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Emploi et politique sociale
Dans son Panorama social 2016, la Chambre des salariés déplore l’augmentation constante de la pauvreté au Luxembourg
24-03-2016


csl-panorama-socialDans la sixième édition de son Panorama socia lpublié le 24 mars 2016, la Chambre des salariés (CSL) passe en revue la situation économique et sociale du Luxembourg, en la mettant en perspective avec celle des pays de l'UE, principalement de l'UE-15. Elle aborde des thèmes récurrents dans les débats sur le semestre européen et sur les objectifs de la stratégie Europe 2020.

En introduction du document de 163 pages, le président de la CSL, Jean-Claude Reding, souligne une "détérioration persistante de la situation des ménages luxembourgeois" dans les trois domaines retenus, à savoir les inégalités et la pauvreté, le chômage et l'emploi, les conditions et la qualité de l'emploi, qui forment autant de parties.

"Si le Grand-Duché est l'un des pays les plus développés au monde, sa richesse se trouve de plus en plus inégalement répartie au sein de la population", poursuit le président de la CSL, en mettant en avant le fait qu' "en comparaison européenne, les travailleurs du Luxembourg comptent parmi les  plus exposés au risque de pauvreté".

Inégalités et pauvretés : le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté atteint 16,4 % en 2014

Dans sa première partie, la CSL souligne que le Luxembourg fait face à "des défis de plus en plus importants" tant en matière d'inégalités qu'en matière de pauvreté. "La richesse du Grand-Duché se trouve de plus en plus inégalement répartie au sein de la population, et cela tout particulièrement en matière de répartition des revenus". A ce premier facteur d'inégalité viennent s'ajouter le fait que la fiscalité au lieu de les corriger renforcerait ces inégalités en favorisant les plus aisés.

Si le pouvoir d'achat augmente en 2014 pour la deuxième année consécutive après de nombreuses années de diminution, il augmente près d'une fois et demie plus rapidement chez les hauts revenus que pour les revenus les plus modestes, tandis que le niveau du Salaire social minimum, octroyé à 16,5 % des salariés, est "dangereusement proche du seuil de risque de pauvreté". Rappelons que le seuil de risque de pauvreté étant défini comme le pourcentage de personnes disposant d'un revenu équivalent inférieur à 60% du revenu équivalent médian.

De ce fait, "nul ne s'étonnera de l'augmentation du taux de risque de pauvreté qui dépasse désormais nettement les 16 % et qui croît de façon presque ininterrompue depuis plus de vingt ans", juge la CSL. Certaines catégories de personnes (notamment les chômeurs) et de ménages (en particulier les ménages monoparentaux) font face à de grandes difficultés lorsqu'il s'agit de boucler leur fin de mois ou de faire face à des dépenses imprévues, dit-elle. "De tels développements soulèvent nombre d'inquiétudes quant au développement économique et social du pays."

Au sein de l'Europe des Quinze (UE 15), le Luxembourg figure parmi les plus faibles niveaux de partage de la valeur ajoutée brute en faveur des salariés. Même en retranchant le secteur financier, malgré un résultat plus favorable qui rejoint presque la moyenne de l'UE 15, il reste à un niveau relativement faible par rapport notamment à  la France et la Belgique, où le partage de la valeur ajoutée est plus favorable aux salariés. Par ailleurs, au vu de l'évolution du coefficient de Gini, les inégalités dans la distribution des revenus connaissent une nette tendance à la hausse depuis la fin des années 1990. En 2013, il a atteint le niveau mesuré pour l'UE 15.

Le taux de pauvreté luxembourgeois connaît une très forte augmentation entre 2013 et 2014. Avec une valeur de 16,4%, il se rapproche de plus en plus de la moyenne de l'UE15, tandis qu'il est un de ceux parmi les États membres qui a le plus augmenté au cours des quinze dernières années.

La CSL fait remarquer que l'objectif de la stratégie Europe 2020 prévoit une diminution du taux de risque de pauvreté en Europe de 25 % entre 2010 et 2020, ce qui correspond à une diminution de 2,8 % par an en moyenne. Or, entre 2010 et 2014, le taux de risque de pauvreté au Luxembourg a augmenté de 1,9 point de pourcentage, ce qui correspond à une hausse d'un peu plus de 13 %.

Dans ce contexte, comme elle l'avait fait dans l'édition précédente de son Panorama social, la CSL souligne "le moyen  efficace de lutte contre la pauvreté" que constituent les transferts sociaux, sans lesquels le taux de risque de pauvreté aurait été de 4 à 5 points de pourcentage plus élevé au cours des années 2010 à 2013 et se serait établi à 20 % ou 21 %.  

