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Justice, liberté, sécurité et immigration
Conseil JAI extraordinaire – Les ministres de la Justice et de l'Intérieur adoptent une déclaration commune sur le renforcement de la lutte anti-terroriste
24-03-2016


Félix Braz et Lukasz Piebiak © Conseil de l'UELe 24 mars 2016, la présidence néerlandaise du Conseil de l'UE a convoqué un conseil JAI extraordinaire deux jours après les attentats qui ont ensanglanté la Belgique. Ce Conseil, qui a permis aux ministres européens de la Justice et de l'Intérieur de manifester leur solidarité envers leurs homologues belges, était destiné à faire un état des lieux et des moyens d'améliorer la lutte contre le terrorisme, selon la même logique poursuivie par la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE en organisant un conseil JAI extraordinaire le 20 novembre 2015, une semaine après les attentats de Paris. Les ministres de l'Intérieur et de la Justice ont adopté une déclaration communeen dix points, en préambule de laquelle ils promettent que "nous resterons fidèles à nos valeurs, y compris dans la lutte contre le terrorisme".

Pas de nécessité de créer de nouveaux instruments

En amont des débats, la grande majorité des Etats membres était d'accord pour considérer qu'il n'y avait pas lieu de créer de nouveaux instruments dans la lutte contre le terrorisme, au vu des initiatives en cours d'adoption ou bien en attente de mise en œuvre par les Etats membres. Le ministre néerlandais, Ronald Plasterk, qui a présidé la réunion, avait noté que l'UE n'avait pas besoin de "nouveaux plans" pour lutter contre le terrorisme. Il a été notamment suivi en cela par le ministre luxembourgeois de la Justice, Félix Braz.

A son arrivée au Conseil, Félix Braz, avait en effet fait savoir qu'il ne serait pas pertinent de "demander sans arrêt de nouveaux instruments". Il s'agirait plutôt d'une "question de volonté politique", pour progresser vers la coopération européenne plus poussée qu'il défend, dans une matière qui n'est pas une compétence européenne. "Ce n'est pas suffisant si chacun avec sa police, ses services secrets, collecte des informations et les garde pour lui-même", a-t-il déclaré en avançant l'idée de "travailler en réseau et dans l'esprit d'une police anti-terroriste européenne".  

Pour son homologue allemand, Thomas de Maizière, l'idée de mettre sur pied une police anti-terroriste européenne serait "compliquée" et demanderait des "changements législatifs" qui prendraient du temps. "Nous avons actuellement besoin de nous concentrer entièrement sur la lutte contre le terrorisme, non sur des questions de structures", a-t-il déclaré. Il faudrait donc se concentrer sur la coopération multilatérale. Or, "beaucoup d'autorités nationales ne veulent pas partager leurs informations avec les autres. On doit changer cette mentalité", a ajouté le ministre allemand de l'Intérieur. Pour Félix Braz, il faudrait "atteindre une qualité dans l'échange d'informations, qui serait celle d'une police européenne antiterroriste", a-t-il précisé à la radio luxembourgeoise 100 komma7.

Or, pour l'heure, d'après les données présentées par le coordinateur de la lutte européenne contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, les échanges sont très insuffisants, puisque cinq Etats membres fournissent plus de 90 % des données concernant des combattants étrangers enregistrées dans la base de données d'Europol. Le fichier du système d'information Schengen (SIS) "doit être systématiquement interrogé, doit être alimenté de manière homogène par tous les pays de l'UE, ce qui pour l'instant n'est pas le cas", a ainsi déclaré le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve.

Ce Conseil était "une occasion pour mieux faire travailler entre eux les services de renseignement", a estimé le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans. Le commissaire chargé du terrorisme, Dimitris Avramopoulos, avait lui appelé les pays de l'UE à "passer de la parole aux actes", en accélérant notamment l'adoption des contrôles renforcés aux frontières extérieures de l'UE.

