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Budget de l'Union européenne - Justice, liberté, sécurité et immigration
Pour la Cour des comptes européennes, les dépenses de l'UE en matière de migration dans les pays du voisinage "peinent à trouver leur efficacité"
17-03-2016


cour comptesDans un rapport spécial publié le 17 mars 2016, la Cour des comptes européennes constate que les dépenses de l'UE en matière de migration dans les pays du voisinage "peinent à trouver leur efficacité". La publication de cet audit conduit en 2014 est intervenue sciemment à la veille du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016. "Nous publions les résultats de notre audit maintenant, car nous estimons que les observations et les recommandations auxquelles il a donné lieu sont pertinentes au moment où l'Union s'efforce d'assortir sa politique migratoire extérieure d'actions et de solutions budgétaires appropriées", lit-on dans le rapport spécial.

"La migration représente un défi fondamental pour l'Union européenne", a déclaré Danièle Lamarque, membre de la Cour des comptes responsable du rapport, selon les propos cités dans un communiqué de presse. "Les dépenses de l'UE en matière de migration dans les pays du voisinage ne peuvent être efficaces que moyennant la fixation d'objectifs clairs, l'allocation des fonds à des priorités bien définies, l'amélioration de la gouvernance et le renforcement de la coordination entre organismes de l'UE et avec les États membres".

Les insuffisances relevées par le rapport

Ce rapport spécial se concentre sur six pays du voisinage oriental et méridional, à savoir l'Algérie, la Géorgie, la Libye, la Moldavie, le Maroc et l'Ukraine. Les auditeurs ont examiné en tout 23 projets, représentant une valeur contractuelle de 89 millions d'euros sur un montant total de 742 millions d'euros. Il traite des deux principaux instruments de financement à savoir le "programme thématique dans le domaine des migrations et de l'asile" (PTMA) et l'instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP), tous deux établis pour la période 2007-2013. Le premier vise à soutenir les pays tiers dans leurs efforts "pour mieux gérer les flux migratoires dans toutes leurs dimensions". Le second soutient les réformes et renforce les capacités dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ou encore la lutte contre le crime organisé et le terrorisme.

Plusieurs autres programmes peuvent aussi concourir à la politique migratoire extérieure, à savoir l'instrument de financement de la coopération au développement (ICD), l'instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme (IEDDH) ou l'instrument de stabilité (IdS).

Le défaut de stratégie claire né de cette diversité des instruments employés, est la première des insuffisances relevées par la Cour des comptes européennes dans son rapport. Cette dernière constate que les objectifs du programme thématique (PTMA) étaient très larges, tandis que l'instrument de voisinage, qui concernait en partie la migration, ne comportait pas d'objectifs en cette matière, et que les autres instruments mobilisés ne sont pas axés sur la migration. Ainsi, "les objectifs de tous ces instruments n'étaient pas reliés entre eux et aucune stratégie claire n'était prévue pour déterminer la contribution de chacun à la politique migratoire", déplore la Cour des comptes.

Le rapport épingle ensuite le manque de lisibilité des dépenses, en l’absence de données précises sur les montants dépensés pour la migration dans chacun des instruments utilisés. Les auditeurs estiment le total des dépenses à 1,4 milliard d'euros pour la période 2007-2013, mais ils n'ont pu établir les montants payés que pour le programme thématique (à hauteur de 304 millions d'euros). La Cour n’a donc pas pu savoir dans quelle mesure les fonds de l'UE étaient alloués aux principales priorités thématiques ou géographiques, dans le cadre du programme thématique sur les migrations.

La priorité donnée au voisinage dans l’Approche globale de la question des migrations et de la mobilité (AGMM) de 2011, n'est par ailleurs pas avérée. Selon l'estimation des auditeurs, le programme thématique sur les migrations ne consacre que 42 % des fonds à cette zone, qui ainsi "ne peut être véritablement qualifiée de priorité géographique élevée". "La concentration des crédits disponibles pourrait même être jugée insuffisante au regard de l'instabilité croissante en matière de migration", ajoutent les auditeurs.

Ces derniers constatent également un éparpillement des financements. Un vaste rayon d'action et des objectifs très variés étaient sans rapport avec des ressources qui demeuraient limitées et étaient éparpillées sur des projets n'atteignant pas la masse critique nécessaire pour produire des résultats significatifs dans les pays concernés. "Cette situation limitait la capacité de l'Union à produire, par ses interventions, un réel effet d'incitation auprès des pays tiers ou à développer avec eux une coopération efficace en matière de migration", lit-on dans le rapport spécial.