Le taux de pauvreté des personnes seules avec enfants à charge, qui a augmenté de 78,4 % entre 1997 et 2014, a désormais atteint un point tel, à savoir quasiment une personne sur deux vivant sous le seuil de risque de pauvreté au Grand-Duché, qu'elle constitue "la pire performance d'un État membre de l'UE 15". Alors qu'en 1997, ce taux était encore de 12 points de pourcentage moins élevé que la moyenne pour l'UE15, il est désormais de 12,3 points supérieur à cette moyenne passée de 37 à 38 % dans le même temps, fait remarquer la CSL. C'est moins bien que l'Allemagne (29,4 %), la France (35,5 %) et la Belgique (36,4 %).

Certes, le taux de risque de pauvreté diminue pour trois catégories : les ménages d'un adulte de 65 ans ou plus, ceux de deux adultes dont l'un au moins a 65 ans ou plus, ainsi que le groupe des femmes seules ont connu une baisse de leur taux sous le seuil de pauvreté. Mais, entre 1997 et 2014, de fortes hausses sont enregistrées pour les hommes seuls (de 8 % à 18,3 %),  les couples avec deux enfants à charge (de 12 % à 16,5 %), les couples avec trois enfants ou plus à charge (de 20 % à 32,4 %) ainsi que pour les ménages de trois adultes ou plus avec enfants à charge (de 13 % à 21,6 %).

Pour les ménages monoparentaux, les personnes seules de moins de 65 ans, les hommes seuls ou les ménages de deux adultes avec deux enfants, la proportion de ceux déclarant avoir au moins quelques difficultés à joindre les deux bouts a augmenté d'au moins 50 % par rapport à 2004. En comparaison avec les pays de l'UE15, le Luxembourg se classe en quatrième position. Pour ce qui est de la persistance de la pauvreté, qui concerne les personnes dont le revenu se situe sous le seuil de pauvreté pendant au moins deux des trois dernières années prises en compte, le taux du Luxembourg, avec 9,2 %, était meilleur que celui de quatre autres Etats membres seulement.

La part des chômeurs se situant sous le seuil de risque de pauvreté a légèrement reculé. Elle est désormais de 50 %. Un tel résultat laisse toujours le Luxembourg en mauvaise position comparativement aux autres pays de l'UE15 puisque seuls l'Allemagne et le Royaume-Uni affichent un résultat encore plus défavorable. Ce résultat est notamment dû à la "nette tendance à l'allongement" de la durée moyenne des périodes de chômage, avec pour conséquence, depuis 2009, une réduction de la part de chômeurs ayant droit à une indemnité. Toutefois, avec un taux de 1,7 % selon Eurostat, le Luxembourg se classe encore en  2014 au quatrième rang de l'Europe des Quinze en matière de chômage de longue durée.

"Le fait d'avoir un emploi ne met pas les résidents luxembourgeois à l'abri du risque de pauvreté", fait toutefois remarquer la CSL en soulignant que 11,1 % des personnes occupées de plus de 18 ans sont en risque de pauvreté, soit le pire résultat après de l'UE15, après l'Espagne et la Grèce. Du point de vue de la relation entre statut d'activité et taux de risque de pauvreté, le seul résultat positif pour le Luxembourg concerne les retraités.

La charge financière liée au logement est une autre source majeure d'inégalités, relevée par la CSL. Le taux global de ménages faisant face à de lourdes charges financières liées au logement s'établit à 35,2 % au Luxembourg. Le Luxembourg fait partie des pays de l'UE15 dans lesquels le taux de risque de pauvreté des locataires (33,9 %) est parmi les plus élevés. Il  n'est en cela dépassé que par la Belgique et l'Espagne. A contrario, au Luxembourg, le taux de risque de pauvreté des propriétaires est, avec 10,4 %, à un niveau relativement bas par rapport aux autres États membres de l'UE15. "Pour ces deux catégories de population, tant la France que l'Allemagne affichent des performances nettement meilleures que le Luxembourg", note la CSL. En effet, si l'on adopte cette approche, "le Luxembourg fait mauvaise figure puisqu'il appartient très clairement au groupe de pays les plus inégalitaires si l'on compare les taux de risque de pauvreté des locataires à celui des propriétaires", malgré une légère réduction en 2014 par rapport à 2013.

A noter que le Panorama social présente en "encadré" les résultats d'une étude menée par l'équipe du PEARL Institute for Research on Socio-Economic Inequality (IRSEI) de l'Université du Luxembourg, qui confirment qu' "après une période de croissance économique et de baisse des inégalités entre 1995 et 2004, le revenu moyen est resté presque inchangé au Luxembourg pendant les années de la grande récession, alors que, dans le même temps, les inégalités se creusaient". Une comparaison avec la situation des trois pays voisins, montre que la crise a été encore plus rude en Allemagne, étant donné la large baisse du revenu en moyenne entre 2004 et 2013, parallèlement à une augmentation de l'inégalité. "La Belgique et la France semblent quant à elles mieux s'en sortir, tant en matière de changements de revenu moyen que d'inégalité de revenu", dit l'étude. Le niveau d'inégalité et de polarisation est cependant assez similaire sur l'ensemble des quatre pays, la Belgique se présentant comme le pays le plus égalitaire.