Améliorer la collecte, le partage et la qualité des informations

Dans la déclaration commune, le troisième point énumère une longue liste de travaux législatifs en cours que le Conseil JAI aimerait voir achevés au plus vite. Il s'agit notamment des actes législatifs relatifs : à la lutte contre le terrorisme, dont la directive du même nom au sujet de  laquelle le Conseil avait pris une position le 11 mars 2016 ; aux contrôles systématiques aux frontières extérieures de l'espace Schengen, lequel a fait l'objet d'un accord au Conseil Jai du 25 février 2016 ; au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes à feu évoqué lors du Conseil JAI du 10 mars 2016, à l'extension du Système européen d'information sur les casiers judiciaires (ECRIS) aux ressortissants de pays tiers, pour laquelle la Commission euroépenne a fait une proposition le 19 janvier 2016 ; la mise en œuvre du plan d'action de lutte contre le financement du terrorisme présenté le 2 février 2016 ; la lutte contre la fraude documentaire et la mise en œuvre complète des règles de l'UE sur les précurseurs d'explosifs.

Le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait notamment mis l'accent sur ce dernier point pour ce qui est de la lutte contre la falsification des passeports dont l'Etat islamique a fait une industrie. Le coordinateur de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, a listé les actions déjà en cours : le recours aux bases de données européennes, le déploiement d'agents spécialisés dans les 'hotspots' d'identification des migrants irréguliers en Grèce et en Italie, ainsi que les contrôles dits de 'deuxième ligne' dans l'UE par du personnel de l'agence Europol.

La déclaration commune insiste également sur la nécessité d'accroître le partage des informations. Ainsi, le Conseil JAI veut "accroître d'urgence l'alimentation systématique, l'utilisation cohérente et l'interopérabilité des bases de données européennes et internationales dans le domaine de la sécurité, des déplacements et des migrations en exploitant pleinement les avancées technologiques et en incluant, dès le départ, des garanties en matière de protection de la vie privée". Il s'agit de pouvoir "réaliser des contrôles d'identité fiables".

La Commission s'est pour sa part engagée à présenter dans les prochaines semaines une communication sur des frontières intelligentes et sur l'interopérabilité. Le Conseil JAI estime dans ce contexte qu'il convient d'accélérer les travaux sur la mise en place d'un système de reconnaissance automatique des empreintes digitales à l'échelle européenne qui soit intégré dans le système d'information Schengen (SIS). Le coordinateur de l'UE pour la lutte contre le terrorisme, la présidence, la Commission, ainsi que les agences et les experts compétents uniront leurs efforts pour présenter d'ici le mois de juin 2016 des actions concrètes à entreprendre, notamment afin d'améliorer la collecte, la vérification et le recoupement des informations dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

Accélérer l'adoption du PNR

Le Conseil JAI compte également sur l'accroissement de la quantité des données disponibles. Sa déclaration commune  mentionne la nécessité d'"échanger, selon les besoins, des informations avec les autorités et les opérateurs du secteur des transports". Mais elle mentionne également la nécessité de l'adoption de la directive PNR pour laquelle il fixe la date butoir du mois d'avril 2016, afin de "la mettre en œuvre d'urgence et s'assurer ainsi que les unités de renseignements passagers seront en mesure, le plus vite possible, de s'échanger des données".  

Les autorités européennes avaient déjà lancé cet appel suite aux attentats de Paris en janvier 2015. Elle avait réveillé un débat déjà ancien au Parlement européen et entre le Conseil et le Parlement au sujet d'une question sensible en termes de protection des données à caractère privée.

Présente à la réunion ministérielle, la vice-présidente du Parlement européen, Sylvie Guillaume (S&D), a assuré les ministres de l'engagement politique "fort" des députés pour entériner "aussi vite que possible" ce texte sur lequel les eurodéputés ont pris position en décembre 2015. Mais elle leur a toutefois signifié que le "PNR" ne pourrait être adopté d'ici à fin avril qu'à la condition que le paquet sur la réforme de la protection des données personnelles soit adopté, ce qui implique que le Conseil accélère ses propres travaux sur ce dossier.