Pour ce qui est du suivi, les indicateurs retenus ne reflétaient qu'une partie des objectifs du programme thématique. Ils mesuraient les activités financées, mais rarement les résultats obtenus. "Les indicateurs quantifiables n'étaient pas quantifiés, les indicateurs changeaient d'une année à l'autre dans les budgets, ils ne couvraient pas tous les instruments, ils n'étaient pas cohérents entre eux et ils étaient mal renseignés", estime la Cour des comptes.

Les dépenses n’ont eu qu’une efficacité limitée, dans les deux tiers des projets achevés de l'échantillon. C’était souvent dû au fait que les objectifs fixés "étaient trop vagues ou trop généraux et que les résultats étaient donc impossibles à mesurer". Dans de rares cas, l'instabilité politique a également joué un rôle. Enfin, certains projets servaient davantage les intérêts des États membres, ce qui a limité leur impact dans les pays partenaires, juge la Cour.

La Cour des comptes juge insuffisante l'efficacité des dépenses dans trois domaines clés. A commencer par l’objectif de maximaliser les effets bénéfiques des migrations sur le développement des pays d'origine, pour lequel les projets examinés avaient un impact limité et concernaient davantage le développement que la migration. Ainsi, "la méthode de la Commission pour garantir un effet positif de la migration sur le développement n'est pas claire, de même que les politiques nécessaires pour produire un tel effet."  Ensuite, l'aide au retour et à la réadmission a un impact limité, "faute d'implication active, tant des États membres, censés préparer le retour des migrants, que des pays de retour, qui percevaient souvent la politique de réadmission comme une composante de la politique de sécurité de l'UE". Beaucoup de migrants n'ont pas conscience de l'aide de l'UE qu'ils sont susceptibles de recevoir pour leur réadmission. Enfin, le respect des droits de l'homme "demeure au stade de la formulation et ne se traduit que rarement par des actions concrètes".

Enfin, la Cour des comptes constate la complexité du dispositif de gouvernance. La mobilisation d’un grand nombre d'acteurs affaiblit la coordination au sein de la Commission, ainsi qu'entre le siège et les délégations. Un mécanisme de coordination efficace s'avère donc, selon elle, indispensable.

Cinq recommandations

Au final, les auditeurs formulent cinq recommandations à l’adresse de la Commission, à savoir :  

• clarifier les objectifs de la politique migratoire, établir un cadre de mesure de la performance et concentrer les ressources financières sur des priorités bien définies et quantifiées;

• développer un codage approprié dans les systèmes d'information de la Commission

• améliorer la préparation et la sélection des projets, par la définition d’objectifs pertinents, réalisables et quantifiables ;

• renforcer le lien entre développement et migration en explicitant sa méthode pour garantir que la migration a un effet positif sur le développement.

• renforcer la coordination au sein des instances de l'Union, avec les pays partenaires et avec les États membres.

La Commission européenne souligne la complexité de la politique de migration

Le rapport spécial est accompagné en annexe des réponses de la Commission européenne. Cette dernière signale en introduction qu’elle et le Service européen d’action extérieure (SEAE) sont contraints d’agir dans un environnement complexe et en constante évolution, qui requiert des structures tout aussi complexes et multidimensionnelles.

Concernant la première recommandation, la Commission reconnaît la nécessité de définir des objectifs opérationnels et de résultats et réalisations à la fois clairs et mesurables, mais souligne que la variété des besoins des pays rend difficile la définition d’un ensemble commun d’indicateurs comparables qui restent stables dans le temps. Avec la politique européenne de voisinage révisée, elle tentera toutefois d’établir des partenariats renforcés et davantage ciblés, ainsi qu’une coopération plus adaptée.

La Commission reconnaît qu’il est difficile d’établir le montant total des dépenses imputées au budget ou de déterminer si les fonds ont été affectés selon les priorités géographiques et thématiques affichées. Elle entend améliorer le cadre général de suivi et d’évaluation dans ce domaine d’action complexe, en veillant à ce que les priorités géographiques et thématiques affichées, conformément aux domaines prioritaires, soient définies par les instruments pertinents. Elle fait encore savoir qu’un certain nombre de mécanismes de coordination ont été mis en place à cet effet et que l'Agenda européen en matière de migration adopté récemment met en exergue la nécessité d’intensifier davantage ces efforts.