Lors du deuxième round d'échanges de vues le 23 mars 2016 entre partenaires sociaux et gouvernement dans le cadre du Semestre européen 2016, les syndicats s'étaient appuyés sur ces chiffres et sur ceux du chômage pour déplorer que la Commission européenne n'ait pas formulé de recommandations visant à apporter des solutions au chômage et à l'augmentation continue de la pauvreté et des inégalités.

Un triplement du taux de chômage depuis 2000

Avec un taux de chômage Eurostat de 6,8 % selon les dernières données disponibles, le Luxembourg reste en 2015 l'un des États membres de l'UE où le marché du travail se porte le mieux. Toutefois, sa situation se dégrade, écrit la CSL. Il est désormais au quatrième rang de l'UE15. "La focalisation" sur des indicateurs tels que  le taux de chômage de longue durée, la création d'emplois, ou l'évolution de la population active, "masque une réalité qui est nettement moins favorable que celle qui paraît en regardant de façon superficielle", constate la CSL. En termes d'évolution, le chômage au Luxembourg progresse "de façon assez rapide" avec une multiplication proche de trois de son taux par rapport à 2000, alors que l'économie luxembourgeoise ne cesse de créer des emplois, le marché étant l'un des plus dynamiques de l'UE 28.

Partant du constat qu'en 2014 au Luxembourg, environ trois quarts des inactifs ne souhaitaient pas travailler, la CSL invite à la réflexion sur les incitatifs à mettre en place dans le cadre de la stratégie Europe 2020 qui a notamment pour objectif la diminution du taux d'inactivité des personnes en âge de travailler. Elle suggère des salaires plus attrayants, des politiques de formation (continue) plus accessibles aux inactifs et aux chômeurs, ou encore des conditions de travail permettant de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Mais elle attire toutefois l'attention sur le fait que, pour les hommes, trois motifs sont essentiellement invoqués : un peu plus de la moitié est scolarisé ou en formation professionnelle, environ 30 % sont retraités, et un peu  plus de 8 % sont en maladie ou incapacité de travail.

Conditions et qualité de l'emploi : une hausse importante du travail de nuit

La CSL s'inquiète dans ce troisième chapitre de la progression de la précarité et notamment du fait que, durant les trois premiers trimestres de 2015, plus de 45 % des jeunes (15-24 ans) ont des contrats de travail temporaires. En outre, si le Luxembourg est un pays où la population occupée cumulant deux emplois est réduite (29 % en 2014 contre 33,2 % en moyenne européenne), sa part a connu la plus forte progression dans l'Europe des Quinze : + 65 % entre 2007 et 2014.

"Même l'un des seuls points positifs observés dans les éditions précédentes du Panorama social ne se vérifie plus pour le Luxembourg", déplore plus loin la CSL. Ainsi, en 2014, par rapport à 2013, la part des personnes sujettes au travail de nuit et posté a augmenté. Sur une plus longue période, entre 2007 et 2014, la part du travail de nuit au Luxembourg a augmenté de presque 44 % tandis que qu'elle baissait fortement dans  l'UE 15 dans le même temps, (jusqu'à – 37,3 % en France). Toutefois, le taux de 11,5 % de salariés concernés le place sous la moyenne européenne (13,2 %) et parmi les  pays de l'Europe des Quinze où le travail  nocturne reste un "phénomène relativement marginal".

Dans ce chapitre, le Panorama social revient encore sur le "triste record" du taux de risque de pauvreté des salariés (10,2 %) pour lequel le Grand-Duché affiche, aussi bien en 2012, 2013 qu'en 2014, le taux de risque de pauvreté le plus élevé !", souligne encore la CSL dans ce chapitre, en précisant qu'en 2014, ce sont 14,8 % des personnes ayant un emploi à temps partiel et 9,9 % des personnes travaillant à temps complet qui sont touchées par le risque de pauvreté. En ce qui concerne le taux de risque de pauvreté des indépendants, seuls l'Espagne et le Portugal font pire.

Concernant la part de personnes qui travaillent à temps partiel, que ce soit volontaire ou involontaire, le Luxembourg occupe, avec un taux de 18,5 %, une place intermédiaire en 2014 dans le classement des pays de l'Europe des Quinze. Mais le Grand-Duché se distingue en monopolisant, depuis plusieurs années déjà, la première place pour la part des femmes ayant un emploi à temps partiel. En 2014, l'emploi à temps partiel féminin représente 85,9 % de l'emploi à temps partiel, soit  9 points de pourcentage de plus que la moyenne européenne.

Enfin, la proportion de personnes ayant deux emplois s'est accrue de 65 % en sept ans (soit 1,3 point de pourcentage), soit la plus forte progression dans l'Europe des Quinze.