Cette condition d'une adoption simultanée des deux textes, ne plaît pas au rapporteur du PE, Timothy Kirkhope (CRE), qui le même jour, a dénoncé les "objections incessantes" des sociaux-démocrates et des libéraux contre le projet de PNR. On aurait pu clore le dossier depuis "des mois" si "la gauche" n'avait pas "créé artificiellement un lien entre le 'PNR' et la législation sur la protection des données", a-t-il dit, selon des propos notamment rapportés par l'Agence Europe, et similaires à ceux déjà prononcés à l'occasion du rejet de la directive par la commission Liberté civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) le 24 avril 2013.

Dans un communiqué adressé la veille au ministre français de l'Intérieur, l'eurodéputée ADLE Sophie In't Velde, membre de la commission LIBE, a contesté tout blocage par le Parlement européen et déploré que le modèle défendu par le Conseil et la France "n'est pas un PNR européen, mais 28 systèmes PNR nationaux, sans échange d'information obligatoire". "C'est évidemment choquant, lorsque l'on sait qu'après chaque attentat, des informations utiles et même cruciales étaient disponibles, mais que les services des différents états membres de l'UE n'avaient pas partagé ces informations", a-t-elle déclaré. Le président de l'ADlE, seul groupe à avoir publié un communiqué au sujet de ce Conseil extraodrinaire, Guy Verhofstad développe un discours similaire. "Les citoyens européens méritent de savoir que cette proposition de PNR n'est pas la panacée pour nos problèmes de sécurité : il est même hautement problématique", a-t-il dit en défendant l'idée d'une force anti-terroriste européenne.

Equipes  communes d'enquête et efforts de prévention

Le Conseil soutient par ailleurs les travaux du Groupe antiterroriste. Pour les besoins d'enquête, les ministres recommandent de faire plus régulièrement appel aux équipes communes d'enquête, qui ont montré leur utilité après les attentats de Paris et de mettre en place, au sein du Centre européen de la lutte contre le terrorisme créé au sein d'Europol le 25 janvier 2016, une équipe commune de liaison d'experts nationaux en matière de lutte contre le terrorisme. Son rôle serait d'épauler les services répressifs des États membres pour examiner l'ampleur des dimensions européenne et internationale de la menace terroriste actuelle. Elle surveillerait la menace que représentent les combattants étrangers et les flux de financement du terrorisme et d'armes à feu illicites, ainsi que la propagande en ligne.

Le Conseil prévoit de définir, lors de sa session de juin, des mesures concrètes pour s'attaquer à la "question complexe" visant à comprendre comment trouver des moyens de recueillir et d'obtenir plus rapidement et efficacement des preuves numériques, en intensifiant la coopération avec les pays tiers et les prestataires de services qui sont actifs sur le territoire européen, ce qui permettrait un meilleur respect de la législation de l'UE et des États membres et des contacts directs avec les services répressifs.

Enfin, les ministres de la Justice et de l'Intérieur de l'UE n'oublient pas la dimension préventive de la lutte contre le terrorisme. La déclaration commune appelle à poursuivre l'élaboration de mesures préventives efficaces, notamment "en améliorant la détection précoce de signes de radicalisation au niveau local, et en contrant la rhétorique de Daech, notamment au moyen de stratégies de communication et en élaborant des programmes de réhabilitation rigoureux. La Commission intensifiera ses travaux avec les entreprises du secteur informatique, notamment au sein du forum de l'UE sur l'internet pour contrer la propagande terroriste, en envisageant les moyens de supprimer ces contenus, et élaborer, d'ici le mois de juin 2016, un code de conduite contre les discours de haine en ligne.