et au Royaume-Uni. 45,3 % de ces travailleurs travaillent dans la construction, 19,2 % dans les agences de travail temporaire, 17,7 % dans le secteur financier. 

Premières réactions des partenaires sociaux européens

La Confédération européenne des syndicats (CES) juge que la proposition de la Commission "n’est pas satisfaisante". La CES écrit dans un communiqué : "Le libellé proposé sur la rémunération a été amélioré par rapport aux versions antérieures. Cependant la proposition de définition restrictive du type de convention collective reconnue n’est pas satisfaisante car elle exclut les conventions collectives sectorielles dans certains pays (y compris l’Allemagne et l’Italie) ainsi que tous les accords collectifs d’entreprise." Luca Visentini, Secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) estime que la proposition "porte sur une égalité de salaire que de nombreux travailleurs détachés ne connaîtront jamais. Travailleurs et syndicats seront forcés de continuer à saisir les tribunaux pour faire reconnaître leurs droits."

La CES critique également que la proposition n’inclut pas le droit des syndicats de négocier collectivement pour les travailleurs détachés et de rendre les principaux entrepreneurs conjointement responsables avec leurs sous-traitants pour le respect des termes et conditions d'emploi.

Néanmoins, "la CES reconnaît que la proposition de la Commission introduit la pleine égalité de traitement pour les travailleurs intérimaires détachés et qu’elle aligne la durée du détachement sur les dispositions en matière de sécurité sociale. Cela règlera d’énormes problèmes d’interprétation de la directive actuelle. Néanmoins, la période maximum de détachement de 24 mois est trop longue, la moyenne aujourd’hui étant de 4 mois."

Du côté patronat, Markus J. Beyrer, le directeur général de BUSINESSEUROPE a signalé "son désaccord fondamental" avec l’approche de la Commission, et ne souhaite pas que la directive de 1996 actuellement en vigueur soit amendée, cela d’autant plus que la directive d’exécution de 2014 n’est pas encore appliquée. Pour lui, les deux textes assurent à la fois la libre prestation des services au-delà des frontières et "une protection adéquate des travailleurs détachés. "Un changement de la législation va créer de nouvelles incertitudes pour les entreprises en Europe", affirme-t-il. "Il comporte aussi le danger d’un nouveau débat qui divisera les Etats membres de l’UE à un moment où la priorité est de rétablir la confiance et l’unité."

Markus Beyrer reconnaît que la proposition respect la compétence des Etats membres à établir les règles de rémunération en vigueur sur leur territoire. Mais il conteste le fait que désormais les entreprises qui détachent des travailleurs dans un autre pays soient obligés d’appliquer les règles de rémunération fixées par la loi ou par des conventions collectives d’application générale de ce pays d’accueil des travailleurs détachés au lieu d’appliquer les taux minimaux. Pour lui, tout cela rendra les choses encore plus compliquées dans l’UE.

Premières réactions des partis politiques européens

Les trois eurodéputés CSV – Georges Bach, Frank Engel, Viviane Reding - ont salué la proposition de la Commission. Aucun d’eux n’est intervenu lors du débat au Parlement européen le 8 mars, lors de la présentation de la proposition par la commissaire Marianne Thyssen.   

Le groupe des Socialistes & Démocrates (S&D) du PPE a lui aussi salué la proposition comme allant dans le bon sens.  Mais ils ont regretté, à l’instar des partenaires sociaux, qu’il n’y ait pas eu de consultation avec ces derniers. Ils voudraient aussi que le délai de 24 mois de détachement, jugé irréaliste et peu probable,  pour qu’un travailleur puisse se voir appliqué toutes les conditions prévues par la législation du travail des États membres d’accueil, soit ramené à 6 mois. Ils estiment que la question des sociétés boite-à-lettres devrait également être traitée dans le cadre de la révision. Les différences de traitement en matière de sécurité sociale devraient par ailleurs être traitées quand la Commission fera au cours de l’année 2016 de nouvelles propositions en matière de coordination des régimes de sécurité sociale.